Le pâturage est le régime le plus convenable à la santé des
moutons. La bête à laine est gourmande, friande de sa nature. On ne la
détermine point à prendre une nourriture plus grossière, moins agréable, quand
elle est accoutumée à une meilleure et qui est plus à son goût ; il
s’ensuit qu’il faut que le régime des bêtes à laine soit constant, uniforme,
invariable autant que possible.
Le mouton des landes et des montagnes pâture très bien
l’ajonc et la bruyère parce que c’est sa nourriture habituelle. Mais le
propriétaire judicieux ne manquera pas de comprendre que la lande et la
montagne peuvent être employées utilement, conjointement avec une nourriture
subsidiaire, soit prise à la bergerie, soit fournie en herbe dans un parcours
privé, et que, d’ailleurs, l’engrais provenant des bêtes à laine procurera le
moyen de convertir les landes ou la montagne en bon pâturage.
Le propriétaire d’un troupeau trouvera presque toujours du
bénéfice à procurer à ses moutons un parcours abondant qu’il doit savoir faire
durer sinon toute l’année, du moins le plus longtemps possible.
Pendant l’hiver, à moins que les neiges ne couvrent la terre
ou que les dégels ne la détrempent, on a pour le parcours du troupeau tous les
prés, même ceux fauchables, les trèfles, les luzernes, les sainfoins, où il
trouve à ramasser de l’herbe. Les bêtes à laine peuvent aller partout, avec
cette seule précaution de leur faire une distribution de paille ou de foin le
matin avant de sortir de la bergerie, et le soir en rentrant. Dès le mois de
mars, il faut cesser de faire pâturer par les moutons les prairies
artificielles et, au mois d’avril, les prairies naturelles. On peut alors faire
paître les bêtes à laine dans les seigles et les escourgeons qui ont été semés
pour eux en septembre.
Quand nous étions agriculteur, nous semions chaque année,
dans le mois de septembre, du seigle pour le troupeau ; il nous rendait
après l’hiver les plus grands services et nous fournissait très abondamment un
fourrage vert excellent qui convenait parfaitement aux brebis nourrices et
laitières fatiguées des fourrages et de la nourriture d’hiver. Nous commencions
à le faire pâturer fin mars et il durait jusqu’à fin avril, époque où il
devenait trop dur. Sur les chaumes du seigle, après un labour, des hersages et
roulages, dans les terres argileuses, nous semions des betteraves fourragères
et, dans les terres légères, du millet pour fourrage vert que les moutons
pâturaient en été et en automne, de la navette d’été, des navets, de la
moutarde blanche ou du sarrasin.
Les grands avantages que présente cette dernière plante,
qui, par la rapidité de sa croissance, peut offrir, à une époque où l’on manque
de pâturage, un bon pacage, engagent à en semer après un trèfle incarnat :
malheureusement, il a ses inconvénients ; quand une partie de champ
commence à fleurir, le troupeau des moutons qui le pâturent est attaqué
d’inflammation ; la tête enfle, la face se couvre de boutons, les oreilles
deviennent pendantes et épaisses. Les animaux attaqués se couchent, tristes, abattus
et sans appétit. D’abondantes saignées font diminuer l’enflure et amènent une
complète et prompte guérison. Nous avons remarqué que, quand les moutons
reçoivent à la bergerie du fourrage avant d’aller pâturer du sarrasin fleuri,
aucun accident ne se produisait. Une distribution semblable évite aux bêtes à
laine la météorisation quand elles paissent dans les trèfles et les luzernes.
Puis viennent les navettes et les vesces d’hiver, auxquelles
succèdent les minettes semées dans les céréales l’année précédente et que l’on
peut pâturer jusqu’à, la Saint-Jean. Ensuite on a la ressource des vieux
trèfles et des vieilles luzernes, où les graminées dominent. Ces nourritures
conduisent moitié ou fin juillet, où l’on retrouve, après la fenaison, les prés
et les prairies que l’on ne fauche pas, puis viennent les moissons, après
lesquelles les chaumes sont livrés au troupeau. Pendant ce temps, les vesces,
les pois et autres plantes fourragères semées au printemps fleurissent et sont
consacrés à la dépaissance. Le propriétaire du troupeau aura semé ces derniers
fourrages de mars jusqu’à mai, à quinze jours d’intervalle, de sorte que, par
une température sèche ou humide, le pâturage ne manquera pas.
Après le pâturage des premiers chaumes, on peut les labourer
au polysoc et en terre douce en bon état, on peut semer sur le labour du
polysoc, après avoir donné plusieurs hersages alternés par des roulages pour
ameublir le sol, de la moutarde blanche, dont la graine est fine. À la
mi-octobre, si la semaille a réussi, la moutarde est en pleine fleur et on la
fait pâturer par les moutons jusqu’aux gelées qui la détruisent. Dans les pays
où on cultive la betterave à sucre, on leur fait paître la moutarde en même
temps que les queues des betteraves après l’enlèvement des racines.
Un cultivateur diligent, pour avoir du parcours pendant
toutes les saisons, doit créer des pâturages qui se succèdent sans
interruption, qui bravent les froids de l’hiver et les chaleurs des solstices
d’été.
En Bretagne, nous avons vu des moutons qui se trouvaient
fort bien, dans l’hiver, de pâturages assez grossiers que leur fournissait la
lande nouvellement coupée sous des avenues d’arbres verts ; ce pâturage
consistait en jeunes repousses d’ajoncs, de bruyères et de quelques herbes
dures, du genre des laiches, dont les moutons se contentent fort bien dans la
saison rigoureuse et qui poussent pendant l’hiver, car les bois d’arbres verts
résineux conservent sous les rameaux une température très douce.
Dans ces landes plantées d’arbres verts, les cultivateurs ont
semé des graines de fourrage ou des balayures de grenier à foin qu’ils ont
enterrées à la herse quand c’était possible ou autrement. Il s’y est formé un
gazon épais que les moutons recherchent et dans lequel les repousses de
bruyères et d’ajoncs ne peuvent dominer parce qu’elles sont broutées ras de
terre à mesure qu’elles se présentent dans l’herbe. Dans ce gazon, ils ont
introduit un très fort mélange de pimprenelle, plante qui craint moins
l’ombrage des jeunes arbres verts que toute autre et végète pendant l’hiver,
même sous la neige ; le mouton en est très friand, et il faut que les
jeunes bois deviennent bien touffus pour qu’elle disparaisse.
Le parcours des terrains vagues, des landes, des bruyères,
des montagnes, des chemins et des bois, est d’une grande ressource dans
certains pays pauvres, comme l’Ardèche, par exemple ; tant que dure la
belle saison, on peut y entretenir à peu de frais des moutons communs qui
prospèrent et qui sont recherchés par la boucherie.
Dans les contrées mieux cultivées, des fermiers font
conduire leurs bêtes à laine sur les chaumes et les terrains vagues. Il faut
reconnaître qu’un pareil parcours ne peut suffire qu’à des races très
rustiques, petites et de peu de produit. En temps de sécheresse, ils sont
réduits presque à la famine et ils ne trouvent une nourriture abondante que par
les temps humides.
Si on veut entretenir des troupeaux plus précieux, des
moutons dont le tempérament délicat exige une nourriture toujours saine et en
quantité toujours égale, ou des moutons de grande taille pour la boucherie,
auxquels l’abondance est indispensable, il faut préparer des moyens de
subsistance choisis et nombreux. Compter sur la vaine pâture, qui d’ailleurs a
été supprimée dans beaucoup de communes, serait une folie. Il faut leur destiner
des prairies naturelles ou artificielles, faner pour eux des fourrages qui leur
seront distribués à la bergerie, les jours où on ne pourra pas les faire
sortir.
L. TESTART.
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