Cet article devait être consacré à l’étude de nos chiens
courants de petite vénerie et de chasse à tir, tels qu’ils sortent de la longue
épreuve de la guerre. Les observations que je viens de faire au cours d’une
présentation de chiens de chasse m’engagent à traiter plutôt des races
françaises de chiens d’arrêt.
Tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes.
J’aurai à présenter des observations qui froisseront peut-être quelques
personnes. Mais signaler des erreurs d’orientation semble plus opportun que de
débiter des compliments.
Partout où la chasse au chien d’arrêt est pratiquée de façon
suivie, la faveur dont jouissent les chiens d’arrêt anglais va en se
développant. Leurs qualités, leur nez, la sûreté de leur arrêt, leurs allures,
fruits d’une sélection ancienne et suivie, en font des auxiliaires de premier
ordre.
En passant, notons la rentrée en lice du magnifique Setter
irlandais, qui reprend une place un moment perdue. Il a suffi du talent et de
la volonté persévérante d’un éleveur pour neutraliser les influences d’une mode
néfaste.
Nous voici donc bien équipés en chiens anglais, mais nous
aurons à jouer un jeu serré si nous voulons assurer l’avenir de nos races
nationales.
Celles-ci méritent d’être maintenues, car, en dépit d’un brio
moindre que celui des races anglaises, elles nous fournissent des
collaborateurs ayant des qualités propres, adaptés aux difficultés des terrains
accidentés et couverts. Ils se montrent meilleurs chiens à tout faire et plus
habiles retrievers dans les cas difficiles.
On ne mettra jamais trop en garde leurs producteurs contre
le physique lourd, viandeux, de taille très supérieure à 0m,60. Sont
à rejeter également les microbes à peine plus hauts qu’un Cocker, auxquels leur
défaut de robustesse interdit le rapport correct et aisé du lièvre.
On a déjà à peu près compris l’urgence de la condamnation du
Braque géant à l’aspect corniaudé et de l’Épagneul à figure de chien de
montagne. Mais il y a encore beaucoup trop de chiens volumineux, dénués du
minimum d’influx nerveux désirable, peu à peu à éliminer par les mieux adaptés.
Prenons garde d’avoir à enregistrer un jour la disparition progressive d’un
cheptel doué de vertus originales et que rien ne saurait remplacer.
La plus populaire de nos races, la seule qu’on puisse dire
riche en effectifs, qui fait preuve sur le terrain d’une qualité incontestée,
semblerait avoir un avenir prospère.
Mais voyons un peu son histoire depuis quarante ans. Les
sportsmen de ce temps, dont je suis un des rares survivants, se proposèrent de
faire un véritable chien d’arrêt du quasi-Springer de 0m,45, connu
dans le centre de la Bretagne pour ses qualités de bécassier. Pour cela, ils
décidèrent d’en renforcer le modèle et de lui faire gagner une taille
supérieure de 5 centimètres environ. Inutile d’insister sur les bienfaits
de cette décision appliquée, qui, dès 1914, assurait à l’Épagneul breton une
notoriété égale à celle des races depuis longtemps officiellement reconnues.
La guerre vint et avec elle l’oubli des bienfaits de la réforme.
Les éleveurs possesseurs de chiens de l’ancien modèle surent faire réadmettre
l’orthodoxie du sujet de 0m,45. Il a survécu et s’est multiplié et
régnerait partout, n’étaient la clairvoyance et le savoir-faire d’un petit
nombre d’éleveurs qui ont compris le danger de cette régression.
Les régions où le plus modeste cultivateur élève du chien en
vogue sont peuplées de celui du modèle 1900. Ils chassent, c’est entendu. Aussi
trouve-t-on des chasseurs et des marchands pour les acheter. Mais on se demande
à quoi aura servi un effort de quarante ans, pour sortir de l’ornière, si le
modèle dont a voulu la modification parvenait à dominer. Est-il si loin de le
faire ?
Devant ce danger, l’auteur de ces lignes a dernièrement
proposé le retour aux termes de la rédaction du premier standard, œuvre de
sportsmen désintéressés de la question commerciale, disant « chien aux
environ de 0m,50 ».
Chacun comprenait le sens de ces termes, qui signifiaient la
bonne taille entre 0m,48 et 0m,52. Son avis n’a pas
prévalu. Il y a trop de petits chiens sur le marché. Si les beaux chiens
exportés aux Amériques étaient demeurés chez nous, la face des choses en eût
été sans doute changée. Les Américains ont, eux, compris la saine doctrine en
n’important que les plus beaux lauréats de nos expositions. On veut encore
espérer qu’on se souvient de la doctrine dont on a constaté la bienfaisance. On
se rappellera, enfin, la tendance manifestée par la race renforcée à restituer le
modèle primitif. C’est une loi naturelle. Il est important d’en tenir compte.
L’autre danger, qui ne concerne pas l’Épagneul breton, est
celui du volume et de la taille en excès. Les défunts corniaudés n’ont pas été,
au cours de leur existence, sans fausser les idées quant à ce que doit être le
Braque moderne ayant chance de succès et de survie. On a considéré trop
longtemps l’oreille longue et tournée, les fanons, comme attributs
indispensables à qui voulait être qualifié « bien braque ». Hier
encore, certains ne pensaient-ils pas imposer pareille physionomie au Braque
Saint-Germain lui-même ? Tout ce qui s’éloignait du genre était réputé
pointérisé. C’était parler bien légèrement, surtout maintenant qu’on connaît le
procédé du Dr Solaro pour déceler les caractères pointéroïdes d’une tête
de Braque.
Si la querelle du modèle lourd et du léger a reçu, pour le
Braque français, la solution rationnelle, il est bien regrettable d’avoir vu
transformer le Braque d’Auvergne comme il l’a été. Celui que dessinait Malher,
il y a plus de cinquante ans, avait un cachet d’originalité qu’il a perdu. Sa
physionomie, sa silhouette légère et élégante, son tissu sec, sa tête exempte
de tout excès de chair, son encolure dégagée caractérisaient un animal façonné
par le milieu originel. Ajoutez-y cette robe, si propre à éviter les fautes
contre la pigmentation. Sa taille moyenne était en fin conforme aux goûts et
aux besoins de l’heure. On a changé tout cela, pour réaliser souvent un gros
courtaud lippu, à tête lourde, oreillé, ayant gagné taille et poids, vraiment
pas distingué.
Pendant ce temps, nos collègues en saint Hubert des
provinces de l’Est et les chasseurs des pays centraux s’attachaient à
désempâter leurs Braques, cousins plus que germains de notre Braque national.
Ils réalisaient un chien élégant et de qualité venu concurrencer fortement les
nôtres. Or la refonte du modèle ancien a fait la popularité du néo-Braque et
l’extension considérable de l’aire de dispersion de sa race. Devant ce succès,
les purs de chez nous ont découvert les torts du Braque allégé, ou mieux le
seul tort. « Ce n’est plus un Braque », a-t-on dit sans rire.
Inimaginable, si l’on ne savait que l’orthodoxie exige le port de l’oreille
tournée et importante pour qui prétend au titre. C’est pourquoi il fut concédé
sans hésitation aux défunts corniaudés.
La conservation de particularités si secondaires ne suffit
pas à assurer l’avenir, et même est-elle faite pour le compromettre, parce que
le principal est de s’adapter, non de conserver ce dont on peut se passer.
Les tenants des gros chiens oreillés avaient justement observé
les qualités de pisteur dont ils faisaient montre. De là à conclure qu’ils
étaient plus qualifiés pour le métier de retriever, il n’y avait qu’un pas.
Mais l’expérience a démontré l’excellence comme retrievers du néo-Braque, du
Griffon d’arrêt, pourvus d’une coiffure pourtant réduite et non roulée. On
remarquera, enfin, la modestie de l’oreille des retrievers de profession :
Labrador, Flat-Coated, Golden, etc., et observera, en passant, le souci
manifesté par les réformateurs d’éliminer l’oreille longue chez toutes les
races, cherchant l’émanation directe et battant le terrain à convenable allure.
Notre grand Épagneul a échappé de justesse à la fantaisie
qui le voulait pourvu d’un crâne carré ou cuboïde, conditionnant un corps en
rapport, en vertu de la loi de concordance. Tel modèle est aussi éloigné que
possible de celui d’un « Gosse de Sanvic » par exemple, datant de
l’ère de la régénération de la race par des connaisseurs avertis. Cela ne
remonte pas au déluge, et pourtant, durant un moment, leur doctrine a été perdue
de vue. Devant l’abandon général du chien lourd, on ne comprend pas pareil
oubli. Espérons que le mal est absolument réparé, mais il importe de s’en
souvenir pour n’y plus retomber.
Toutes les erreurs proviennent de la façon dont sont, chez
nous, rédigés les standards. Partout ailleurs, ils sont l’œuvre d’experts
complètement désintéressés des questions commerciales. Nous réunissons, nous,
autour du tapis vert, les membres d’un club, en majorité composé d’éleveurs
produisant chacun leur modèle, dépourvus de toute connaissance en cynotechnique
générale et ne cultivant qu’une race. Du concours de ces lumières et de ces
intérêts particuliers naissent ces standards imprécis, faits pour contenter
chacun des intéressés et contenant parfois de grossières erreurs.
Le standard type établi à Monaco, au congrès organisé par la
Fédération canine internationale, est encore trop ignoré. Il y a bien longtemps
qu’on connaît des standards irréprochablement rédigés, tel celui du Teckel, par
exemple. La précision des termes de ce document s’oppose absolument aux
interprétations de fantaisie ; aussi constatons l’homogénéité de la
production obtenue.
Pour bien mener les destins d’une race d’animaux, ou
n’importe quoi, il faut une tête. Une réunion de clubmen n’est pas cela, mais
un parlement à la merci du plus disert, qui n’est pas forcément le plus
compétent, ni le plus désintéressé. Il faut donc réformer ce qu’on n’ose
appeler nos méthodes et s’en remettre aux techniciens pour la rédaction des
standards.
Il faudrait ensuite observer les disciplines établies ;
pour nous, le sacrifice certainement le plus pénible. Le contrôle de l’élevage
est actuellement inexistant. Il importerait pourtant de savoir, au secrétariat
d’un club, la composition des chenils, afin de conseiller les adhérents sur le
choix des reproducteurs et contrôler la production. On ne voit aucun autre
moyen de progresser et d’éviter les erreurs d’orientation. Ces procédés ayant
fait leurs preuves, on jugera superflu d’en chercher de meilleurs. Telles
disciplines peuvent nous déplaire au premier abord, mais, en nous y soumettant,
nous ne manquerions pas d’en saluer bientôt la valeur.
Ce qui vient d’être exposé n’est pas inspiré d’un vain
esprit critique, mais de l’observation de faits assez inquiétants pour alarmer
qui se soucie de l’avenir de nos chiens d’arrêt nationaux. La façon dont leurs
troupes battent en retraite devant l’invasion étrangère enseigne aux
responsables des plus menacés qu’il est temps de songer aux réalisations,
dût-on modifier la physionomie du cheptel. Les présidents de club comprennent,
en général, la situation. On regrette qu’ils ne soient pas toujours écoutés, et
là est le danger.
R. DE KERMADEC.
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