Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°611 Décembre 1946  > Page 349 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Grande culture

Propos sur la betterave industrielle

La betterave industrielle fournit les éléments de deux industries : la sucrerie et la distillerie. La sucrerie manque de matières premières, puisque l’on n’a pas encore retrouvé les étendues ensemencées en 1939 ; la distillerie a un régime incertain ; on doit souhaiter qu’il se précise dans un sens élargi par l’adoption d’une franche politique du carburant national.

Mais si, sur ce plan des utilités, l’hésitation n’est pas permise, personne ne met en doute non plus l’intérêt cultural de la betterave, plante améliorante au premier chef. La betterave industrielle, « plante ne souffrant pas la médiocrité », demande une préparation parfaite du sol, en profondeur et en homogénéité ; elle réclame une forte avance d’engrais organiques et minéraux, organise non seulement la racine exportée, mais encore un feuillage qui fera retour à la terre si on ne ramasse pas les feuilles et collets au titre d’aliments pour le bétail après ensilage ; la betterave demande enfin des façons d’entretien favorables à l’état de la terre et qui provoquent la destruction des mauvaises herbes pendant quelques semaines, la betterave empêchant absolument tout retour de la végétation adventive grâce à une couverture parfaite due aux feuilles nombreuses et étalées.

Il est donc souhaitable que la betterave se maintienne et même qu’elle progresse, si on envisage le côté production d’alcool. En admettant que d’autres plantes soient appelées à fournir de l’alcool, le topinambour par exemple, la place disponible est trop large pour que la betterave, plante des terres riches, soit concurrencée par le topinambour, plante des terres pauvres.

Toutefois, il existe un obstacle très sérieux pour qu’un programme de ce genre soit facilement réalisable, si l’on s’en tient aux moyens d’autrefois. La betterave demande une main-d’œuvre nombreuse et spécialisée. Nombreuse : les chiffres de la comptabilité de Grignon montrent que la betterave absorbe, en main-d’œuvre, quatre fois plus d’unités que le blé, main-d’œuvre dont le besoin se fait sentir pour des périodes relativement courtes : le démariage, l’arrachage et le chargement. Spécialisée : le démariage est une opération délicate qui demande une main-d’œuvre attentive et habile. Or les spécialistes diminuent chaque jour ; il faut compter de moins en moins sur les saisonniers belges, et les travailleurs polonais et tchécoslovaques, qui remplirent les vides causés par la guerre 1914-1918, ne viennent plus.

C’est la machine qui doit entrer en jeu. Il est juste de reconnaître que l’on s’en est préoccupé depuis longtemps déjà. On a repris le problème du démariage, amorcé vers le milieu de l’autre siècle, et l’on greffe sur les solutions aveugles, suivant l’expression pittoresque de M. Tony Ballu, les solutions intelligentes : la machine choisit la betterave ; ou bien l’on songe encore au repiquage qui place la betterave. Enfin, sur un plan plus compliqué, se situe la betterave monogerme, avec laquelle on résout parallèlement plusieurs problèmes.

La récolte pose des questions non moins passionnantes, car il s’agit de travaux très pénibles, exécutés dans une saison défavorable ; des tonnages élevés sont à manutentionner : 25 à 40 tonnes de racines, auxquelles il faut ajouter la terre extraite en même temps que la betterave, soit un supplément de 15 à 40 ou 50 p. 100, suivant l’état du sol. Naguère, on construisit des arracheuses-souleveuses, qui avaient seulement pour mission de décoller la betterave, de la dégager ; on l’extrayait ensuite à la main : moins de peine, moins de casse si la terre est sèche. Il faut, aujourd’hui, des machines qui sortent complètement la racine, mais l’affaire se complique, puisqu’il faut d’abord décolleter la betterave et chasser sur le côté les feuilles attenantes au collet pour que les betteraves sorties du sol viennent se placer en lignes que l’on peut grouper par deux, par trois, par six et plus, suivant des dispositifs ingénieux qui sont réalisés à l’heure actuelle. La dernière machine est celle qui va charger, machine dépendante ou indépendante de l’arracheuse, l’indépendante paraissant seule commode ; pour que la chargeuse fonctionne proprement, il est indispensable que la séparation des « verts de betteraves » soit aussi parfaite que possible. À titre indicatif et pour la petite culture, même pour la moyenne, qui ne peut se payer des engins formidables, la division des opérations : le décolletage préalable avec réunion des feuilles en lignes, si l’on veut, l’enlèvement de feuilles propres immédiatement, l’extraction des racines ; ces indications, plus ou moins en liaison avec la méthode Pommeritz, en usage en Allemagne, commencent à trouver leurs applications.

La France est assez bien placée sur ce terrain d’une recherche spécialisée ; la nécessité l’y a contrainte, et nos constructeurs ont fait de réels efforts, qui auraient plus vite abouti si on leur avait accordé une aide sérieuse. Ces temps derniers, on a pu voir fonctionner les appareils de récolte au cours de démonstrations organisées par l’Institut technique de la betterave ; les agriculteurs betteraviers s’y sont vivement intéressés, une série de communications ont été faites par des spécialistes avertis et bien documentés ; il semble que l’on puisse avoir confiance dans l’avenir.

Il est d’ailleurs remarquable de constater que, de l’autre côté de l’Atlantique, où la betterave industrielle joue un rôle important parallèlement à la canne à sucre, cultivée dans les régions chaudes et humides, la mécanisation de la betterave a fait de réels progrès ; n’y était-on pas obligé, devant une pénurie de main-d’œuvre encore plus accentuée qu’en Europe — les Mexicains jouant, paraît-il, là-bas, le même rôle que les Belges en France ? Aussi vit-on se projeter de belles images lors de la présentation d’un film américain profondément documenté : arracheuses fonctionnant bien, chargeuses largement répandues.

Ainsi, quand le consommateur français pourra retrouver sa ration ancienne de sucre et même l’accroître — car le sucre est un puissant moyen de défense de l’organisme, — il devra en témoigner quelque reconnaissance à un petit noyau d’inventeurs qui cherchent, qui trouvent et qui ne demanderaient que des moyens efficaces pour réaliser sans entraves.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 349