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En forêt

Cerfs et biches après la guerre

Je ne m’étais pas montré très optimiste dans ma chronique sur la chasse en France, au début de 1946, en ce qui concerne le gros gibier. Je savais que les grands animaux, cerfs et biches, paient toujours le plus lourd tribut aux guerres et aux invasions. Un voyage d’études que je viens d’accomplir dans les forêts de l’Ouest, du Centre, des environs de Paris, et au cours duquel j’ai eu la bonne fortune de m’entretenir avec des amis alsaciens, me permet une mise au point dont, sans plus attendre, je tiens à faire profiter les lecteurs du Chasseur Français.

Commençons notre tour d’horizon par les forêts normandes, et par la plus éprouvée de toutes : la hêtraie de Cerisy, sur la route de Saint-Lô à Bayeux. Cette forêt de 2.000 hectares a été l’enjeu des premiers combats sitôt après le débarquement ; elle est sinistrée sur le quart de sa surface et ne renferme plus qu’une harde de cerfs et de biches. Sait-on qu’il existait à Cerisy une variété de cerfs marqués de blanc à la tête et au poitrail ? On avait beaucoup discuté sur l’origine de cette variété, discussion close depuis 1928, année de la disparition des derniers animaux de ce type.

Le rideau de hêtraies et de pineraies qui barre la vallée de la Seine près de son estuaire : Eu, Eawy, Lyon, Rouvray et Roumare, a subi de graves dégâts. Il va falloir attendre plusieurs années pour que les hardes s’y reconstituent. De même dans les forêts du Perche normand, secouées après l’accrochage sur Alençon, tandis que Bercé, dans la Sarthe, est à peu près intacte.

Remontons maintenant au nord de l’Île-de-France, dans les grands massifs forestiers de Compiègne, de Villers-Cotterêts, de Saint-Gobain, de Chantilly ; c’est le berceau des plus pures traditions de la vénerie française, et il serait tout à fait injuste de croire que les chasses à courre n’y jouissent pas de la grande faveur du public : cadre admirable, spectacle empoignant, tout y est rassemblé pour le plaisir des yeux. Aucune inquiétude n’est à retenir pour l’immédiate reprise des chasses à courre.

Au sud de Paris, les 14.000 hectares de Rambouillet ont conservé en grande partie leurs réserves de cerfs et de biches. Que n’en est-il de même sur les 18.000 hectares de Fontainebleau, bien menacés du fait des manœuvres !

Nous arrivons ensuite par la Beauce à la forêt d’Orléans, la plus grande de nos forêts domaniales, dont les 34.000 hectares s’étirent en un long ruban de Cercottes à Lorris. La forêt d’Orléans a toujours été très menacée après les invasions ; elle l’avait été en 1871, la guerre de 1914-1918 avait fortement entamé son gros gibier, la dernière guerre ne laisse pas meilleure impression. Ce qui a toujours manqué en forêt d’Orléans, dans les périodes critiques, c’est une organisation de la chasse à courre distincte de celle visant les lots de chasse à tir. Espérons que, cette fois, on va surmonter de tels inconvénients.

D’Orléans, nous gagnons par la Puisaye les forêts de l’Est : Clairvaux, massif domanial dans l’Aube ; Arc dans la Haute-Marne, forêt privée de 15.000 hectares, bien gardée, bien aménagée, dominant la vallée de l’Aube, où de jolis débuchers se poursuivaient fréquemment. La Bourgogne est toute proche, avec la grande sylve de Châtillon-sur-Seine, couvrant 10.000 hectares de bois domaniaux, sylve bien appauvrie depuis l’abandon de la chasse à courre et les excès de chasse au fusil, notamment à chevrotines.

Puis nous voici dans les Vosges alsaciennes et lorraines, où j’ai eu le plaisir d’apprendre, par mon ami strasbourgeois, que l’effectif recensé des cerfs et des biches était à peu près intact. On sait que les nemrods d’Alsace et de Lorraine sont très attachés au tir du cerf à balle à l’approche au moment du brame. On ne chasse pas à courre dans les Vosges alsaciennes ; mais le tir à l’approche de beaux cerfs coiffés exige tout un art et permet une utile sélection au tireur qui s’attribue les trophées les plus remarquables, tandis que sont éliminés les cerfs à vilains bois et les biches bréhaignes. Il faut absolument que nous admettions ce point de vue et que nous fassions preuve en la matière d’un large esprit de compréhension.

De l’Est, nous regagnons par le Nivernais les forêts du Centre, notamment Tronçais, avec ses 10.000 hectares de futaie de chênes, unique en France par la richesse de ses peuplements, dont il subsiste des cantons portant encore les rouvres issus des semis ordonnés par Colbert en 1669. Tronçais se prête admirablement à la chasse à courre : de grands étangs barrent le massif à l’est et à l’ouest. Malheureusement, la chasse à courre n’avait pas pu se relouer en 1938, et les cerfs et biches de Tronçais se trouvaient menacés par les chasseurs au fusil. Souhaitons qu’à bref délai la situation change.

Dans l’Indre, la forêt d’Azay-le-Ferron ou de Preuilly, couvrant 2.000 hectares aux confins d’Indre-et-Loire, était la pépinière des cerfs de Brenne, pépinière bien amoindrie du fait de vastes incendies, et du pilonnage des colonnes allemandes en retraite.

Que dire des forêts du Blésois, du grand massif de 9.000 hectares de Boulogne et de Chambord, des forêts de Touraine, dont Chinon est la mieux peuplée, et de celles de la Vienne, où Moulière, la plus centrale, ne conserve actuellement qu’un seul cerf à bois ? La répartition des cerfs de la Vienne a été modifiée pendant la guerre, les animaux s’étant groupés en trois îlots distincts : Scévolle, La Guerche dans le tiers nord du département, les bois particuliers au sud. Il y a eu, dans la Vienne, abus des battues de destruction, commis certes dans les meilleures intentions du monde, mais retardant la reprise des chasses à courre.

Un seul îlot dans les Deux-Sèvres : celui du Parc d’Oiron, près de Thouars. Les cerfs, classés comme animaux nuisibles, y succombaient rapidement du fait des battues municipales. Dès ses premières réunions de 1946, la société départementale des chasseurs des Deux-Sèvres a obtenu le déclassement des cerfs de la liste des animaux nuisibles : les cerfs d’Oiron sont sauvés.

Il ne reste plus de grands animaux en Charente, sauf quelques cerfs vers Charroux et plus rien au sud d’une ligne idéale joignant la Charente au Nivernais.

Mon exposé n’a d’autre mérite que sa sincérité. Je souhaite qu’il redonne confiance aux maîtres d’équipage ainsi qu’à tous ceux qui, en France, ont le culte d’une faune cynégétique faisant l’ornement de nos forêts.

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°612 Février 1947 Page 370