Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°611 Décembre 1946  > Page 338 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Le lancer léger

Poisson de hasard : barbeau, vandoise, etc.

Je crois en avoir terminé avec les poissons que l’on peut pêcher régulièrement au spinning au lancer léger. Nous avons passé en revue, dans l’ordre suivant, un peu fantaisiste, je le reconnais, les espèces que voici : perche, brochet, truite, saumon, chevesne, black-bass et alose.

On vous dira que le barbeau se pêche aussi au lancer lourd et léger. Et tous les pêcheurs qui ont pratiqué vous diront qu’ils en ont pris et ne mentiront pas. Cela m’est arrivé comme aux camarades.

Pourtant, je me refuse à classer le barbeau parmi les poissons qui sont l’objectif du lanceur léger. Je le rangerai plutôt parmi nos captures de hasard, mais en admettant, toutefois, qu’il en est la plus fréquente.

Le barbeau est assez carnassier. On le prend régulièrement à la chatouille (petite larve de lamproie) et, de temps en temps, au petit vif, comme une perche ou un chevesne. Il ne faut donc pas s’étonner de le voir suivre et saisir un petit leurre de spinning manœuvré lentement et bas. Cela arrive de temps en temps dans les cours d’eau où ce poisson abonde. Et ce ne sont pas toujours de gros spécimens, mais plutôt des barbillons d’une livre, et même moins, qui se livrent à ces incartades.

Au lancer léger, c’est assez amusant, parce que le barbeau a une défense extraordinairement obstinée et prolongée. On a l’impression d’être accroché à une grosse pierre et pourtant de sentir que cela bouge. L’animal pique au fond avec persévérance. Enfin il se fatigue, se laisse amener, et on voit bâiller en surface sa longue tête de cheval moustachu.

Il est pourtant des places où la capture des barbeaux est assez régulière pour qu’on puisse presque prétendre « l’avoir fait exprès » : c’est à l’aval de certains barrages, en plein dans l’écume et les bouillons. Sans doute, la petite blanchaille qui s’est laissé entraîner par les filets d’eau est-elle si abrutie, si « groggy » que les barbeaux ont pris l’habitude de s’en emparer sans peine, et, quand passe lentement le reflet blanc d’une petite cuiller longue, ils se laissent tenter.

La vandoise. — C’est aussi une capture de hasard au spinning. Cependant, avec de très petites cuillers plombées, il est assez fréquent de prendre des « dards », du moins dans les courants très vifs. J’en ai même pris, bien involontairement, avec d’assez grands appâts, et j’étais presque aussi étonné que mes victimes. Dans certain petit « raide » d’une charmante rivière bressanne qui s’appelle la Veyle, je me souviens de certaines vandoises acharnées qui tiraillaient la cuiller, comme si elles avaient résolu de se suicider, et y parvenaient, les pauvres.

On peut même pêcher très régulièrement la vandoise au lancer léger, comme le chevesne d’ailleurs et d’autres poissons, avec la mouche plombée ; nous en reparlerons bientôt.

Autres poissons de hasard. — Il n’y a, je crois, pas une espèce qui ne puisse être prise par le hasard sur un engin de spinning. Je parle de poissons ayant avalé l’hameçon, et non de poissons « harpés » par n’importe quelle partie du corps.

Et ceci, parce qu’il n’y a aucun poisson qui ne soit, à l’occasion, carnassier. C’est ce que le public ignore. La plus pacifique des carpes s’offre un alevin de temps en temps, et même un des siens.

C’est pourquoi vous rencontrerez souvent de vieux pêcheurs qui vous diront véridiquement avoir pris à la petite cuiller une carpe ou une tanche. Pour ma part, je ne puis me vanter (s’il y a de quoi) que d’une belle brème dans la Loire et de deux gros hotus dans l’Ain.

Les deux choses les plus étonnantes qui me soient arrivées, les voici : d’abord une ablette prise bel et bien par la bouche avec une assez grande cuiller longue ; ensuite, un vairon pris ... avec un vairon de taille égale à la sienne au mois de mai 1940. Je suppose qu’en pleine période de frai ce fut l’effet d’une jalousie de mâle.

J’ai vu plus fort. Mais là il ne s’agissait plus de prise effectuée par la bouche, mais de « harpages » dus au hasard.

On ne harpe pas souvent un poisson au lancer, soit lourd soit léger, parce que le leurre est tout le contraire de discret. Il produit au poisson soit un effet d’attirance, et alors il est avalé (ou dédaigné après mûr examen), soit un effet d’épouvantail, et alors le poisson s’écarte. On harpe fréquemment, ou assez fréquemment, avec les lignes discrètes employées à la pêche au blé, à l’asticot, etc. Cela se produit en ferrant au hasard, ou en vue d’une touche, et en accrochant un poisson qui se trouvait inopinément au-dessus de l’hameçon. Au lancer, cela est presque impossible. Il m’est pourtant arrivé d’accrocher par le dos deux hotus dans des bandes tellement serrées qu’ils ne pouvaient s’écarter. Cela n’a rien d’étonnant.

Ce qui l’est davantage, c’est, en lançant, de voir sa cuiller tomber brusquement sur une ablette qui naviguait innocemment en surface et lui planter une pointe du triple à travers le dos. Eh bien ! cela m’est arrivé deux fois. Vous raconterai-je le plus fort ? Ma foi, pendant que nous y sommes ... Vous allez me prendre pour un blagueur. Cela m’est arrivé devant témoins, et ceux-ci m’ont dit : « Ça, c’est une histoire marseillaise que vous n’oserez jamais raconter. » Puisqu’on m’a défié, voici : au lancer léger, toujours, avec une très petite cuiller plombée et un petit triple no 10 très fin de fer, en ramenant très bas, je sens que j’accroche quelque chose de léger, peut être une herbe. Et, tout de même, ça frétille. Eh bien ! croyez-le ou ne le croyez pas, l’une des pointes du triple avait traversé un asticot, qui lui-même était transpercé d’un hameçon no 14, lequel tenait à un bas de ligne cassé, sans doute le matin même, et, un peu plus loin, le bas de ligne portait un second hameçon no 16, auquel était accrochée une ablette. Vous voyez si le hasard est grand !

A. ANDRIEUX.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 338