Personne n’a oublié de quelle vogue « formidable »
ont joui, pendant quelques années, les jardins miniatures qui suscitèrent de
leurs nombreux amateurs une fervente admiration.
Certes, chacun voulait avoir le sien façonné par lui-même,
aussi original que possible ; en vérité, ces réductions invraisemblables
— mais vraies — de plantes variées ont bien un certain cachet, mais
bien peu d’entre nous se demandent par quel miracle de la nature ou de l’homme
se « fabriquent » ces merveilleuses créations.
Merveilleuses ? Peut-être pas complètement, car, si
elles en avaient le pouvoir, ces plantes « minimisées » crieraient
éperdument leur atroce supplice. Car il est bien manifeste que si un thuya, par
exemple, qui atteint normalement une hauteur de 5 à 10 mètres, avec une
ramure en rapport, peut donner des rejetons ayant pour tout « espace
vital » la valeur d’une coque de noix, ce ne peut être que sous
l’influence de douloureux traitements opprimant ses facultés végétatives
normales, et tout cela pour plaire à une mode tyrannique.
Depuis longtemps, la Chine et le Japon, nos initiateurs, nos
maîtres en ce domaine, excellent d’une façon absolue dans cet art ;
travaillant d’abord sur les arbres les plus variés, ils les amènent à un tel
degré de nanisme qu’ils peuvent, tel un conte de fées, faire tenir toute une
forêt sur un plateau de laque ; mais rien que de la verdure devenant
monotone, les plantes florales et ornementales diverses soumises aux mêmes
conditions donnèrent un attrait de plus à ces jardins lilliputiens, qui, dès
lors, sur une surface de quelques centimètres carrés, purent offrir une infinie
variété, suscitant l’admiration même des plus exigeants.
Quels sont donc les procédés qui permettent de faire des
nains avec des géants ? On ne saurait, comme dans le règne animal,
invoquer le rôle de sécrétions endocrines, évidemment. Peut-être alors des
injections qui, au lieu de stimuler la croissance, ralentissent, au contraire,
les divers processus ? Sans doute seraient-elles possibles et, en
produisant une sorte d’intoxication spéciale, pourraient-elles arriver à
freiner la nature ; mais nulle recherche n’a été faite dans ce sens, ce
qui ne veut pas dire qu’un jour, peut-être prochain, on ne découvrira pas le
corps en question ; n’a-t-on pas, ces dernières années, trouvé des
propriétés stimulantes des tissus à la colchicine, à l’hétéro-auxine ?
Pourquoi la contre-partie ne serait-elle pas ? Au reste, c’est le même
principe directeur qui est à la base des méthodes employées.
D’ordinaire, on opère la greffe entre espèces extrêmement
voisines ; inversement, si on greffe entre elles les variétés ayant
extrêmement peu d’affinité, la soudure s’opérera très lentement : la
plante ainsi subsistera à l’état de vie latente, et cet état sera d’une durée
d’autant plus longue que les conditions biologiques de chaque individu (sujet
et greffon) seront aussi dissemblables que possible, tout en permettant
néanmoins que la fusion s’opère sur une durée de plusieurs mois. Il va de soi
que c’est demander beaucoup à des organismes jeunes, donc fragiles, et que de
telles unions, loin d’être des modèles de perfection, se rompent bien avant
d’avoir atteint même la simple adolescence. Beaucoup d’appelés et peu
d’élus ! D’autre part, en admettant que les deux conjoints vivent sinon en
très bonne intelligence, en tout cas en harmonie (à peu près passable), il
suffira de connaître exactement les besoins normaux de notre martyr et de le
soumettre justement à toutes les restrictions possibles compatibles avec la
vie. Cela est véritablement très simple puisque, au fond, c’est une privation
relative d’aliments, d’air, de lumière, de chaleur, d’humidité qu’il faut lui
imposer, et on convient que ce n’est pas exagérer que d’appeler notre sujet en
expérience une plante martyre. Et, parmi les différents facteurs envisagés,
ceux de l’alimentation et de la lumière sont de beaucoup les plus riches en
succès, car, très facilement dosables et modifiables, ils peuvent, avec un peu
de pratique et d’expérience, être réalisables facilement : sans entrer
dans le détail même de la fonction chlorophyllienne, on sait que la lumière,
pour nécessaire et indispensable qu’elle soit à l’élaboration de la sève et des
sucs des plantes vertes, n’en devient pas moins très vite néfaste lorsqu’elle
se trouve accrue en durée et en intensité : les pigments se trouvent
momentanément annihilés et, par contre-coup, toutes les synthèses
organiques : c’est donc, en quelque sorte, à une lente agonie qu’on soumet
ainsi les plantes, qui, tels de grands malades, ont besoin d’être tenues en
continuelle observation pour éviter les accidents possibles, le parasitisme ou
la mort qui s’ensuivraient facilement.
Certes, on conçoit qu’en voulant « forcer » si
étrangement la nature celle-ci se venge ... et qu’on enregistre de grosses
pertes parmi les « monstres obtenus ». Et ces derniers ne cesseront
de réclamer — durant leur triste et courte vie — des soins sans cesse
vigilants. Dans un état de « misère physiologique » si poussée, nos
végétaux lilliputiens ne seront capables de vivre « qu’en serre
tempérée », loin des excès de tous genres et dans un parfait état de
propreté. Par suite des associations de plantes aux exigences souvent très
différentes sur quelques centimètres carrés et sur un milieu de cailloux et de
mousse, il apparaît comme un difficile problème de satisfaire aux besoins de
chacune, sans nuire aux autres : c’est là l’art essentiel des
professionnels que les amateurs de ces originaux jardins devront consulter avec
profit. Tout de même, c’est un joli prodige de pouvoir faire voisiner dans une simple
coupe l’edelweiss des Alpes avec les plantes grasses de l’Équateur sous l’ombre
« vigilante » de quelque cèdre lilliputien et, pour invraisemblables
que soient les jardins miniature, ils ont conquis, à juste droit, notre
admiration ... et un peu aussi, sans doute, de notre amour !
P. LAGUZET.
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