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Le coin des jeunes pédaleurs

Prise de contact

Bien souvent, au temps lointain où, juché sur deux roues, j’effectuais — plutôt mal — mes premiers virages, j’ai souhaité pouvoir rencontrer un pratiquant de la bicyclette qui m’aurait amicalement conseillé afin de devenir un pédaleur acceptable.

Hélas ! je dus m’éduquer tout seul.

Accepteriez-vous, jeunes débutants, que je sois à votre égard le conseiller dont j’ai rêvé pour moi-même ? Rassurez-vous vite, je ne suis pas une sorte de magister cherchant à vous éblouir de son savoir, mais seulement un cycliste désireux de vous faire profiter de son expérience.

Vous acceptez ?... Très bien. Nous allons, avant toute chose, effectuer plus ample connaissance.

Je ne suis plus jeune, mes cheveux ont blanchi ; toutefois, mon enthousiasme pour la pratique de la bicyclette n’a pas diminué. Cet extraordinaire engin de locomotion et de distraction que Pierre Giffard, un précurseur, nomma si justement « la petite reine », m’a procuré, depuis quarante ans d’utilisation, les joies les plus vives, les agréments les meilleurs, les bons souvenirs les plus durables.

J’ai roulé longuement, en toutes saisons, sur bien des routes de France. J’ai parcouru de la sorte à bicyclette la majeure partie touristique de notre pays. En 1908, j’effectuais ma première grande randonnée : Saint-Étienne à Paris, en visitant Moulins, Bourges, Blois, Vendôme, Châteaudun et Chartres. Ce fut pour moi une révélation. Je ressens encore, malgré le recul du temps, les satisfactions et les sensations si neuves que me procura cette équipée, laquelle me conduisit, sur une machine à pignon fixe, de la « Ville Noire » à la « Ville Lumière ».

J’ai persévéré par la suite et j’ai pu, grâce à la pratique continue du vélo, conserver le goût de l’effort physique et l’amour du grand air.

Je vous souhaite de chérir comme moi la bicyclette, laquelle vous rendra au centuple par ses bienfaits l’intérêt que vous lui aurez manifesté. Je vous aiderai d’ailleurs à l’apprécier davantage, en vous la faisant mieux connaître.

Je pédale depuis mon jeune âge. Mes premiers essais s’effectuèrent sur une grande place de Saint-Étienne, et ma première monture était loin de ressembler aux fines machines actuelles.

J’avais payé ce vélo un prix doux : 5 francs.

Cela vous fait rire ... « Une bicyclette pour 5 francs, quelle époque bénie ! » penserez-vous. Seulement aussi, quel vélo !

C’était un modèle archaïque, au cadre incliné vers l’arrière, aux caoutchoucs pleins, à la selle d’une longueur invraisemblable, qu’un brave homme avait dénichée d’un grenier poussiéreux pour me l’échanger contre un bel écu de cent sous, toute ma fortune.

Pourtant, comme j’étais heureux et fier de conduire ce préhistorique vélo sur le théâtre de mes futurs exploits cyclistes !

Exploits tout de suite contrariés, car mon premier essai se termina par une bûche magistrale.

Poussé sur un terrain un peu en déclivité par la poigne déjà vigoureuse d’un camarade plus âgé, j’allai, dès que je fus en selle, tout droit contre un arbre qui arrêta net ma jeune ardeur cycliste.

Si les dommages physiques étaient minimes — le nez et un genou écorchés, les dégâts matériels se révélèrent considérables. La fourche était faussée, le guidon tordu et la roue en huit.

Quelqu’un, témoin de ma chute, me dit : « Je crois que ce n’est pas la peine de faire réparer ton vélo, il est bien malade. »

Le cœur serré et les larmes aux yeux, je me vis obligé d’abandonner sur place mon inutilisable monture.

Tels furent mes débuts en cyclisme, débuts plutôt pitoyables ainsi que vous en avez jugé. Ils ne me découragèrent point, au contraire. En tout cas, la bicyclette m’apportait son premier enseignement, c’est-à-dire que rien ne s’improvise, mais que tout s’acquiert seulement avec de la peine et de la persévérance. Je n’ai eu garde de l’oublier, et cela m’a été profitable.

Arrêtons ici ce premier entretien. Nous verrons prochainement quelles furent les origines de la bicyclette.

Claude MATRAY.

Le Chasseur Français N°608 Juin 1946 Page 195