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Chasses pendant la guerre et l’occupation

Lorsqu’on octobre 1940 la chasse fut ouverte dans la zone non occupée, la question des transports se posa avec acuité aux chasseurs. Elle fut résolue dans la plupart des cas par l’emploi de la bicyclette.

Faire cinquante kilomètres à bicyclette dans une journée vaut bien une partie de chasse. Ce ne serait même rien d’extraordinaire s’il n’y avait qu’à se véhiculer soi-même. Mais les chiens, en plus de la pénible journée de quête, on ne pouvait leur imposer une aussi longue course sur route. Alors, il fallut, selon la taille du chien, équiper la bicyclette soit d’un panier, soit d’une remorque. Les chiens légers évidemment étaient les plus pratiques. On ne pouvait pourtant immoler les gros. Un de mes amis transportait dans un panier, sur son porte-bagage, un rondouillard Setter anglais qui conservait dans sa position instable un air flegmatique et digne.

Au bas des côtes, on descendait de vélo, et chasseurs et chiens faisaient à pied la partie la plus pénible du trajet, les uns racontant entre eux des histoires de chasse, les autres gambadant, se battant, se jetant dans les roues.

Les retours étaient plus silencieux, la fatigue pesant sur les jambes et sur les langues, je me souviens de certains retours dans la nuit par vent debout, d’autres par une pluie battante, quand les rafales clouaient au sol, quand la pluie trempait jusqu’aux os. Pour être volontaire de pareille peine, il faut avoir une passion exigeante comme celle de la chasse.

Puis vint novembre 1942. L’occupation totale du territoire allait imposer aux chasseurs une autre peine : remettre les armes et les munitions. Certains ne déposèrent que de vieux fusils, d’autres, en possédant plusieurs, ne donnaient que ceux auxquels ils tenaient le moins. Beaucoup de chasseurs n’en possédant qu’un furent bien obligés de le mettre en fourrière. Avec quels soins tous ces fusils furent graissés, étiquetés ! En sortant de la gendarmerie, il manquait vraiment quelque chose. On était séparé d’un « être cher ».

Mais bien des armes prirent le chemin de cachettes, d’où elles sortirent à la libération. Les uns les bâtirent dans des murs, d’autres les enfouirent dans la terre, d’où elles revinrent souvent canons percés, mécanismes rouillés, crosses fendues ; les miennes se glissèrent dans un plafond.

Je peux dire aujourd’hui que mes fusils, qui dormaient dans l’ombre, ont eu parfois quelques heures de réveil. C’est ainsi qu’en février 1944 un de mes amis s’aperçut qu’il y avait un fort passage de bécasses. Il vint le soir me le dire. Ce fut vite décidé. Le lendemain, nous partions avant le jour, nos fusils camouflés sur nos bicyclettes. Nous levâmes seize bécasses, nous tirâmes quatre coups et en tuâmes trois. Les habitants des fermes ne manifestèrent aucune curiosité à notre égard. Mais, comme nous étions nous-mêmes un peu inquiets, nous n’avons pas osé chasser à fond. Un jour de neige, nous nous laissâmes tenter par une courte promenade au bord de la rivière. Nous avions un fusil à deux. Celui qui le portait le tenait suspendu au cou par la bretelle, les canons et la crosse pendant chacun d’un côté, cachés par un manteau. Un colvert fut abattu sur l’eau, mais il plongea et nous ne le revîmes plus.

En août, un matin, nous avons tué un lièvre, la veille même du jour où une armée allemande en retraite s’engageait dans la région. Cinq avions ennemis de reconnaissance nous avaient survolés à basse altitude et nous nous étions collés contre des troncs de mûriers.

Cette même année, en février, il advint que le temps était favorable pour l’affût à la grive : grand vent et froid. Avec mon ami, nous partîmes un matin dans la région de Lussan, armés lui d’une carabine de 14 millimètres, moi d’une 9 millimètres.

Le temps était superbe ; on n’aurait pas mis un chien dehors. Les eaux étaient gelées, le vent soufflait de toutes ses forces, les grives se déplaçaient sans arrêt. Avec notre armement léger, nous n’avions pas grand avantage. Ma 9 millimètres ne me permettait pas de tirer à plus de 8 ou 10 mètres. Il me fallait choisir un poste dans la tranchée d’un ruisseau, car le vent emportait la cendrée de mes cartouches. Je m’étais blotti au creux d’un buisson. Il y avait une petite flaque d’eau dont j’avais brisé la glace à quelques mètres devant moi. C’était là que je pouvais avec succès tirer les grives. Celles-ci tombaient dans une terre travaillée qui finissait au bord du talus du ruisseau, j’en voyais souvent un grand nombre sautillant à bonne portée pour un calibre normal. Supplice de Tantale. Il me fallait attendre qu’une d’elles vienne boire. Elles y venaient à patte, prenant tout leur temps, épiant le danger dont elles sentaient confusément la présence. Je tuai ainsi neuf litornes. Mon ami, avec sa 14 millimètres, en avait tué dix-sept.

Ma carabine de 9 millimètres me permettait aussi quelques jeux pour calmer mon impatience. Il y a, dans mon jardin, un gros lierre couronnant un mur. À la remontée, les tourdres viennent manger les fruits du lierre. Je tirais de l’intérieur même de la maison. Je guettais l’arrivée du gibier. Lorsqu’un tourdre était dans le lierre, j’entr’ouvrais doucement la porte. Derrière moi, mes deux enfants suivaient mes mouvements avec le plus vif intérêt pendant que ma griffonne Ora, les yeux brillants, attendait de jouer son rôle. La carabine claquait. Ora dévalait l’escalier en trombe et, si le tourdre était tombé, elle avait tôt fait de le trouver et de le rapporter, à la grande joie de mes enfants.

Il y eut aussi pendant l’occupation un ersatz de chasse : la chasse du lapin au furet avec bourse. Les sociétés de chasse communales interdisaient toutes dans la région l’emploi du furet. Aussi lorsque seul le furetage fut autorisé, les interdictions devinrent caduques, j’ai peu pratiqué ce « sport », car le furet me répugne, et cet affreux animal doit le savoir, car, lorsque je le mets dans une garenne, il s’obstine à n’en ressortir que deux ou trois jours plus tard.

Le furetage fut quand même avec le piège et le lacet un remède souverain contre le pullulement des lapins.

Certes, la pensée des souffrances des victimes de la guerre faisait supporter tacitement les impatiences de la passion de la chasse insatisfaite. Mais l’esprit n’en demeurait pas moins chasseur, et nous avons souvent supputé, entre amis, les chances que le temps nous aurait données tel jour si ... Et la lecture fut souvent le moyen de revivre un passé heureux et d’attendre un avenir meilleur.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°609 Août 1946 Page 230