Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°609 Août 1946  > Page 230 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Le gibier disparaît

Les coupables

De nombreuses sorties matinales, en août dernier, m’ont permis d’avoir de précieuses indications sur les perdreaux. Beaucoup de compagnies, mais, en général, peu denses : rares couvées dépassant une douzaine. Certaines deuxièmes nichées comptaient trois ou quatre petits, volant à peine (j’ai même aperçu un fils unique). Enfin des « vieux », isolés ou groupés, un peu partout. Essayons de voir d’où provient cet état de choses.

En 1944, l’ouverture d’arrière-saison fut consacrée au poil : beaucoup de lapins, pas mal de lièvres, aussi on tua peu de perdreaux. L’hiver, quoique rude, ne décima pas ces, oiseaux. Au printemps, les couples se formèrent, laissant beaucoup de célibataires forcés, mécontents de leur sort, ce qui amena des rivalités ... dont les œufs firent les frais. Ainsi s’expliquerait cette série de secondes couvées dans une région où il ne se détruit guère de nids en fauchant les prairies.

Toute différente est la cause des premières compagnies peu fournies. Quelques personnes m’ont dit avoir découvert des nichées de douze à dix-huit œufs. L’éclosion fut normale, aucun orage sérieux durant l’été. La disparition des poussins se place donc de l’éclosion au mois d’août.

Quels sont les coupables ?

Écartons les machines agricoles et les braconniers. (Peut-on donner ce qualificatif aux gourmands qui, en quelque coin écarté, tuent un oiseau avant l’ouverture ?)

Nous trouverons les responsables parmi les carnassiers poilus et emplumés. Lorsqu’une contrée offre une abondante nourriture aux espèces sauvages, celles-ci affluent. Faites disparaître les céréales, perdreaux et cailles diminuent. Pourquoi, en novembre, nos plateaux sont-ils le rendez-vous des grives ? Profusion de genièvre. De même, tout territoire fort giboyeux verra se multiplier mammifères et oiseaux de rapine. Si une destruction méthodique n’est point entreprise d’une façon continue, ils causent de graves dégâts, surtout durant la période où ils ont des charges de famille.

Dans nos parages, aucun piégeage sérieux n’a été effectué depuis plusieurs années ; empoisonnement nul, destruction au fusil tout à fait accidentelle. À côté de cette inaction, des conditions naturelles propices : vastes bois touffus, broussailles, nombreuses haies, multiples terriers. Voilà plus qu’il n’en faut pour plaire à messire renard. Pas besoin d’insister sur son « travail » ; ce filou est assez connu, et il ne viendra à l’esprit d’aucun chasseur sérieux de le défendre sous prétexte qu’il mange le gibier faible, malade, susceptible de contaminer nos réserves. Demandez-lui un peu s’il fait des façons lorsqu’il rencontre une mère perdrix en train de couver ! Rôti, omelette, menu de choix dont Goupil se pourléchera les babines. Heureusement, les couverts et les lavanderaies protègent les poussins, qui, en terrain découvert, périraient croqués.

Belettes, putois, fouines n’abondent pas ; je crois leurs méfaits bien inférieurs à ceux de nos compagnons : les chiens et les chats. Certains, moins soignés à la maison, vont chercher un complément en battant les campagnes. Malheur aux nids et aux jeunes sans défense ! Certes, il n’est point aisé de fixer le chat, puisque son rôle lui octroie toute liberté. On doit le supprimer sans délai dès qu’il prend des mœurs vagabondes. Quant aux chiens, — on l’a dit mille fois, mais il faut le répéter, —s’ils sont bergers, leur place demeure près du troupeau. Le jour où on se montrera impitoyable pour tout animal errant ou chassant en temps prohibé, un pas de géant sera fait dans la bonne voie. Il existe trop de chasseurs insouciants qui éprouvent le besoin d’emmener leur toutou en se rendant aux champs.

Si tout le monde s’accorde pour jeter la pierre aux malfaiteurs à quatre pattes, bon nombre oublient les maraudeurs emplumés. En réalité, très peu de grands rapaces diurnes et nocturnes. Fort communs, les éperviers ont tôt fait d’apercevoir une compagnie éparpillée et de fondre sur un malheureux. Fusillons-les sans pitié.

Que pensez-vous des corneilles — appelées couramment corbeaux — et des pies ? L’oiseau à livrée de croque-mort, au cri lugubre, à la démarche lourde, n’attire guère la sympathie. On ne peut en dire autant de Margot. Observez-la dans la prairie : habit noir, plastron blanc, longue queue aux reflets chatoyants. Irait-elle au bal ? Elle possède des dispositions naturelles : c’est vraiment gracieux de la voir sautiller comme mue par un ressort secret. Son panache lui permet des acrobaties aériennes du plus joli effet. Sur la neige, en prenant son essor, le bout des ailes imprime de légers coups de pinceaux et la queue trace un superbe éventail. Ainsi, somme toute, ce serait un ornement de nos bois si dame Nature avait oublié de lui donner la voix. Quel organe agaçant ! Et elle s’en sert, la mâtine ! Tout est prétexte à crier : renard ou chat en vadrouille, venue d’un épervier, découverte de la chouette ou du grand-duc. Le discordant concert monte, monte, car, de très loin, les congénères arrivent à tire-d’aile, et les geais curieux veulent, eux aussi, constater ce qui se passe.

Quel tintamarre ! ...

Mais ne nous montrons point trop sévères : est-ce leur faute si elles ne peuvent rivaliser avec le rossignol ? Chacun de nous a-t-il un timbre parfait ? ...

Nous serions tout disposés à lui donner l’absolution si la turbulente bavarde n’était dotée d’instincts pillards et sanguinaires. Actuellement, il lui est difficile d’emporter nos pièces d’or, mais elle vole effrontément des billets de banque en chapardant les récoltes. À elle, cerises, prunes, raisins, figues et tous les fruits, sans omettre légumes, céréales ; ce qu’elle ne peut avaler ou emporter pour le dissimuler en quelque cachette est abîmé. Son robuste bec brise la coque des noix et des amandes ; le crâne des oiselets subit le même sort, les œufs constituent un délicieux entremets.

Il m’a été donné, une fois de plus, en août dernier, d’assister à une attaque de perdreaux rouges, gros comme des draines, dispersés dans un chaume. Une pillarde, juchée sur un amandier, se met à crier ; est-ce un signal ? Deux congénères la rejoignent. Jacassements à mi-voix, puis, brutalement, l’attaque. Les malheureux pouillards apeurés se précipitent vers la mère. Celle-ci, ailes mi-ouvertes, se jette au-devant des scélérates et pousse des cris d’effroi. Je surgis au bout du champ. Envol général. Aucune victime sur le sol, mais, si je n’étais intervenu, il y aurait certainement eu un ou deux manquants. Les pies se plaisent en la compagnie des becs rouges ; elles les suivent certainement dans un but intéressé : oiseau blessé que quelques coups de pic (leur bec en est un) achèvent.

Détruisons donc ces vilaines bêtes. On va me dire : « Les munitions sont rares et chères, inutile de jeter notre plomb à des oiseaux dont la chair est immangeable, pour une prime insignifiante. » Quel habile cuisinier trouvera une recette transformant la criminelle en pâté délicat ?

A. ROCHE.

Le Chasseur Français N°609 Août 1946 Page 230