Le « Forestier », reprenant dans ces colonnes la
rubrique tenue par le regretté Louis Testart, propose aux lecteurs une série de
causeries relatives à la forêt et au bois.
Les sujets, traités en liaison avec les problèmes actuels,
seront alternativement consacrés à la culture des forêts existantes, à la
création de forêts nouvelles et aux nouveaux usages des bois. Ainsi la variété
même des sujets fournira une documentation aussi bien aux sylviculteurs qu’aux
reboiseurs et aux utilisateurs.
Avant d’aborder un sujet aussi vaste, il convient d’abord de
faire le point : où en est la forêt française en ce printemps 1946, en
comparant sa situation à celle d’avant guerre ?
Avant 1939, il fallait importer annuellement 2.000.000 de
mètres cubes, soit plus d’un cinquième de notre consommation, en bois d’œuvre
et d’industrie, alors que nous n’utilisions pas la moitié de nos ressources en
bois de feu.
Cette importation comprenait surtout des sciages résineux
fournis par l’Europe centrale et septentrionale et des produits nécessaires à
l’industrie papetière (bois papetiers et pâte à papier) en provenance des pays
du Nord. La consommation de ces produits correspondait à des besoins
industriels normaux ; l’effort de reconstruction des régions dévastées par
la guerre 1914-1918 était terminé. Or la France doit faire face, en même temps,
à l’approvisionnement des établissements industriels et à un nouvel effort de
reconstruction. Nos besoins en bois tendres, résineux surtout, vont toujours en
croissant.
Mais, d’abord, voyons quelle est la capacité de production
de la forêt française en 1946.
Les destructions font actuellement l’objet de
déclarations ; les statistiques ne sont pas encore établies, et il est
difficile de chiffrer les dommages subis par la propriété forestière.
Cependant, les journaux ont relaté les incendies qui ont ravagé et ravagent
encore les forêts de pins maritimes des Landes. On peut estimer à 400.000
hectares la surface ruinée, soit plus du tiers de la forêt productive. Celle-ci
fournissait des bois de mines, des traverses de chemin de fer, des sciages
courants pour la fabrication des caisses, du bois de papeterie, des poteaux de
lignes et quelques bois de charpente, mais aussi de l’essence de térébenthine.
Tous ces produits, indispensables à l’industrie nationale et à la
reconstruction, devront être recherchés ailleurs.
Pour les autres forêts, les dévastations ont porté sur des
surfaces limitées. Mais, partout, il y a eu des abatis, des déboisements, des
arrachis, soit pour les fortifications, soit pour les opérations de guerre,
soit pour les rampes de lancement. Il y a eu de vastes trouées créées par les
bombardements. Mais ceci n’affecte pas gravement l’ensemble de la surface
boisée.
Par contre, les exploitations intensives rendues nécessaires
par les besoins en bois depuis 1939 ont appauvri toute la forêt française. Au
lieu d’une coupe annuelle, il a fallu exploiter une coupe et demie chaque
année, et le capital a été entamé d’au moins deux annuités pour les bois
d’œuvre et d’industrie. Ce prélèvement a porté en majorité sur des bois jeunes,
en pleine croissance. La saignée est grave et nécessiterait un repos pour les
peuplements qui ont été entr’ouverts. Mais il n’en est pas question pour
l’instant.
En ce qui concerne les bois de feu, les exploitations ont,
avant tout, porté sur les taillis et leur ont fait reprendre une valeur ignorée
depuis de longues années.
Là encore, les prélèvements ont dépassé les
possibilités ; et, pour fournir du bois carburant aux véhicules à
gazogènes et du bois de chauffage aux agglomérations voisines ou éloignées,
certains ont dû exploiter des taillis trop jeunes. En certains points, les
coupes ont réalisé des taillis de moins de dix-huit ans. Le rendement était
faible et les ressources qu’on peut escompter pour l’immédiat restent limitées.
Cependant, pour ces peuplements, l’avenir n’est pas
compromis. Dans vingt ans, si le besoin s’en faisait sentir, la France aurait,
de nouveau, des surfaces importantes de taillis exploitables et productifs.
Mais, si le besoin ne naît pas d’une crise comme celle que
nous venons de traverser, la mévente se fera encore sentir durement pour les
propriétaires ; et les pouvoirs publics devront chercher des débouchés
nouveaux pour des bois qui, à cette époque, risquent de ne plus se vendre.
En face de cette production diminuée pour les années qui
viennent, les besoins s’accroissent. En effet, sur 10.000.000 d’habitations
existant en 1939, 1.500.000 ont été atteintes, et 400.000 totalement détruites,
dont la moitié pour les 13 départements du Nord et de l’Est, déjà éprouvés par
la guerre 1914-1918.
Mais les destructions n’ont pas affecté seulement les
constructions ; des matériels de toutes sortes : des mobiliers, des
installations intérieures, où le bois est employé en majeure partie, ont été
anéantis.
On estime que la reconstruction demandera, au cours des dix
années à venir, un million d’ouvriers consacrant tout leur temps à cette œuvre,
et la consommation de plus de 20.000.000 de mètres cubes de bois d’œuvre représentant
trois années de production d’avant guerre.
Certaines catégories des bois nécessaires n’ont pas été trop
réduites par les prélèvements de guerre : il s’agit de gros bois propres à
fournir des placages, des gros bois de sciage pour l’ébénisterie et la
menuiserie. De même, l’importation de nos bois coloniaux sera d’un grand
secours à notre industrie du meuble.
Mais il faut aussi des bois de charpente, et nous avons vu
que la France devait, avant guerre déjà, importer de grosses quantités de bois
résineux. On ne peut donc espérer trouver dans les ressources métropolitaines
tout ce qui est nécessaire pour la construction. Il faudra de nouveau faire
appel aux bois étrangers ; les territoires voisins de l’Allemagne occupée
peuvent nous être fort utiles à ce point de vue. Mais aussi la quantité de bois
rendue disponible devra être mieux utilisée. Des causeries spéciales feront
connaître les techniques nouvelles qui permettent une économie de matière
première : types de charpentes alliant la légèreté et la solidité,
utilisation des déchets de bois pour la confection de panneaux, etc. ...
Il faut conclure : la forêt française est appauvrie. La
guerre et l’après-guerre la laissent mutilée, rasée en certains points,
rarement intacte, mais toujours vivante et renfermant en elle-même une
puissance de reconstitution qu’il faut utiliser avant que la dégradation n’ait
affaibli les énergies productrices du sol. Il ne faut pas attendre pour
agir ; plus tard, il sera peut-être trop tard.
Or la France a besoin de bois, de beaucoup de bois, et
aucune parcelle boisée ne doit aller ainsi à sa ruine.
LE FORESTIER.
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