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Comment constituer une eau close

Très simple, direz-vous. L’eau libre, c’est la rivière, le poisson y est res nullius, il n’appartient à personne, ou plutôt il est à celui qui réussit à le prendre en respectant les lois sur la pêche.

L’eau close, c’est l’étang, où le poisson appartient au propriétaire du fond, tout comme le lapin au propriétaire du clapier. Il peut le pêcher quand il veut, comme il veut, et personne n’a rien à lui dire si, comme Panurge, qui « mangeoit son blé en herbe et brusloit ses bois pour la vente des cendres », il récupère ses poissons à la dynamite pour les donner à manger à ses canards.

Parfait ! Mais, si votre étang est alimenté par un ruisseau qui y débouche librement, est-il toujours une eau close ? Et, dans la prise d’eau qui part de la rivière et alimente votre moulin ou irrigue vos prairies, pouvez-vous pêcher en toute liberté ? Le garde-pêche peut-il vous demander votre carte si vous péchez dans la gravière que l’entrepreneur voisin a exploitée dans votre champ qui borde la rivière ? Autant de cas d’espèce, de sujets à chicanes, à procès et procès-verbaux, ornés d’une copieuse jurisprudence.

Je vous vois venir : vous pensez en ce moment à mon étang qui est alimenté par un ruisseau et dont le voisin d’amont m’a déjà fait remarquer, mi-figue mi-raisin, qu’à la pêche je récolte des truites venues du ruisseau et que lui, à la ligne, ne pêche pas en échange mes carpes et mes tanches, qui ne remontent pas pour fréquenter les rives de sa prairie. Prévenons donc les histoires. Je mets une grille à l’arrivée d’eau, les truites restent chez elles, mes carpes chez moi, dans une eau devenue close. Ce n’est pas difficile, et la solution, je l’ai trouvée tout seul.

Oui, mais vous n’avez pas le droit, de vous-même, de placer la grille dans le ruisseau. Il vous faut pour cela un arrêté préfectoral spécial, pris en application de la loi du 18 juin 1923 et du décret du 24 octobre 1925 (sans compter les lois antérieures concernant la pêche, le régime des eaux et l’Administration publique), au vu des avis favorables émis par le conservateur des Eaux et Forêts, l’ingénieur en chef du Service hydraulique et le Conseil général !

Quelle avalanche ! Et comment m’en tirer ?

Ne compliquons pas inutilement la question. Votre voisin ne se doute certainement pas que l’Administration, avec un grand A, doit intervenir dans cette affaire minime. Eh bien ! posez-la, votre grille, sans rien dire, avec des barreaux laissant entre eux un vide de un centimètre. Il ne dira rien ou ne s’en apercevra pas, et votre eau close deviendra un état de fait.

Votre voisin connaît la loi ? Mais c’est un brave homme qui ne cherche pas d’histoires. Faites-lui part de votre intention qui ne le lèse en rien, et, d’accord avec lui, placez votre grille. Mais, si c’est un mauvais coucheur chicanier, alors restez dans la stricte légalité. Et faites une demande sur papier timbré au conservateur des Eaux et Forêts, en demandant, conformément à la loi du 18 juin 1923 et au décret du 24 octobre 1925, à aménager votre étang en enclos. Vous indiquerez les dispositions que vous proposez pour cet aménagement, la nature de l’élevage piscicole que vous voulez y pratiquer, et vous joindrez un plan au 1/2.500 de votre futur enclos.

Les Eaux et Forêts, s’ils admettent l’utilité de votre aménagement au point de vue de la pisciculture, transmettront votre demande au Service hydraulique pour le règlement d’eau. Le préfet sera enfin saisi, consultera le Conseil général, et, finalement, vous obtiendrez votre arrêté d’autorisation, qui concédera votre autorisation d’enclos pour trente ans. Vous n’aurez pas d’autres démarches à faire, mais comptez bien six mois avant de le voir sortir.

DE LAPRADE.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 337