Le cyclisme se développe « en fonction » de l’état
des routes. C’est un fait dont il faut tenir grand compte si l’on veut bien
juger de l’efficacité de toute propagande en faveur de la bicyclette. Dans les
pays sauvages, sans routes, le cyclisme n’existe pas. Dans les pays mal
administrés, à routes rares et mauvaises, le cyclisme n’est que l’amusement ou
le sport de quelques originaux. Pourvue du plus beau réseau routier du monde,
la France a fait de la bicyclette un engin d’usage courant ; encore ses
diverses régions comptent-elles d’autant plus de cyclistes que leurs routes
sont meilleures. Imaginez qu’un despote insensé recouvre toutes nos chaussées
d’un affreux pavé : la bicyclette ne se pratiquerait pas plus qu’au
Kamtchatka. Par contre, toute amélioration des routes fait se multiplier les
roues qui roulent dessus.
Ainsi, pour diffuser le cyclisme, il faut lui obtenir le
meilleur champ d’action possible, c’est-à-dire des routes bien roulantes ;
car, même en France, il y a beaucoup à faire dans ce sens, surtout dans les
villes et à leurs abords. À travers nos campagnes, par monts et vaux, nos
chaussées goudronnées sont presque toujours bonnes, souvent excellentes ;
la guerre même ne les a pas trop abîmées, bien moins qu’en 1914-1918 ; et elles
seront bientôt réparées.
Mais pourquoi, dès qu’elles traversent une ville, même un
village, une bourgade, ces chaussées s’enlaidissent-elles d’un détestable pavé
sur lequel frémissent les autos, cahotent les vélos et marchent péniblement les
piétons ? Ce revêtement centenaire rend la circulation aussi désagréable
que bruyante. Comment se fait-il que si peu de municipalités aient l’amabilité,
pour leurs concitoyens et pour les passants, de recouvrir ces bosselures de
grès d’un enduit goudronné ? C’est une amélioration facile et peu
coûteuse ; et la preuve est faite de son efficacité par les quelques
bourgs et villages qui l’ont réalisée. Donc, première campagne à mener contre
les tronçons de mauvais pavé qui coupent trop souvent, dans les agglomérations,
les belles chaussées de nos grandes routes.
Les villes et leurs banlieues sont, nous l’avons dit, les
grandes pourvoyeuses du cyclisme utilitaire. N’est-il pas curieux que le
« confort à vélo » de tous ces travailleurs ne soit jamais pris en
considération par les municipalités les plus démocrates ? Plus une grande
ville est industrielle, plus son pavé est barbare, plus sa banlieue s’étend sur
des kilomètres chaotiques. Pour s’évader à bicyclette vers la campagne,
l’ouvrier et l’employé de nos principales cités doivent souffrir sur ce long
chemin cabossé. Généralement, ils y renoncent et, d’utilitaires, ils ne se
transforment jamais en cyclo-touristes.
Paris est relativement privilégié, sauf dans ses quartiers
excentriques et à sa périphérie. Néanmoins, toutes ses « sorties »,
par ses cinquante-quatre portes, ne devraient-elles pas être parfaitement
aménagées pour permettre l’évasion facile, sur deux roues, de tant de
travailleurs confinés dans les bureaux, magasins, ateliers, métro, et ne
trouvant à respirer dans la rue qu’un air empoisonné par les résidus
d’essence ? Quant aux autres grandes villes, Marseille, Lyon, Lille,
Saint-Étienne, presque toutes enfin, leur pavage et celui de leurs faubourgs
est une calamité pour les cyclistes, sans être le moins du monde un avantage
pour les autres usagers.
Tout en étant disloqués, ces pavés sont résistants. Il n’y a
guère à espérer qu’on les enlève en l’honneur et à la joie des cyclistes. Mais
ils forment une base solide à un revêtement bitumeux. Partout où cela a été
fait, fort économiquement, le résultat est excellent. Tous les cyclistes
urbains ne peuvent que souhaiter qu’on transforme ainsi le pavage de toutes les villes.
Dr RUFFIER.
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