Le chien est exposé, comme les sujets de toutes les autres
espèces animales, à contracter les maladies les plus variées et les plus
graves ; mais, fait plus redoutable encore, beaucoup d’entre elles sont
transmissibles à l’homme, et, si l’on veut bien songer à la promiscuité étroite
dans laquelle le chien vit avec l’homme, on se convaincra de l’imminence du
danger.
La maladie est à coup sûr la plus connue des
affections qui frappent le chien. Tout propriétaire la craint, la redoute, la
traite, cherche à en préserver ses animaux, sans posséder sur la véritable
nature du mal les connaissances indispensables au choix judicieux des méthodes
de traitement et à leur convenable application.
L’on se fait maintenant une idée assez précise de ce qu’est
la « maladie » des chiens. Elle est assez analogue à la grippe de
l’homme. Mais est-ce une raison suffisante quand on sait l’embarras qui préside
à définir très exactement ce qu’est la grippe humaine ? Ne dit-on pas de
celle-ci que, « malgré toutes les recherches bactériologiques, on n’est
pas encore arrivé à identifier un microbe réellement spécifique ; aucun
des germes incriminés n’a prouvé sa spécificité, y compris le fameux
coccobacille de Pfeiffer, et, lorsqu’on examine les sécrétions au microscope,
au moyen de cultures ou d’inoculations, on ne retrouve jamais que les microbes
banaux, les hôtes habituels du rhino-pharynx ou de l’intestin ». Il en est
de même en ce qui concerne la « maladie » des chiens.
Dans une note présentée à l’Académie des Sciences (séance du
1er août 1927), le Dr Lebailly signalait que la
méthode de vaccination par le virus formolé lui avait permis de vacciner contre
la maladie du jeune âge du chien avec des résultats parfaits. Ici encore, aucun
microbe spécifique n’était mis en évidence. La méthode d’ailleurs n’a pas
toujours donné des résultats heureux. Aussi certains vétérinaires et non des
moins connus, M. Demay en particulier, déclarent qu’« il faut
reconnaître que nous ne possédons pas encore contre la maladie du jeune âge
chez le chien de méthodes efficaces de traitement ou de prémunition, parce
qu’aucune n’est vraiment spécifique. Toutes celles qui ont été préconisées et
essayées, jusqu’à ce jour, donnent, après des séries heureuses, une suite
d’échecs qui fixent le praticien sur leur valeur ».
Qu’est-ce donc que la « maladie » ? Dans le
principe — et ce paraît être un paradoxe — la « maladie »
est une affection bénigne, elle se déroule en quelques jours ; elle se
traduit seulement par de la fièvre, un peu de coryza, l’appétit disparaît, le malade
est triste, c’est toute la « maladie » dans son essence. Si l’on
recherche à ce moment le microbe en cause, les examens restent négatifs, et
pourtant, sous cette forme, et sous cette forme surtout, la
« maladie » est contagieuse et inoculable expérimentalement. Le
laboratoire découvre que, dans cette période, c’est un virus filtrant
qui intervient, c’est-à-dire un principe morbifique tellement ténu qu’il est
capable de passer à travers les filtres qui, à l’ordinaire, retiennent les
microbes ; et ce virus est si petit, sans doute, qu’on ne le voit pas au
microscope, ce qui explique l’insuccès des examens bactériologiques. Les
microbes visibles, donnés comme agents spécifiques de la
« maladie », ne sont que des saprophytes, hôtes normaux des litières,
tout au plus capables de créer, avec le concours de conditions naturelles
favorisantes, des lésions septicémiques, pulmonaires ou intestinales. Mais ils
sont impuissants à provoquer les exsudats virulents, les altérations oculaires
et nerveuses, la grande virulence du sang, comme de reproduire la maladie en
série, ainsi que le fait le virus de Carré, lequel, le premier, en 1926,
signala la présence de ce virus chez l’animal infecté.
Presque toujours, la « maladie » est beaucoup plus
grave et ne se limite pas aux symptômes bénins décrits ci-dessus ; à la
vérité, il ne s’agit plus de la maladie, mais de ses complications ; c’est
ce que l’on voit, ce que l’on considère presque toujours comme la
« maladie ». En réalité, les conditions morbides du début affaiblissent
l’organisme et le laissent envahir par des microbes qui sont, à l’état normal,
arrêtés par les barrières qui, sous forme de revêtement, tapissent l’arbre
respiratoire ou le tube digestif. L’on assiste alors à l’apparition des formes
pulmonaire, intestinale, et chacune de ces localisations évoluent comment
autant de maladies distinctes, et souvent en même temps, ce qui fait la gravité
du mal.
Le problème ainsi posé, on se rendra mieux compte de la
difficulté du traitement par l’étendue du champ sur lequel il faut
combattre et la variété des ennemis qu’on y rencontre. Aussi il va de soi que
nous ne pouvons envisager dans cette courte causerie les nombreux moyens de
traitement prophylactiques ou curatifs préconisés pour conférer à l’organisme
des chiens une résistance aux infections secondaires, qui compliquent si
souvent et si gravement la « maladie ».
La « maladie » des chiens est-elle transmissible à
l’homme ? Cette question doit être résolue par l’affirmative, ainsi qu’on
le verra par la déclaration suivante du professeur Nicolle, directeur de
l’Institut Pasteur de Tunis.
« La maladie du jeune chien peut être contractée par
l’homme sous la forme inapparente : voilà une constatation bien
singulière et pourtant parfaitement exacte, comme le démontre l’expérience
suivante : j’ai inoculé le virus de cette maladie à la fois à un homme et
à des chiens. Le lendemain du jour où les chiens témoins ont présenté de la
réaction thermométrique, annonçant le début de l’infection, j’ai prélevé le
sang de l’homme et je l’ai inoculé à deux chiens. Ceux-ci ont fait la
« maladie » et j’ai pu la transmettre à d’autres chiens. L’homme n’a
pas présenté la moindre élévation de température, pas le plus petit
symptôme. »
Non seulement entre individus de même espèce, mais entre des
espèces différentes peut donc s’effectuer un échange de virus qui provoque
tantôt une infection à grands symptômes, tantôt une infection inapparente.
Nous comprenons bien, maintenant, pourquoi une maladie semble éclore
spontanément : l’homme ou l’animal peut sournoisement receler une
infection inapparente. Et c’est ainsi qu’on peut concevoir la naissance, la
vie et la mort des maladies infectieuses.
MOREL.
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