Une loi du 13 avril 1946, modifiant sur un certain
nombre de points l’ordonnance du 17 octobre 1945 relative au fermage, a
introduit dans cette ordonnance un article nouveau se plaçant entre l’article 42
et l’article 43, numéroté 42 bis, qui est conçu comme
suit : « Le preneur a le droit de chasser sur le fonds loué. S’il ne
désire pas exercer ce droit, il doit le faire connaître au bailleur par lettre
recommandée avec accusé de réception. » C’est là une innovation qui ne
manquera pas de soulever un certain nombre de difficultés. Nous allons essayer
d’en résoudre quelques-unes.
Avant cette loi, la question se posait de savoir, en cas de
fermage, qui, du propriétaire ou du fermier, avait le droit de chasser. La
jurisprudence admettait qu’à défaut de toute indication contraire résultant des
clauses du bail le propriétaire conservait le droit de chasse, car on ne peut
présumer la renonciation à un droit (arrêt de la Cour de cassation du 5 avril
1866, rapporté au Recueil Dalloz, 1866, I, p. 411). Il n’en était
autrement que s’il s’agissait de la location d’un terrain entouré d’une clôture
continue attenant à l’habitation ou constituant une véritable dépendance de
l’habitation.
Cette dernière hypothèse écartée, on décidait que le fermier
ne pouvait chasser sur les terres affermées à moins qu’une clause formelle du
bail ne lui en donnât le droit. Dans le cas même où une clause du bail
conférait au fermier le droit de chasser, on décidait que le bailleur n’en
conservait pas moins le droit de chasse, qu’il pouvait autoriser des tiers à
chasser sur les terres affermées et même louer le droit de chasse (voir sur ces
questions notre Manuel juridique de la chasse, 4e édition,
p. 42 et suivantes).
Les observations qui précèdent vont nous servir pour
résoudre quelques-unes des difficultés soulevées par le texte nouveau.
Un premier point n’est pas douteux ; contrairement à ce
qu’on présumait antérieurement dans le silence du bail, le fermier a le droit
de chasser. Il peut d’ailleurs y renoncer. Bien que le législateur paraisse imposer
pour cette renonciation l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de
réception, nous croyons que, si, lors de l’établissement du bail, le preneur
accepte de ne pas bénéficier du droit de chasser, il suffirait de le mentionner
dans le bail et qu’en présence d’une telle clause le fermier ne pourrait
prétendre avoir le droit de chasser faute d’avoir adressé la lettre recommandée
prévue au texte nouveau.
L’envoi de la lettre recommandée ne paraît s’imposer que
dans le cas où le bail est muet sur le droit de chasse, soit que les parties
n’aient pas envisagé la question lors de l’établissement du bail, soit que le
fermier n’ait pas voulu, à ce moment, renoncer au droit de chasser et que, par
la suite, il vienne à changer d’avis.
Lorsque le fermier ne renonce pas au droit de chasser que
lui confère le nouveau texte, quelles en sont les conséquences au point de vue
du droit du propriétaire ?
À notre avis, le propriétaire conserve le droit de chasser
personnellement sur les terres affermées ; il peut même autoriser des
tiers à y chasser ou transmettre son droit au moyen d’un bail de chasse. Cette
solution nous paraît la conséquence de la formule employée par le législateur
dans le texte nouveau ; il ne dit pas : « le fermier a le droit de
chasse », mais « a le droit de chasser » ; la
nuance est sensible : le droit de chasse n’est pas enlevé au propriétaire.
Au surplus, il semble bien que la seule innovation que le législateur ait voulu
apporter à l’état de choses existant a été de renverser la présomption :
désormais, dans le silence du bail, on doit reconnaître au fermier le droit de
chasser, mais sans donner à ce droit une portée plus exclusive que ne
l’admettait l’ancienne jurisprudence, que nous avons exposée tout à l’heure.
Plus délicate est la question de savoir si le fermier
bénéficiant du droit de chasser peut autoriser des tiers à exercer ce droit
avec lui, ou en son lieu et place. Nous croyons que la réponse à cette question
doit être négative : c’est au fermier personnellement que le texte nouveau
confère le droit de chasser. Le point, cependant, est discutable, et l’on peut,
en faveur de la solution contraire, rappeler qu’en matière d’animaux nuisibles
on admet que, si le droit de destruction est accordé par la loi au fermier, ce
dernier peut en déléguer l’exercice à des tiers, ou y faire participer ses
parents et alliés vivant avec lui.
La disposition nouvelle s’applique-t-elle aux baux à ferme
passés avant sa promulgation ! Cela nous paraît indiscutable, en ce sens
que, s’il n’y a pas de bail écrit ou si le bail est muet quant au droit de
chasse, le fermier a le droit de chasser. Mais si le bail, par une clause
formelle, a précisé que le fermier n’aura pas le droit de chasser, nous pensons
que la disposition nouvelle ne vient pas modifier les conséquences de cette
clause. Cette disposition, nous le répétons, nous paraît n’avoir qu’une portée
limitée : interpréter l’intention des parties quand elles ne l’ont pas
exprimée clairement.
D’autres points peuvent donner matière à discussion, mais la
place limitée dont nous disposons nous oblige à en remettre l’examen.
Paul COLIN,
Avocat, à la Cour d’appel de Paris.
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