La pénurie de blé et de céréales panifiables remet
actuellement en honneur certaines formules de « pain complet », de
valeurs du reste assez inégales. Le « Français moyen »,
traditionnellement fidèle à la mystique du « pain blanc », s’aperçoit
que l’on peut faire plus économique et parfois plus sain que le pain d’avant
guerre ... Entendons-nous : tout pain « noir », rêche ou
friable, n’est pas nécessairement un aliment supérieur ; le fait anormal
est que l’homme se réserve la partie la moins nutritive du grain, tout en
distribuant aux animaux la partie nourrissante, riche en vitamines et en
matières grasses, sous forme de son.
Récupérer au maximum ces substances perdues, introduire dans
le pain un supplément appréciable de substances vitalisantes par un commencement
de germination, simplifier dans d’énormes proportions la fabrication par la
suppression pure et simple de la minoterie, tels sont les grands avantages du
« pain de grain » ou « pain éclaté ».
Le son est la partie la plus nourrissante du blé.
— Avec les formules classiques de la boulangerie, on
admet que 100 kilos de blé donnent en moyenne 70 kilos de farine, qui
fournissent à leur tour 91 kilos de pain cuit, tandis que 30 kilos de
son restent disponibles pour l’alimentation des animaux.
Avec la formule « pain de grain », 100 kilos
de blé donnent 150 kilos de pain, le son n’étant pas éliminé et aucune
opération de mouture n’étant pratiquée. L’augmentation brute de rendement
ressort donc à 52 p. 100, correspondant à une économie de prix de revient
de l’ordre de 30 p. 100.
Si la pratique généralisée confirme ces prévisions
favorables, nous serons en présence d’une véritable révolution économique dans
les pays agricoles : la farine disparaissant, l’importante industrie de la
minoterie sera obligée non de disparaître, mais de s’adapter aux nouvelles
fabrications.
En quoi consiste exactement la nouvelle formule ? En
une suite d’opérations physiques, chimiques et biologiques, ainsi qu’à des
phénomènes « colloïdaux » affectant les différentes parties du grain
de blé.
On sait que le grain de froment est formé de trois parties.
L’enveloppe extérieure, représentant de 10 à 14 p. 100 en poids,
comporte une certaine « assise protéique », composée de grosses
cellules arrondies remplies de matières albuminoïdes, les aleurones ;
ces aleurones sont imprégnées de matière huileuse, chargés de vitamines et par
suite très propres à l’alimentation humaine. L’intérieur du grain est occupé
par l’amande farineuse, qui représente en poids 83 à 88 p. 100 du
grain et qui est seule utilisée pour la production de la farine blanche ...
Enfin, le germe, qui donne naissance par germination à la nouvelle
plante, est aussi riche que l’assise protéique en matières albuminoïdes.
Le paradoxe est donc flagrant : le son rassemble les
produits les plus vivifiants, tandis que la farine ne contient que des aliments
moins « dynamogéniques », amidon et gluten.
Comment on fabrique le « pain de grain ».
— Derrière les raisons médicales mises en avant pour
l’élimination du son s’abritent souvent des raisons purement pratiques :
moulu à 100 p. 100, le blé donne naissance à une farine qui ne se conserve
pas. Lavoisier a mis en doute la nocivité du son et Liebig n’a pas craint
d’écrire : « Aucun produit alimentaire ne perd autant de sa valeur
que le grain pendant sa transformation en farine. Plus la farine est
blanche, moins elle est nourrissante. »
Voici comment on fabrique le « pain de grain ».
Tout d’abord, le blé est divisé en deux parties ; la première,
représentant environ un cinquième du total, est mise à tremper durant
vingt-quatre heures, puis essorée et mise à germer durant également
vingt-quatre heures. Le reste du blé est mis à macérer pendant vingt-quatre
heures, mais ne subit pas de commencement de germination.
Remises en commun et salées à 2 p. 100, les deux
fractions sont passées au hachoir mécanique, qui restitue une pâte semblable à
du fromage de gruyère râpé. Cette pâte est mise en fermentation à l’autoclave,
sous une pression de 7 kilos ; une telle pression, totalement
inhabituelle en boulangerie, produit les effets les plus curieux, notamment un
éclatement complet de toute la pâte au moment où l’on ouvre la porte de
l’appareil. Brisée dans toutes ses cellules, la substance du blé devient ainsi
particulièrement pénétrable pour les sucs digestifs.
Le reste de la panification s’effectue au pétrin et au four,
comme pour le pain de farine ordinaire.
Du pain classique — fabriqué au reste de plus en
plus mécaniquement — ou du pain éclaté, lequel l’emportera ? C’est ce
qu’il est difficile de dire. En ce qui concerne l’utilisation des aleurones de
l’enveloppe, le procès semble jugé ; le « pain d’aleurone »
existe depuis longtemps parmi les produits de régime, et il est consommé sans
inconvénient par les diabétiques.
L’emploi d’un commencement de germination est
particulièrement à retenir. On sait que ce phénomène biologique s’accompagne de
modifications caractéristiques de la substance des graines ; nous
indiquions récemment les espoirs que suscitent les nouvelles méthodes de « jarovisation »
des blés, permettant de semer au printemps nombre de blés d’automne ;
cette jarovisation est précisément basée sur une « germination
arrêtée », qui prépare dans le grain toutes les forces de la vie tout en
les maintenant suspendues. Le « pain de germe », dont le principe se
retrouve dans le « pain éclaté », permet au consommateur de
bénéficier de la vitalisation maxima ... Scientifiquement, la nouvelle
méthode de panification mérite d’être étudiée sur des bases
industrielles ; socialement et nationalement, elle doit être répandue.
Pierre DEVAUX.
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