Les effectifs de ces races ont subi les influences de la
guerre, du fait des bouleversements qu’elle a entraînés, réduisant les uns au
point le plus dangereux, épargnant plus ou moins les autres. Mais tous ont été
touchés. Lorsque les événements n’ont fait que provoquer la suppression des
sujets de peu de valeur, il ne faut pas le déplorer. Malheureusement, leur
influence s’est étendue bien au delà, et enfin les chenils des régions
dévastées ont été, pour la plupart, anéantis.
Inutile de s’inquiéter de races, autant dire disparues,
telles que le Briquet d’Artois, qu’on ne regrettera jamais assez ;
l’Artésien normand, qu’on pouvait sauver en le désempâtant ; le Fauve
de Bretagne, victime de son caractère.
Dans les régions de l’Ouest, le Briquet-Griffon vendéen
était prospère encore il n’y a pas tant d’années. On ne saurait le dire
désormais. Les effectifs en sont si réduits qu’un éleveur bien connu a dû
recourir à une retrempe par le Porcelaine. L’expérience semble avoir réussi,
améliorant la gorge, renforçant le nez et conférant de l’ordre à cet excellent
Griffon, compagnon désigné du chasseur recherchant le chien lanceur, actif et
débrouillard, capable de rendre tous les services, même en petite compagnie,
soit même seul. La disparition de ce Briquet codifié, possédant toutes les
vertus du chien à lièvre, serait une perte sensible pour notre cheptel
national. On ne voit pas comment on le remplacerait. Les Briquets de pays, sans
origines suivies, peuvent parfois manifester des mêmes aptitudes, mais leur
élevage est plein de déceptions. Tentons donc l’impossible pour conserver un
chien à tout faire, susceptible de contenter quiconque pratique en régions
difficiles et prétend s’attaquer aux gibiers les plus menus comme aux plus
importants. Les amateurs du coup de fusil y trouveront leur compte.
Jetons les yeux vers le Midi du Sud-Ouest. La région des
Pyrénées et d’autres départements limitrophes ont élevé, de tout temps, un
certain nombre de variétés de courants destinés à chasser le lièvre. La finesse
du nez et la gorge superbe de ces chiens, leur distinction, leur ascendance
purement française leur font place à part dans le cheptel national. Leur
disparition serait une catastrophe pour la petite vénerie, ce que savent bien
les veneurs attachés à l’amélioration ou seulement au maintien des petits Anglo-Français,
actuellement si appréciés. Bien entendu, ce serait perte irréparable pour les
chasseurs méridionaux. Pour suivre une voie de lièvre sur les sentiers pierreux
des montagnes, on ne conçoit pas qui les pourrait remplacer. Sous l’influence
d’une loi bien connue, dans ce mélange de sang de Gascogne et de Saintonge,
devait enfin prévaloir celui dont le dosage était le plus fort. L’immense
majorité des jolis chiens présentés comme Ariégeois montrent un crâne de la meilleure
Gascogne. En fait, un peu moins bleus que leur cousin plus que germain le Petit
Bleu de Gascogne, ce sont, pour le cynologue, les mêmes personnages. Des
quelques sondages exécutés, il résulte, pour le moment tout au moins, une
certaine incertitude sur l’importance des effectifs désirables. Nous voulons
espérer que l’impossible sera tenté pour les corser. Peut-être sont-ils plus
fournis que l’enquête en cours ne le révèle ; parce que, dispersés parmi
les chasseurs campagnards en petits lots, ceux-ci ignorent les travaux de la
cynophilie militante, négligeant de la renseigner.
Dans le Sud-Est, le chien de Porcelaine, autrefois
répandu dans toutes les régions de la France, continue sa carrière, élevé par
un certain nombre d’amateurs attachés à cet élégant et bon serviteur. En dehors
de son berceau, on a eu le tort de le grandir et alourdir à l’excès par des
croisements normands. Ces pratiques lui ont nui. On s’en est aperçu lorsqu’en
ces dernières années il s’est présenté aux épreuves. Il faudrait donc, dans son
intérêt, y renoncer et songer plutôt à sa parenté avec le Briquet suisse blanc
orangé dont il sort. Celui-ci, par sa taille et son initiative, a tout ce qu’il
faut pour remettre physique et moral en bon ordre.
À la veille de la guerre, sous l’influence d’un veneur
distingué qui vient de mourir, le Griffon nivernais véritable, race
antique entre toutes, était enfin redevenu en faveur près des chasseurs à tir
de sangliers. Nous espérons la situation de ce chien intrépide en bonne
posture. N’oublions pas encore son goût pour la voie de la loutre. Les Anglais
ne cachent pas avoir recruté dans le Nivernais leurs fameux Otterhounds.
En 1939, le regretté président de la Société de vénerie
étudiait la race du Bruno du Jura (type Bruno), dans l’intention de lui
faire reconnaître un statut officiel. L’idée était hautement louable. Cette
forme, représentée par un certain nombre de variétés disséminées sous noms
différents des deux côtés de notre frontière et jusqu’en Italie, est très
ancienne. C’est un élégant chien de taille moyenne que ce Bruno, sous robe
fauve ou noire et feu mal teint, chien à lièvre, chien à chamois, de haute
initiative. Le Briquet dit de Provence lui est apparenté et aussi le chien
courant italien à poil ras.
Restent les petits chiens anglais et les dérivés
anglo-français.
Le Beagle se taille la part du lion. C’est
probablement, depuis une dizaine d’années, le courant le plus populaire par
toute la France. Il en reste beaucoup et d’excellents, mais ses éleveurs
doivent éviter de le croiser à tout propos avec le Beagle Harrier, sous peine
de nuire à l’homogénéité d’une race si apte à produire dans le type, lorsqu’on
la maintient en état de pureté.
Le Petit Beagle lui-même fait des conquêtes au
détriment du Basset à jambes droites et s’est beaucoup amélioré en ossature et
musculature. Le modèle « Toy », vraiment trop léger, souvent long et
à la face pointue ou trop réduite, paraît liquidé.
Le Beagle-Harrier est une formule pour le moment
assez instable, répondant admirablement à certains besoins. On peut déplorer
qu’elle ait été voulue à prédominance de sang Beagle. Cela a nui à celui-ci,
comme on l’a dit, et au Beagle-Harrier en provoquant la production d’un modèle
lourd, genre Beagle géant et épais, à rejeter complètement. Le Beagle-Harrier doit
chercher l’homogénéité dans la réalisation d’un extérieur élégant, rappelant
plutôt le physique du Modern Harrier, dans une formule réduite en taille et
volume. Par conséquent, le standard en vigueur gagnerait à subir quelques
retouches.
Le Petit Anglo-Français est légion. Cependant, la formule la
plus appréciée est celle d’un tricolore à manteau, de 0m,50 à 0m,55,
distingué, faisant chien d’ordre en réduction, issu d’alliances entre le
Beagle-Harrier du bon modèle ou le Harrier moderne et les diverses races
françaises de chiens à lièvre. Chaque région possédant une race indigène
définie réalisera sans doute son Anglo-Français particulier, exactement comme
cela s’est passé pour les chiens de grande vénerie. Tant qu’on chassera le
lièvre à courre, ou même à tir, l’avenir de ces diverses combinaisons est
assuré. Elles auront porté le coup mortel aux races lourdes, maintenues par
respect de traditions routinières.
Quant aux Bassets, on en aura toujours besoin. L’allure
réduite de ceux à jambes mi-torses s’impose en certaines circonstances. En
outre, ces chiens ont des qualités d’ordre précieuses, que les Anglais, ont
promptement reconnues.
Le véritable Basset d’Artois, avec la tête et les
oreilles, le corps et le moral classiques, est réfugié en Angleterre.
Le Basset artésien-normand, dont Verrier disait qu’il
était surtout normand et normand amélioré, est un excellent et parfait chien
pour chasser en meute partout où les accidents de terrain ne sont pas
excessifs. Il en reste des lots assez fournis pour qu’il n’y ait pas lieu de
s’inquiéter de son avenir. Les éleveurs normands, en allégeant leur lourd
Basset primitif ont, une fois de plus, montré leur habileté et leur sens des
réalités.
Il n’y a pas beaucoup de Bassets bleus de Gascogne,
mais ils conservent des partisans convaincus, séduits à juste raison par leur
distinction, leur gorge extraordinaire, leur excellent nez et leur tenue
classique sur la voie.
Le Basset à jambes droites, essentiellement
représenté par le Vendéen (car il n’y a guère de mi-tors dans ses
rangs), semble avoir moins souffert que le Briquet de même province. Il y aura
toujours des amateurs pour la paire de Bassets vendéens, avec laquelle celui
qui ne peut ou ne veut avoir un effectif important fera des étincelles à la
chasse à tir. Car je ne les vois pas comme chiens de vénerie, ces bons toutous,
si précieux auxiliaires du porteur de fusil.
Ce qu’il reste du petit Basset fauve de Bretagne,
leste et vif, est probablement infime, et c’est dommage. Il a été victime de sa
couleur, attirante aux fusils chauds, et du déplorable croisement avec le
Teckel. C’est plus qu’il ne faut pour périr.
En résumé, l’invasion anglaise s’est affirmée parce que les
chiens qui la représentent répondent, pour la plupart des régions, aux besoins
et aux goûts de l’amateurisme. Il n’y a pas à en gémir. C’est un fait devant
lequel il n’est que de s’incliner.
Qui voudrait s’insurger n’a qu’à lire les conseils prodigués
depuis un quart de siècle aux éleveurs des chiens à lièvre de race française,
les mettant en garde contre les tailles trop élevées et le poids mort. Il
méditera sur l’intérêt rétrospectif de cette littérature opportune et
désintéressée, dont on voit maintenant et trop tard le bien-fondé.
R. DE KERMADEC.
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