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Les réserves des sociétés communales

Le Chasseur Français m’ayant demandé de prendre la suite des causeries d’ordre général sur la chasse que rédigeait, avec tant d’expérience et de talent, le regretté Louis Ternier, j’ai répondu sans hésiter à cet appel, dans le vif désir que j’ai de faire œuvre utile à mes amis les chasseurs. Ils m’excuseront si mes souvenirs ne sont pas assez pertinents et si mon style, qui vieillit, manque de souplesse.

Pour débuter, parlons d’une question urgente : la reconstitution des réserves des sociétés de chasse communales.

Ces sociétés, jadis groupées, à côté des chasseurs individuels, en fédérations départementales, appellation qui disait bien ce que l’on voulait énoncer ; ont été laissées quelque peu dans l’ombre par les textes des actes de 1941 qui instituaient en zone Sud des sociétés départementales de chasseurs. Le terme a prévalu et fut maintenu dans l’arrêté du ministre de l’Agriculture du 15 novembre 1945 invitant chaque ancienne fédération, sur l’ensemble du territoire, à provoquer la formation d’une nouvelle société départementale. Ce devait être chose faite au cours du premier trimestre 1946, et la circulaire d’application du 7 décembre 1945 prévoyait, explicitement cette fois, que les associations ou sociétés dûment constituées participeraient aux assemblées générales concurremment avec les détenteurs individuels des droits de chasse.

Et maintenant il faut rebâtir. Car, avant la terrible secousse de la guerre 1939-1945 et dès la promulgation de la loi du 31 juillet 1920 sur le produit des jeux, par laquelle s’ouvrait l’ère des subventions aux groupements cynégétiques d’intérêt général, en attendant le budget de la chasse obtenu à partir de 1934, dès cette époque datant déjà d’un quart de siècle, tout octroi de subventions était subordonné à la constitution de réserves où nul ne pourrait chasser, en quelque temps que ce fût, pas même les propriétaires une fois le bail conclu.

Les sociétés communales avaient très vite et loyalement accepté cette règle tutélaire. Dès 1925, nombre d’entre elles avaient des réserves aussi bien gardées que possible par les brigades mobiles, délimitées sur le terrain par les lignes naturelles : routes, cours d’eau, lisières boisées, etc., et munies de poteaux de défense avec pancartes bien apparentes, dont le Comité national de la Chasse, après 1934, fit une large distribution à prix minime. Il y avait intérêt à inscrire ces réserves sous le nom de la fédération départementale afin de bénéficier d’une exonération de la taxe sur les chasses gardées.

Ces réserves avaient des contenances très variables selon le morcellement plus ou moins accentué de la propriété, suivant aussi la bonne volonté des bailleurs. De 35 à 200 hectares, quelquefois plus ; 80 à 100 en moyenne en pays de plaine et d’anciennes chasses banales ; contenance qui pouvait se doubler ou même mieux par la juxtaposition des réserves de sociétés communales limitrophes.

Il fallait y prévoir le piégeage, la destruction des animaux et oiseaux nuisibles — pies, corneilles, éperviers, belettes, petits fauves — et prévoir aussi celle des renards en cas de réserves proches des friches et des forêts, friches et bois dont les réserves englobaient généralement quelques parcelles, en plus des cultures, vignes, prairies, ceci variant avec le pays.

Avouons que piégeage et destruction de nuisibles restaient insuffisants dans trop de refuges, devenus ainsi des pièges à gibier. Avouons que d’incorrigibles braconniers tentaient parfois d’y faire leurs incursions et que le sauvetage des couvées de perdrix, des portées de levrauts, lors des fauchaisons, laissait à désirer. On ne peut pas d’emblée atteindre à la perfection. Quoi qu’il en fût, les réserves des sociétés communales avaient donné, de 1925 à 1939, d’excellents résultats en maintes régions. Le gibier, perdrix et lièvres, s’y reproduisait et, de là, se répandait sur les chasses locales. Je pourrais en citer de nombreux exemples, de même que des exemples de la fidélité du gibier pour la réserve qui l’avait accueilli, où rapidement il s’était cantonné.

Après cinq ans, on était le plus souvent amené à changer de place la réserve pour ne pas imposer une trop longue servitude tant aux propriétaires qu’aux chasseurs. La bonne règle était alors de pratiquer dans la réserve, avant son déplacement, des reprises de gibier ; ou bien de disséminer ce gibier au dehors à l’aide de battues blanches, c’est-à-dire sans fusils. Il importait surtout d’éviter une hécatombe.

Pour lutter contre le braconnage, les congrès cynégétiques régionaux réclamaient à juste titre que la chasse dans les réserves, même en période d’ouverture, soit considérée comme délit de chasse en temps prohibé et qu’en temps de fermeture la chasse dans les réserves soit une circonstance aggravante. Nous espérons encore un texte de loi dans ce sens.

Donc au travail, mes chers camarades chasseurs. Reconstituons nos réserves bien délimitées, bien surveillées, piégées et protégées contre les braconniers, les nuisibles et la plaie des chiens errants. Le gibier indigène ne tardera pas à s’y reproduire et à faire tache d’huile sur nos chasses communales, en attendant que nous puissions acquérir à des prix raisonnables du gibier de repeuplement, auquel la réserve donnera l’asile le plus sûr.

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°609 Août 1946 Page 226