Dans un article récent, paru dans le dernier numéro de la
revue, nous avons donné quelques indications sur les progrès de la
radiodiffusion depuis 1939, en France et surtout à l’étranger. Les progrès de
la télévision, c’est-à-dire de la transmission des images animées à grande
distance, par l’intermédiaire de lignes téléphoniques spéciales ou des ondes
hertziennes, sont non moins réels et importants, mais beaucoup moins
connus ; les profanes et même les amateurs de T. S. F. ont à ce
sujet des notions tout à fait inexactes.
Certains d’entre eux, en se référant aux articles des
journaux non spécialisés, s’imaginent qu’il est désormais facile de recevoir à
domicile, sur un écran analogue à un écran de cinéma, d’excellentes images en
noir ou en couleurs d’une largeur de l’ordre du mètre. D’autres, au contraire,
déçus par les premiers essais qu’ils ont pu examiner, ont perdu toute confiance
dans le résultat final qu’il sera possible d’atteindre. En réalité, il est
assez difficile de se baser sur les essais entrepris en France avant 1939, et
même depuis la libération, et on ne peut guère se faire une idée exacte des
possibilités réelles immédiates qu’en se référant à ce qui a été obtenu à
l’étranger, en Angleterre et surtout aux États-Unis.
Voyons donc sommairement comment se présente le problème.
Peut-être n’est-il pas inutile, d’abord, de rappeler brièvement le principe
actuel de la télévision ?
Dans la plupart des procédés actuels, on fait correspondre
point par point deux écrans. Sur l’un, se trouve l’image à transmettre et sur
l’autre s’inscrit l’image reçue. Ainsi, les points plus ou moins éclairés de
l’une correspondent à des points homologues plus ou moins éclairés de l’autre.
Pour réaliser cette correspondance, on explore, on
« balaie » l’image à transmettre à l’aide d’un dispositif photo-électrique
qui fait varier, ou, en termes techniques, module, par l’intermédiaire
d’une onde hertzienne ou d’un câble conducteur, l’intensité d’un faisceau
électronique qui vient reconstituer l’image transmise sur l’écran fluorescent
d’un tube à rayons cathodiques placé dans le récepteur.
On explore ainsi la première image, et on reconstitue la
seconde, point par point et ligne par ligne, en assurant aux spectateurs une
impression continue, grâce à la persistance de la fluorescence obtenue sur
l’écran du tube cathodique et celle des impressions lumineuses sur la rétine.
L’œil aperçoit alors des images complètes qui se reproduisent à la cadence de
vingt-quatre par seconde, et lui donnent la sensation du mouvement.
Les images obtenues seront d’autant plus fines et plus
fouillées que le nombre des points dans lesquels sont décomposées les deux
images à l’émission et à la réception sera plus élevé et, par conséquent, que
les images seront définies par un plus grand nombre de lignes de balayage.
Les perfectionnements de la télévision ont pour but essentiel d’obtenir des
images de plus en plus fines et des surfaces de plus en plus grandes ;
il y a pourtant des limites qu’il est absolument inutile de vouloir dépasser.
Les premières images télévisées avaient quelques centimètres
de côté, et leurs dimensions virtuelles n’excédaient pas celles d’une carte
postale 9 x 12 ou 8 x 14 cm. ; puis l’image
directe passa à 18 x 19 cm. ou à 21 x 24 cm., et l’on put
obtenir des projections sur petits écrans de l’ordre de 20 x 30
centimètres.
Ces dimensions ne paraissent pas suffisantes à la majorité
des amateurs, qui voudraient généralement obtenir des images comparables à des
projections cinématographiques de format réduit. Ils ne se rendent pas compte
des difficultés déterminées par toute augmentation des surfaces de l’image et
portant aussi bien sur la définition que sur l’éclairement.
La construction des récepteurs à grand écran de prix
relativement peu élevé ne paraît pas possible, surtout en France ; il sera
sans doute nécessaire de distinguer encore longtemps deux catégories
d’appareils. Les modèles à vision directe ou à dispositif optique
simple, assurant des images de l’ordre d’une vingtaine de centimètres de côté,
pourront être établis en série et destinés à la plus grande partie des amateurs
futurs de télévision. Les récepteurs à image projetée sur écran séparé,
de dimensions de l’ordre de 30 à 40 centimètres de largeur, seront
longtemps des modèles de luxe réservés à une clientèle privilégiée.
Cela ne signifie nullement qu’une image de surface
réduite supprime l’intérêt de la réception. Une image réduite, mais bien
nette, fixe, très éclairée, est préférable à une grande image projetée, floue,
peu stable et sans contraste ; elle assure déjà une observation agréable
pour plusieurs spectateurs sous un angle assez large. Le nombre de lampes des
récepteurs de télévision en montre suffisamment la complexité par rapport aux radio-récepteurs ;
les appareils courants comporteront entre 18 et 25 lampes.
Aux États-Unis, on semble s’orienter pourtant de plus en
plus vers la construction d’appareils permettant la projection sur écran
séparé. La Radio Corporation of America, une des plus grandes sociétés
américaines, utilisait primitivement un tube récepteur de 22 centimètres
produisant une image de 15 x 20 centimètres. Au moment de la guerre,
elle adoptait pour la vision directe un tube de 30 centimètres assurant
une image de 20 x 25 centimètres.
Malgré les progrès de la construction des tubes à rayons
cathodiques aux États-Unis et, en particulier, l’utilisation de tubes
métalliques comportant simplement une face antérieure transparente portant
l’écran fluorescent, les tubes à vision directe n’équipent plus,
outre-Atlantique, que des appareils simplifiés, dans lesquels les dimensions de
l’image n’excèdent pas une vingtaine de centimètres.
Lorsqu’on veut obtenir une image bien éclairée, on a recours
à de petits tubes de projection à grande puissance. On a pu ainsi obtenir de
bonnes images de 40 x 50 mm., avec une image initiale de 40 x
50 mm., par exemple, sur le fond du tube.
Dans certains modèles récents, l’image est projetée sur un
écran translucide escamotable de 34 x 45 cm., et les dimensions
les plus grandes obtenues sont de l’ordre de 60 x 45 cm. On se
rapproche ainsi du format cinéma d’amateur.
Les fabricants d’appareils anglais de matériel radio-électrique
ont, paraît-il, établi un plan pour la construction de 78.000 récepteurs
de télévision, et c’est par centaines de mille que l’on prévoit, aux États-Unis,
la production normale de ces appareils. Sans doute, n’y a-t-il aucun intérêt à
prévoir la livraison de récepteurs au grand public s’il n’existe pas d’émission
correspondante ! En Angleterre, les émissions régulières londoniennes vont
commencer, nous dit-on, à partir du 6 juin, pour le grand défilé de la
Victoire. Aux États-Unis, il y avait, en 1945, neuf stations en fonctionnement
régulier, et l’on prévoit l’établissement de quarante stations au minimum d’ici
le milieu de 1946 et de cent stations en 1950. La partie du pays où l’on peut
déjà recevoir les émissions actuelles comprend 20 millions
d’habitants ; elle en comportera trente en 1946, et cinquante en 1950.
Nous sommes bien loin en France de ces réalisations
grandioses. Les projets actuels du service de la Radiodiffusion sont bien
modestes, et leur mise en application peut encore être retardée malheureusement
par un grand nombre de facteurs divers et imprévus.
Avant la guerre, il n’y avait eu que des émissions d’essai.
Un studio expérimental et un poste émetteur en fonctionnement régulier étaient
cependant établis à la Tour Eiffel, de sorte que ces essais étaient
spécialement destinés aux constructeurs parisiens et aux usagers de la région.
En province, il n’y avait eu que des démonstrations temporaires, au cours
d’expositions ou de foires régionales. Ces essais furent interrompus par la
guerre, en septembre 1939, et quelques timides expériences furent seulement
reprises par le gouvernement de Vichy, avec l’autorisation et même l’aide des
services allemands, en 1943.
Actuellement, des émissions expérimentales à faible
puissance ont été reprises par la Radiodiffusion française ; elles sont
limitées à la région parisienne. Un plan d’extension du réseau avait été
envisagé ; mais les programmes ne sont pas encore fixés définitivement.
Les uns veulent, avant tout, obtenir des réalisations en employant les moyens
techniques et industriels actuels ; les autres veulent attendre
l’établissement d’appareils à très haute finition pour réaliser l’équipement national.
En tout cas, le développement du réseau devra être progressif et demandera un
certain nombre d’années ; on commencera par équiper les régions urbaines
où la densité de population est la plus grande.
Souhaitons que les fonctionnaires et les techniciens chargés
de ces études fassent preuve enfin d’un esprit réaliste et de continuité dans
leurs entreprises. Il vaut certainement mieux au début se contenter d’une base
modeste mais sûre, que d’attendre, pour effectuer de premières réalisations,
des progrès techniques peut-être encore plus remarquables, mais qui seront
obtenus dans un avenir très incertain.
P. HÉMARDINQUER.
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