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Variété historique

La pipe

A pipe est à la mode ; les hommes semblent préférer, depuis quelques années, surtout depuis l’autre guerre, la pipe à la cigarette ; ils reviennent à leurs anciennes amours, car la pipe a une longue histoire, antérieure même, assurent les érudits, à l’introduction du tabac en France, c’est-à-dire vers 1560 (le monopole d’État, signalons-le en passant, date de 1810).

En effet, les archéologues ont, au cours de fouilles, retrouvé des pipes qui datent de l’antiquité. Il y a un certain nombre d’années, un officier allemand archéologue, le lieutenant-colonel Dahm, fit exécuter des fouilles près d’un ancien camp romain, à Hattern, et y découvrit une cinquantaine de fragments de pipes en terre. Il y a environ un siècle, vers 1845, on a trouvé à Rome des pipes en assez grande quantité : elles dataient de l’époque romaine ; trois d’entre elles seulement furent conservées. L’une d’elles est au Louvre ; elle est composée d’un fourneau de bronze, dont la queue est disposée pour recevoir un tuyau. Dans le Jura bernois, on découvrit aussi des pipes en fer. Celles-ci ont la forme exacte des pipes de terre que l’on trouve encore chez certains marchands. Dans les fouilles d’un cimetière datant sans doute du VIe siècle, on rencontra aussi une pipe, en terre cette fois.

Il semble cependant que l’usage des premières pipes soit encore assez mystérieux, car aucun auteur ancien ne nous parle de l’habitude prise par leurs contemporains de fumer des pipes, ce qui, on doit l’avouer, est assez étrange. On pense donc que ces pipes antiques servaient à des pratiques religieuses ou médicales.

Nous possédons deux monuments du moyen âge représentant des hommes la pipe à la bouche : c’est donc qu’à cette époque on fumait. Un texte du XIIIe siècle, assez peu clair d’ailleurs, semble indiquer que l’on fumait de la lavande. Nous savons que, dès cette date, les Chinois, eux, avaient déjà pris l’habitude du haschisch et de l’opium.

Dès que le tabac fut connu, on en mit dans la pipe, qui connut dès lors une certaine vogue. Vers 1600, la pipe à tabac pénétra dans le peuple ; à la fin du siècle, les jolies femmes de la cour de Louis XIV la fumaient comme de vulgaires soldats ; sur une gravure, nous voyons trois femmes en costumes du temps tenant à la main des pipes au long tuyau, qu’elles allument ou qu’elles fument. Un soir, à Marly, le Roi Soleil, entrant dans ses appartements, fut incommodé par une odeur insolite : la duchesse de Bourgogne et autres princesses étaient tout bonnement en train de siroter de l’eau de vie en fumant des pipes empruntées au corps de garde des Suisses ; ajoutons, à leur décharge, qu’il s’agissait de pipes d’officiers !

Jean Bart, le grand marin de Louis XIV, fumait toujours la pipe. Un jour, il vint à Versailles, et, sans se gêner, il fuma dans l’antichambre, au grand scandale des courtisans. Le roi le lui reprocha doucement, mais Jean Bart lui répondit :

« Je savais, sire, que le roi pardonnerait à un serviteur prêt à se faire tuer pour lui une vieille habitude acquise à son service. » Et le roi ne dit plus rien !

Dès le XVIIe siècle, on mit dans la pipe d’autres herbes que le tabac. On joignait à l’herbe à Nicot, en effet, nous dit un auteur de 1668, de l’anis, du fenouil, du boissaint, de l’aloès, de l’iris, du jonc odorant et du romarin.

Le riche musée céramique de Sèvres possède un lot de pipes des XVIIe et XVIIIe siècles, trouvées de-ci de-là ; certaines portent le soleil en relief, des écussons aux armes de France, des fleurons, etc.

Les soldats de l’épopée impériale étaient de hardis fumeurs de pipes ; leurs mémoires nous apprennent qu’ils n’hésitaient pas à payer une pipe des prix absolument fabuleux. Lasalle, le glorieux général, en était un grand amateur ; une de ses bouffardes est conservée au musée de l’Armée. Napoléon fit un jour don à Oudinot d’une pipe d’écume enrichie de pierreries d’une valeur de 30.000 francs ! Vandamme et Moreau étaient aussi des fervents de la pipe. Napoléon ne fumait pas ; un jour, cependant, il essaya. Constant nous a raconté que l’expérience fut désastreuse. L’Empereur ouvrait et fermait la bouche sans aspirer ! Enfin, énervé, Napoléon dit : « Comment diable ! cela n’en finit pas ! » Avec l’aide de son valet de chambre, il y arriva tout de même, mais ce fut pour s’écrier aussitôt : « Otez-moi cela ! quelle infection ! Oh ! les cochons ! le cœur me tourne ! »

Puisque nous venons de mentionner la pipe d’écume, signalons que certains auteurs mal informés ont pensé qu’il fallait dire : pipes de Kummer, du nom de l’inventeur ; c’est une erreur. Ce Kummer fit des pipes d’une certaine matière et fit croire, grâce à son nom, qu’elles étaient d’écume de mer, c’est-à-dire de magnésite, qui se trouve un peu partout, même aux environs de Paris, mais qui doit provenir, pour les belles pipes, de gisements d’Asie Mineure.

La fabrication des pipes occupait de nombreux ouvriers ; les premières, qui portaient le nom de cornets, étaient de terre de pipe ; au début du XVIIIe siècle, nous voyons apparaître le brûle-gueule ; il y avait aussi la pipe du nouveau marié, dont le tuyau et le fourneau étaient chargés d’ornements ; la pipe falbalas, dont le tuyau était en demi-cercle ; la pipe croche, dont le fourneau et le tuyau faisaient un angle droit, etc. ; la fameuse maison Gambier date des environs de 1780. Enfin, au cours du XIXe siècle, les fabricants eurent l’idée de modeler le fourneau en façon de têtes, le plus souvent caricaturales ; on y voyait aussi parfois des locomotives ou d’autres objets.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 320