En 1941, Lord Baden-Powell (Bi-Pi, comme disent tous les
scouts du monde) s’est éteint doucement au Kenya, dans son cottage de Pax-Tu.
La censure allemande s’étant opposée à tout panégyrique de sa personne, il
paraît nécessaire, aujourd’hui, de retracer brièvement sa vie.
Peu de mouvements de jeunesse, en effet, sont aussi liés que
le scoutisme à la personne de leur fondateur. C’est que Baden-Powell ne fut pas
seulement le Chef-Scout, mais le Scout. Il a toujours vécu en scout, et ce
trait fait l’unité d’une vie très variée et très mouvementée.
Né le 22 février 1857, huitième enfant d’un pasteur de
Londres, il montra tout de suite qu’il était diablement vivant ... À
quatre ans, il ne voulait déjà plus monter au lit lorsque les grandes personnes
restaient s’amuser, le soir ... À treize ans, au collège de Charterhouse,
il se mêle aux « grands » pour se battre à coups de pierres avec les
garçons bouchers du quartier ... À dix-huit ans, à la fête de
l’établissement, il remplace sans y être préparé un acteur absent et déchaîne
les applaudissements par ses improvisations. C’est le boute-en-train, le
débrouillard, que tous sont prêts à suivre.
Il entre brillamment dans l’armée, mais l’automatisme qui y
règne le déçoit un peu. Une longue carrière coloniale allait lui permettre
d’exploiter tous ses dons.
Affecté d’abord aux Indes, il s’enfonce dans la jungle,
étudie les traces d’animaux, apprend à reconnaître les plantes, les arbres, les
étoiles ... Il chasse le sanglier à la lance, et son adresse fait
l’admiration de ses hommes.
À vingt-six ans, le voici capitaine. Cinq ans plus tard, on
le désigne comme aide de camp du général Smyth qui, en Afrique du Sud, mène la
lutte contre les Zoulous.
Colonel à quarante ans, il se voit à la tête de Mafeking,
lorsque cette petite ville, en 1899, est assiégée par les Boers. Il installe
des haut-parleurs pour commander des attaques imaginaires et faire gaspiller
les munitions des assaillants. Il galvanise ses soldats par son courage et sa
bonne humeur.
Quatre mois de vivres en durent sept et Mafeking est
délivrée. C’est une explosion de joie dans tout l’Empire britannique. Comblé
d’honneurs, Baden-Powell est nommé général à quarante-trois ans et bénéficie
d’une immense popularité. Dès lors, on ne s’étonnera pas que l’idée du scoutisme,
aussitôt lancée dans le public, eut son succès extrêmement rapide.
Lors du siège de Mafeking, Baden-Powell avait remarqué
combien les jeunes garçons pouvaient se rendre utiles, si on savait les prendre
par le sentiment de l’honneur et leur confier de vraies responsabilités. Aux
jeunes Anglais, il lança ce message : « Joue bien avec tes
camarades ; organise toi-même ta vie avec eux, avec des lois, des secrets ...
Apprenez, coude à coude, à connaître les difficultés de la vie. Soyez des
constructeurs et mettez vos capacités au service des autres ... Soyez
forts mais bons ... Ainsi, vous deviendrez plus tard des personnalités
agissantes et respectées, et vous connaîtrez le bonheur. »
Ce message fut accueilli avec enthousiasme par la jeunesse
de l’Empire britannique, puis celle du monde entier. Jamais on ne l’avait prise
très au sérieux, la jeunesse ... Elle allait montrer de quoi elle était
capable.
En 1908, Baden-Powell doit quitter l’armée pour préciser
dans des livres sa méthode éducative, puis visiter les groupes d’éclaireurs en
formation dans les deux continents.
Pendant plus de trente années, il voyage sans répit. À tous
les congrès internationaux de ses disciples, il vient prêcher la compréhension
et l’amitié. Et, en 1939, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, il va se retirer au
Kenya, en Afrique du Sud, continuant à écrire pour le scoutisme et à illustrer
ses livres de croquis savoureux ...
Sa vitalité lui permet de demeurer l’inspirateur de son
mouvement. Il sent aller vers lui la reconnaissance de cinq millions
d’adolescents et aussi celle de vingt millions d’hommes et de femmes, à travers
le monde, qui lui doivent une jeunesse joyeuse et riche de leçons. Il éprouve
cette satisfaction de penser que sa vie de chef scout n’a pas été moins utile
que sa vie d’officier.
Pourtant ses forces déclinent. Le conflit mondial
l’attriste, lui qui avait tant cru à la paix, grâce aux hommes de bonne
volonté. Avant de disparaître, il veut répéter sa promesse d’éclaireur. Ce fut
un instant bien émouvant que d’entendre, à la radio anglaise, la voix de
Baden-Powell, un peu cassée, arrivant du fond de l’Afrique :
Je m’engage sur mon honneur et devant Dieu ...
Et un groupe de scouts réuni dans un studio de Londres,
reprendre en chœur, religieusement :
Je m’engage sur mon honneur et devant Dieu ...
Fernand JOUBREL.
|