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Le transsaharien

Les premières caravanes transsahariennes semblent contemporaines de l’introduction du chameau en Afrique, il y a environ trois mille ans. On trouve à l’intérieur, dans les régions aurifères bordant la côte de Guinée (Côte-d’Ivoire, Gold Coast), d’antiques perles phéniciennes venues par la voie de terre qu’elles indiquent. Les auteurs anciens font mention de ces relations. Hérodote nous parle des Garamantes venant dans le Sud tripolitain avec des bœufs. Binger nous conte comment le commerce de l’or se faisait sur les rives d’un fleuve qui paraît être le Sénégal. M. Maurice Besson, en examinant le rapport de Polybe sur la destruction des comptoirs carthaginois en Afrique noire, nous a montré qu’ils s’étendaient jusqu’au Cameroun. En ce temps-là, le dessèchement du Sahara était moins accentué que maintenant.

Au moyen âge, feu de La Roncière nous a montré l’Empire juif du Soudan, s’étendant jusqu’au Tagant, commerçant avec le Maroc par la route aboutissant au Sud oranais. Certes, ce trafic était petit, mais les marchandises avaient de la valeur : or, plumes, ivoires, etc.

En 1670, le sultan du Maroc envoya le pacha Djouder conquérir Tombouctou avec une expédition puissante. Depuis, Mungo-Park visita la vallée du Niger. Enfin, René Caillé montra la route, partant de la Guinée française, gagnant le Niger, visitant Tombouctou et revenant par le Maroc.

Après la conquête de l’Algérie, les Français pensèrent à reprendre ces relations caravanières ; seulement, l’hostilité des populations du Sud algérien et du désert empêcha toute tentative sérieuse. À l’époque, nos connaissances géographiques sur le Sahara étaient bien faibles.

Peu à peu, en surmontant beaucoup d’obstacles, nos explorateurs, en particulier Duveyrier, nous montrèrent ce qu’était le Sahara.

La première idée d’établir un chemin de fer pour relier l’Atlantique à la Méditerranée semble émaner de Faidherbe, qui fut le premier à présenter un projet établi sur des bases sérieuses, joignant la côte du Sénégal au Niger, nous donnant ainsi accès aux riches pays du Soudan, où, reprenant les projets du sieur de La Coubre et d’André Brue, aux XVIIe et XVIIIe siècles, il avait commencé à pénétrer en occupant Médine.

Les questions africaines étaient à l’ordre du jour dans les milieux géographiques et politiques. La création de l’Association internationale africaine par le roi des Belges Léopold II, puis le Congrès de Berlin, en 1878, allaient faire avancer les choses. Le gouvernement français agissait à son tour ; en 1878, il décidait d’envoyer au Sahara la première mission Flatters ; elle dut faire demi-tour à mi-chemin. En 1880, la deuxième mission, bien organisée, prit la route du désert. En février 1881, elle devait tomber dans l’embuscade de Bir-R’rama.

Du côté du Sénégal, nous tenions le Soudan français et Tombouctou. En 1897, les reconnaissances des méharistes algériens et soudanais se rencontrèrent pour la première fois. Une triple jonction fut décidée, le lac Tchad donné comme objectif aux trois missions fortement constituées, partant : de l’Algérie, sous les ordres de l’explorateur Foureau et du colonel Lamy ; du Soudan, avec les capitaines Joalland et Meynier ; de l’Afrique-Équatoriale française, conduite par l’administrateur Gentil.

Le Sahara exploré, traversé, le tracé possible du chemin de fer était reconnu. D’autres études eurent lieu. La guerre de 1914 survint, et ce n’est que par la loi du 25 juillet 1928 que fut créé l’ « Organisme d’études du Transsaharien », qui, en deux ans, fit parcourir par ses missions plus de 3.000 kilomètres et dressa les trois avant-projets des tracés occidental, central et oriental. L’ingénieur en chef Maître-Devallon présenta un rapport définitif très étudié, préconisant l’itinéraire traversant le Maroc oriental et le Sud oranais par Oudjda, Bou-Arfa, Colomb-Béchar, Benni-Abbès, la Saoura, Adrar, Reggan, le Tanezrouft et In-Tassit (100 kilomètres nord-est de Gao), soit 1.912 kilomètres. D’In-Tassit, deux lignes iraient l’une à l’est, à Niamey, distant de 565 kilomètres, l’autre à l’ouest, à Segou, à 973 kilomètres.

L’estimation des crédits nécessaires était de 3.187 millions à dépenser en huit ans.

Le tracé par Constantine, Ouargla, Tamanrasset, demandait quatre milliards et dix ans de travaux.

La ligne centrale par Alger, Affreville sur le Chélif, détenait le record de l’élévation des prix et du temps. Il était estimé à 4.185 millions et les travaux prévus en quinze ans.

La voie large de 1m,44 est prévue. La traction serait faite par des locomotives à moteur Diesel, à mazout, remorquant des trains de 1.000 tonnes. (Depuis, on a préconisé des trains de 3.000, même de 6.000 tonnes.)

L’Organisme d’études proposait à la Commission consultative la construction, puis l’exploitation par une société anonyme constituée par l’État français, les trois pays de l’Afrique du Nord, de l’Afrique-Occidentale française, les compagnies de chemins de fer ou de navigation intéressées.

Il est à noter que, si l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont toujours demandé l’exécution du Transsaharien, il n’en est pas de même des colonies de l’Afrique-Occidentale française, qui n’en reconnaissaient pas l’urgence pour elles, considéraient que ce projet dépassait leurs ressources économiques et en main-d’œuvre, disaient : « Si cette ligne est jugée nécessaire au point de vue « impérial », que la métropole en fasse l’avance et prenne la charge des dépenses. »

Depuis, les pistes traversant le désert ont été améliorées, organisées. Une nouvelle tout à fait occidentale, allant du Maroc au Sénégal par la Mauritanie, a été créée. Elle passe par une région moins désertique, où la vie végétale et animale existe encore. La guerre a fait activer ces divers travaux.

Après nos désastres de juin 1940, le gouvernement déchu a clôturé ces recherches et discussions en décidant l’exécution du Transsaharien et l’ouverture des travaux pour la première section de la ligne d’Oudjda-Colomb-Béchar par Berguent et Bou-Arfa. Cette ligne continue en direction de Beni-Abbès et s’arrête à la mine de charbon de Kénadsa, également terminus du chemin de fer du Sud oranais à voie métrique. Elle dessert une région très minéralisée, pouvant exporter un tonnage important. Les charbonnages de Djerada et les mines de manganèse de Bou-Arfa sont déjà en exploitation.

Victor TILLINAC.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 363