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Science appliquée

Le lait, véritable mine d’or

Il fut un temps où la production intensifiée du lait dépassa la consommation ; de là, le progrès aidant, la préparation de dérivés et sous-produits nombreux : laits concentrés, laits écrémés, laits en poudre, caséine, préparations diverses destinées à l’usage vétérinaire, etc. ; néanmoins ces multiples dérivés ne représentent qu’une faible partie du lait produit par le cheptel français. On fut alors conduit à utiliser tout l’excès à de nouvelles applications industrielles, et les recherches poursuivies depuis quelques années dans ce sens ont montré que le lait — surtout le lait écrémé, — riche en substances de valeur, pouvait être rationnellement utilisé à diverses fins et donner naissance à des industries nouvelles.

Parmi les composants essentiels qui, confiés à des usines spécialisées, ont été et sont encore à l’origine de préparations intéressantes, nous signalerons la caséine, substance protéidique douée d’une très grande valeur alimentaire en même temps que de propriétés spéciales, dont nous verrons plus loin les applications de toute première importance aujourd’hui.

Le lactose n’a jusqu’alors que très peu piqué la curiosité des chimistes ; presque uniquement destiné à l’usage pharmaceutique, il se trouve depuis peu l’objet d’une plus grande attention, et à juste titre, puisque sa transformation directe en acide lactique permet alors la fabrication industrielle d’un grand nombre de composés organiques trouvant eux-mêmes des applications dans l’industrie des vernis, résines, etc.

Pour finir cette courte énumération, nous mentionnerons également la présence d’une albumine soluble d’une valeur alimentaire élevée, la lactalbumine, et celle d’une substance isolée depuis peu, la ruboflavine, pigment dont l’action physiologique se rapproche de celle de la vitamine B 2.

Mais, quelle que soit l’importance de tous les composants du lait, nous ne retiendrons que le premier, dont les applications industrielles sont devenues classiques et dont certaines autres, encore à leur début, promettent les plus brillants résultats.

Tout le monde connaît la galalithe, la lactolithe ou oyogalithe, qui, toutes, représentent le prototype de la matière plastique dont l’usage a pénétré dans de nombreux domaines. La caséine finement pulvérisée, additionnée d’une certaine quantité d’eau et, le cas échéant, de matières colorantes, est longuement malaxée et la masse plastique obtenue soumise à une pression très élevée ; le principe de cette préparation, qui semble fort simple, présentait à l’origine de sérieux inconvénients : d’une part, la matière plastique obtenue se prêtait mal au façonnage, et son propre durcissement demandait un temps très prolongé. Aussi, aujourd’hui, opère-t-on par moulage direct des objets à demi durcis, et, pour un second temps, au durcissement final soit par action de formaldéhyde, soit par addition de divers adjuvants.

Si la caséine du lait garde toujours sur ce domaine une place d’honneur, due à son prix modique et à son abondance, il y a toutefois une autre caséine —végétale— qui semble appelée à la détrôner du jour où la culture du soja, la plante miraculeuse qui a tant fait causer d’elle, mais dont la renommée justifiée ne semble pas encore avoir conquis beaucoup de partisans, prendra, en France, une certaine extension ; c’est ainsi qu’additionnée de 1 p. 100 de formaldéhyde la caséine du soja donne une substance thermoplastique dont la teneur finale en humidité ne dépasse pas 5 p. 100, qui se moule facilement à chaud et sans pression et permet d’obtenir directement un produit fini n’ayant besoin de subir aucun traitement de durcissement.

Il semblerait donc inexact de dire que les protéines (caséines) sont des substances plastiques ; il n’en est rien, car, par des traitements appropriés, elles peuvent être complètement transformées, et, dès lors, elles se présentent sous des formes qui sont loin de trahir leur origine : ainsi est-on parvenu à fabriquer, à partir de ces mêmes protéines, des pellicules et des films et, d’autre part, des fibres textiles artificielles.

L’emploi de plus en plus généralisé de pellicules et fibres pour l’emballage des denrées alimentaires et pour la fabrication des verres de sécurité en a entraîné une production intensive. Généralement, ces produits sont fabriqués à base de dérivés cellulosiques, mais on est parvenu à utiliser des mélanges de protéines, en particulier de caséine obtenue par précipitation, qui, imperméabilisés par des vernis, des cires ou des résines, sembleraient répondre à de nombreuses applications si leur souplesse et leur solidité étaient suffisantes.

Mais l’innovation la plus intéressante — surtout actuellement — est, sans conteste, la fabrication de la nouvelle fibre textile primitivement appelée lanital et qui, depuis, selon les variantes de préparation, a reçu des appellations diverses. C’est vers 1935 qu’eurent lieu les premiers essais, et, en 1936, furent déposés les premiers brevets de fabrication, dont le principal, dû à l’Italien Ferrete, consistait à dissoudre la caséine dans une solution alcaline et à filer le collodion obtenu dans un bain acide en présence d’un agent de condensation, qui est encore le formaldéhyde ; le mouvement fut dès lors donné, et toutes les puissances s’intéressèrent à la question : de là de nombreux modes de fabrications, dont l’un des principaux est le procédé américain, qui se différencie nettement des autres par l’addition au bain de caséine, d’une part, de composés d’aluminium, augmentant les qualités mécaniques de la fibre, d’autre part, d’acides gras pour accroître sa souplesse. Les différentes phases d’opérations restent les mêmes.

De composition tout à fait analogue à celle de la laine naturelle, la fibre de lanital est unie, se rapproche de la rayonne et présente une résistance mécanique égale à 85 p. 100 de celle de la laine véritable, mais son principal inconvénient est de perdre sa « tenue » et sa solidité dès qu’elle se trouve humide ; toutefois, elle se prête bien à la teinture en présence des colorants avides et a l’avantage de ne pas être attaquée par les mites, de telle sorte que le lanital est, jusqu’à présent, utilisé mélangé à la laine à parties égales, l’une atténuant les défauts de l’autre. Ainsi a-t-on cherché à reconnaître dans un tissu la présence de laine synthétique ; les moyens physiques ressortent exclusivement du domaine du laboratoire ; au contraire, les procédés chimiques, facilement réalisables partout, permettent de trancher rapidement la question : il suffit de faire bouillir un échantillon de tissu à examiner dans de l’eau acidifiée par de l’acide sulfurique : au bout de quelques minutes d’ébullition, on prélève le liquide résultant de cette opération et on l’ajoute goutte à goutte à une solution à 1 p. 100 de sulfate de carborol : en présence de lanital, le mélange chauffe légèrement, présente une coloration bleue intense et précipite. Il existe aussi un autre procédé à la soude et au bleu de méthylène de même valeur.

Matières plastiques, films et pellicules, fibre textile, telles sont quelques-unes des dernières applications de la caséine ; et, si leur fabrication présente encore quelques écueils empêchant un emploi généralisé, il est hors de doute, comme en témoignent les progrès chaque jours accomplis, que les uns et les autres viendront un jour prochain concurrencer les produits naturels ou classiques ; les soies artificielles ne rencontrèrent-elles pas des échecs avant de trouver, dans la technique et la qualité, le succès absolu qui en multiplie leur usage dans des proportions inouïes, laissant loin derrière elles leur sœur aînée ?

P. LAGUZET.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 316