Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°610 Octobre 1946  > Page 285 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Du caractère des chiens

Je ne voudrais pas que les amateurs de chiens de race pure trouvent que, dans les lignes qui vont suivre, mon intention soit de jeter une pierre dans leur jardin ! Loin de  moi cette pensée ... J’ai eu de parfaits Pointers, excellents au marais et qui n’hésitaient pas à se mettre à l’eau en plein hiver : du reste, le regretté M. Ternier n’a-t-il pas raconté qu’il avait également un Pointer allant chercher le gibier au milieu des vagues de la mer ? J’ai eu ... mais, ce que je veux surtout montrer, c’est la différence de caractère qui existe entre certains chiens, compte non tenu des races et de leur plus ou moins grande pureté d’origine.

Bien avant que le chien Picard « bleu » n’ait été reconnu comme race, je possédais une petite chienne Picarde de la couleur originelle, c’est-à-dire gris moucheté et foie. Le chien Picard est souvent lymphatique ; elle, au contraire, était d’une extrême nervosité, vive comme du vif-argent, mais, si elle avait un nez excellent et un arrêt ferme, elle avait la déplorable habitude de foncer au départ : cela lui valut une fois, au bois, de recevoir un coup de fusil derrière la tête. Elle s’en remit, mais eut un écoulement du nez qui lui supprima tout odorat et la rendit donc désormais inutilisable à la chasse. Je la donnai à un gros Setter lemon, elle qui était de toute petite taille, et j’obtins des produits de taille intermédiaire, les uns de la couleur de la mère, les autres « bleus », mais tous excellents et de grand nez. Telle fut, ou à peu près, l’origine de la variété bleue de Picardie, car ces faits se passaient il y a une bonne cinquantaine d’années ; or beaucoup d’amateurs ont prétendu que la couleur avait été obtenue par le croisement avec le Setter noir et feu dit « Gordon ». L’on voit combien c’est faux. Ces chiens étaient parfaitement équilibrés comme nez et pattes, c’est-à-dire très meurtriers.

J’eus aussi, je l’ai dit, de très purs Pointers dont je tirai race, mais qui arrêtaient trop facilement les places chaudes, ce qui était assez ennuyeux.

Une autre fois j’eus, un peu avant 1914, un Setter totalement dénué de nez, mais le meilleur chien de compagnie qu’il fût possible de trouver ; or, au même moment, je trouvai dans une pâture un malheureux Setter d’une dizaine de mois, abandonné. J’eus beau mettre des annonces dans la presse, personne ne vint le réclamer. Bien qu’il fût maigre à faire peur, couvert de vermine, etc., je le conservai donc. L’ayant emmené pour ses débuts au marais, je m’aperçus que, contrairement à l’autre et en dépit de son âge, il avait un nez particulièrement puissant et un arrêt splendide. Mais il y eut le revers de la médaille : la première bécassine fut avalée en deux coups de dent, la seconde aussi ! Je me dis alors que ce chien avait sans doute été perdu volontairement, car l’on n’avait pu lui faire perdre l’habitude de manger le gibier. Je lui allongeai donc un coup de fusil, ce qui le fit rentrer à la maison en hurlant ; mais, depuis, il ne toucha plus jamais à une pièce quelconque. Au contraire, et, comme il avait un nez parfait, il arrêtait toute pièce morte. Sans doute pensait-il que c’était le gibier qui lui avait valu ce coup de fusil et qu’il était dangereux de le prendre en gueule. Pendant une dizaine d’années, j’eus, sauf le rapport, le plus merveilleux, le plus complet chien que l’on puisse désirer, à un tel point que je ne pouvais plus chasser quand il y avait du monde autour de moi : chacun venait me demander de retrouver une pièce perdue ! Et c’était vivement fait. Trois jours avant sa mort, il arrêtait encore de longueur des bécassines.

J’eus aussi un Griffon poil dur de forte taille, bon chien de travail, mais ayant deux défauts. D’abord, il avait peur des vaches — sans doute avait-il reçu un coup de corne étant jeune ? — ce qui le faisait abandonner toute chasse quand il en voyait une à l’horizon et rentrer au bercail à grande allure ; ensuite, il était enragé quand il sentait un lapin dans un terrier, et il était quasi impossible de l’en arracher. Autrement dit, quand on chassait dans un bois ayant de forts ronciers, il fallait passer son temps à chercher le chien occupé à gratter. Un amateur me demanda une fois si je connaissais un chien indiquant les terriers habités ; je lui dis qu’il ne pouvait mieux tomber. Il prit le chien à l’essai et s’en déclara enchanté : c’était forcé ...

Mais la plus curieuse de mes aventures — ou mésaventures — canines fut la suivante.

Je demandai un jour à un garde de ma connaissance s’il ne pouvait me trouver un roquet quelconque pour chasser le lapin dans les ronciers. Il m’amena le jour suivant la chienne la plus laide que j’eusse jamais vue. Longue comme un Teckel, de poil demi-long, couleur queue de vache, avec quelques taches blanches, un nez pointu, la queue en trompette, des pattes demi-basset, elle n’en avait du reste que trois d’utilisables, boitant fortement de l’une d’arrière, etc. ; je crus à une mauvaise plaisanterie quand on me l’amena. Telle quelle, cependant, elle n’avait pas son égale pour trouver et « dégîter » le plus rebelle des garennes. La malheureuse ! À force de passer dans les ronces et les épines, elle n’avait plus un poil sur le dos et refusait de travailler, ce qui se conçoit, quand il faisait trop mouillé sous bois. Mais elle avait un défaut : il était inutile d’essayer de l’empêcher quand ... l’envie lui en prenait !

Elle arrivait à se sauver et revenait régulièrement pleine, alors que, non moins régulièrement, je faisais disparaître les portées ...

Sauf une fois où, je se sais par quel caprice, je conservai un chiot blanc et noir. J’eus un chien de la taille d’un assez grand Fox-Terrier à poils drus, bien entendu rien d’un Adonis canin, mais d’une intelligence supérieure. Chose bizarre, ce chien, qui jamais n’avait été dressé, est un chasseur remarquable, qui trouve, arrête et rapporte le gibier aussi bien à l’eau qu’à terre, et même des pies et des corbeaux, oiseaux pour lesquels, on le sait, tous les chiens ont une profonde aversion. Son nez est extraordinaire, valant celui d’un Pointer, ce qui ne l’empêche pas de parfaitement chasser le lapin au bois. Il est très bon de garde, et, somme toute, c’est un « bon garçon de chien », un chien complet comme on en rencontre rarement. Et il ne faut pas désespérer de lui apprendre à chasser la fouine au grenier. Mais, quand il estime que l’on a assez chassé, il enterre la pièce qui vient d’être tuée, sans autre forme de procès. Cela signifie dans son esprit de chien : « Suffit pour aujourd’hui ! »

Il résulte de ce trop long exposé qu’il y a bonnes bêtes de tout poil, mais le talent est de savoir utiliser les qualités innées, cachées, latentes.

Un vieux chasseur du Boulonnais.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 285