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Souvenirs de chasse en Roussillon

L’armistice de 1940 me surprit en Pyrénées-Orientales, au moment où l’état-major dont je faisais partie devait s’embarquer pour l’Algérie à Port-Vendres.

Démobilisé sur place et empêché par les autorités occupantes de regagner mon domicile en Lorraine, je me fixai provisoirement dans le pays, à T ...

L’accueil chaleureux et spontané que nous réservèrent les habitants fit que, malgré l’amertume causée par la défaite, l’absence de nouvelles de nos familles et du sort qui leur était réservé, la vie nous apparut moins triste et plus supportable. Il est juste aussi de dire que notre foi inébranlable dans les destinées de notre patrie fut pour nous, réfugiés lorrains, un réconfort et un stimulant salutaires.

Et puis « qui se ressemble s’assemble », dit un proverbe ; c’est vrai pour les chasseurs comme pour les amoureux, aussi fis-je vite la connaissance des chasseurs du lieu, tous infatigables marcheurs, bons fusils en général et, de plus, excellents camarades.

Nous chassions principalement le sanglier sur les collines qui bordent la plaine, à l’ouest, et qui constituent les contreforts du massif du Canigou.

Le mode de chasse différait sensiblement de celui que j’avais pratiqué en Lorraine et dans les Ardennes, où les forêts et les bois sont, en général, fractionnés par enceintes de moyennes et petites étendues, ce qui rend la chasse facile. En Pyrénées-Orientales, il n’en est pas de même : d’immenses étendues boisées irrégulièrement sont d’un seul tenant, aussi nous contentions-nous de lâcher les chiens en pleine forêt, bien appuyés par des traqueurs connaissant parfaitement la montagne.

Si, parfois, je devais rester de longues heures, souvent la journée entière, au même poste, sans entendre les chiens ni les traqueurs, j’avais toujours le plaisir extrême, dont jamais je ne me lassai, de jouir, de mon poste, du spectacle unique qu’offre à la vue cette superbe, fertile et ensoleillée plaine du Roussillon.

Face à l’est, à la mer, dont le flot vient battre la « Côte Vermeille », vous apercevez à vos pieds d’abord de petites collines verdoyantes et boisées principalement de chênes-lièges, de chênes verts, de pins et de châtaigniers. De place en place, s’étalent de grandes taches mauves, vertes et jaunes, que font les bruyères et les genêts en fleurs ; on y découvre de vieilles chapelles qui dressent vers le ciel leurs clochers ajourés, trop souvent en ruines, des mas adossés aux rochers, des fumées blanches ou bleues qui indiquent l’emplacement d’une meule à charbon de bois en combustion. Par-ci par-là, au pied des collines, des ruisseaux et rivières serpentent entre des rangées de grands roseaux.

Semés un peu partout, vous distinguez des mas isolés, des hameaux, des villages, entourés de vignes, d’arbres fruitiers et de haies de cyprès.

Des villes apparaissent aussi : Ille-sur-Têt, Millas, Saint-Laurent-de-la-Salanque, Perpignan dominé par sa citadelle, ancien château des rois de Majorque, Thuir, Bages, Argelès, Elne, Céret, le Boulou, etc., enfin la Côte Vermeille, qui se découpe pour mieux abriter les ports si pittoresques de Collioure, Port-Vendres, Banyuls et Cerbère.

Plus loin, au large, on découvre les voiles blanches et triangulaires des barques de pêche, les lourds panaches de fumées noires qui s’échappent des cheminées des massifs cargos et les silhouettes fines des paquebots rapides qui se dirigent vers Cette, Marseille, l’Algérie ou l’Espagne.

À votre gauche, au nord, s’étale la ligne des Corbières, renommées pour leurs vins fameux ; Salses et son vieux fort du XVe siècle ; Rivesaltes, patrie du calme et grand soldat Joffre ; Tautavel, Estagel, berceau d’Arago ; La Tour de France, Maury si pittoresque, etc.

À votre droite, au sud, les Albères se découpent dans un ciel se confondant avec la mer, se hérissent de place en place de tours en ruines, vestiges de ce qui fit, il y a un siècle et demi, la gloire de Chappe. Au Perthus, elles s’interrompent un moment pour laisser passer la route d’Espagne, que protège le fort de Bellegarde, où repose le corps de Dugommier ... Plus loin, vers le sud-est, elles viennent doucement se noyer dans les flots, à Cerbère.

À l’ouest, vous croyez pouvoir toucher de la main les pentes du Canigou, dont le sommet, enneigé presque toute l’année, domine fièrement cette magnifique plaine qui s’étale à ses pieds.

Qui n’a pu jouir d’une telle vision d’ensemble ne peut entièrement comprendre la véritable beauté naturelle de notre pays. Celui qui a pu apprécier un lever de soleil au large de la Côte Vermeille et assister le même jour à un coucher sur le sommet embrasé du Canigou s’est senti meilleur, plus heureux de vivre et, s’il est chasseur, il s’estime largement dédommagé de sa longue attente au poste, même s’il n’a vu aucun gibier. On apprécie mieux ainsi notre belle France, qui sait offrir de telles féeries, et l’on ne doute plus ensuite qu’elle fut favorisée de Dieu.

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D’autres chasses que celle du sanglier se pratiquent aussi en Roussillon. On y rencontre le lapin de garenne ; le lièvre de pays, petit de taille, y est rare ; en revanche, la perdrix rouge est assez abondante, à l’encontre de la grise, plus petite, qui n’est représentée que par quelques compagnies disséminées dans la plaine. Les ramiers et tous autres pigeons sauvages, ainsi que les grives, la caille, le vanneau, la bécassine, les canards et tous oiseaux de passage y séjournent par bandes nombreuses avant d’émigrer en Espagne et lors de leur retour de printemps.

En montagne, on rencontre la gelinotte ou poule des bois, le petit tétras ou coq des bouleaux, le lièvre variable et le lagopède, que l’on désigne généralement sous les noms de lièvre et perdrix blancs (cette dernière appartient à la famille des tétras) ; tous deux demeurent sur les sommets (puigs) dénudés, aiment les neiges et glaciers et se tiennent rarement au-dessous de 2.000 mètres. Le grand tétras, que certains vieux chasseurs m’ont affirmé avoir chassé autrefois, a dû totalement disparaître ; ce serait fort regrettable, car c’est le plus bel exemplaire de tous nos gibiers nationaux à plumes.

En résumé, le Roussillon est certainement, après la Camargue, la région méditerranéenne la plus giboyeuse, grâce à l’apport saisonnier que lui offrent les oiseaux de passage. Le gibier sédentaire est assez abondant du fait qu’il trouve une protection naturelle dans les nombreux couverts que sont les vignes, les bois et la montagne.

Quant à l’isard, il existe en Pyrénées-Orientales, et il n’est pas rare d’en voir en haute montagne, lorsqu’on sait le chercher là où il est. Son extrême méfiance, sa prodigieuse agilité et son extraordinaire vitesse sont plus efficaces pour sa sauvegarde que tous les arrêtés préfectoraux les plus sévères et restrictifs. Reconnaissons, cependant, qu’une protection rigoureuse s’impose, si l’on ne veut pas voir, un jour prochain, disparaître totalement l’isard de nos montagnes.

Je parlerai spécialement et plus longuement de sa chasse dans de prochains articles, mais, dès maintenant, je tiens à vous prévenir, chers amis chasseurs, qu’il ne vous suffira pas d’invoquer saint Hubert, vous armer d’une carabine à jumelle, gagner la montagne et là attendre qu’un chamois vienne à votre rencontre et se fasse fusiller à bonne portée de fusil.

Le fait s’est produit, mais il reste exceptionnel, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me permettrai de l’écrire.

Outre qu’il faut un guide sûr, il faut aussi compter sur les difficultés matérielles que l’on rencontre habituellement au cours d’une séance de chasse en montagne, telles que : ascensions pénibles, glissades parfois dangereuses, éboulements de terres, roches et neige, qu’un chasseur ou un gibier placé plus haut que vous occasionne à l’improviste. Parfois, aussi, défense farouche d’un animal blessé, ou charge d’une harde traquée et acculée sur une plate-forme dont vous comptez interdire l’unique et étroite issue. Le cas s’est vu plus d’une fois, et je me souviens d’une séance mouvementée où mon camarade Aug ... B ... faillit y laisser la vie.

Tout ceci ne doit cependant pas vous détourner de ce grand sport qu’est la chasse au chamois, qui demeure une belle école d’endurance, de volonté, de force et de courage, toutes qualités utiles à faire naître ou à développer chez des Français sportifs.

Commandant L. C ...

Le Chasseur Français N°609 Août 1946 Page 232