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Causerie juridique

Droit de chasse du fermier

Les observations que nous avons présentées, dans une récente causerie insérée dans cette revue, au sujet du droit de chasse accordé aux fermiers par la loi du 13 avril dernier, ont amené plusieurs lecteurs à nous adresser des critiques, en général judicieuses et fort courtoises. Nous nous faisons un plaisir d’y répondre.

Une première chose est à noter : les opinions que nous avons émises sur les différents points examinés n’ont pas été présentées par nous comme étant incontestables, mais seulement comme nous paraissant les plus plausibles. Mais il n’est pas douteux que des conflits se produiront, sur lesquels les tribunaux seront appelés à se prononcer, et nous n’avons pas la prétention de croire que ce sera toujours conformément à la thèse que nous avons soutenue. C’est dans le même esprit que nous allons examiner à nouveau les observations de quelques lecteurs.

Le point sur lequel on s’est surtout arrêté — et c’était à prévoir — est le conflit entre le droit du fermier et celui du propriétaire ou de ses ayants cause.

Les uns nous objectent qu’en permettant au propriétaire de disposer du droit de chasse sur les terres affermées, sans tenir compte du droit reconnu par la loi au fermier, nous aboutissons à rendre ce droit sans utilité pratique ; s’il se crée sur la propriété une société de chasseurs, elle aura tôt fait de détruire tout le gibier et le fermier n’aura pas grand intérêt à bénéficier du droit de chasser.

Nous croyons inutile de revenir sur les arguments juridiques sur lesquels nous avons fondé l’opinion par nous soutenue dans notre précédente causerie ; nous répondrons seulement à cette dernière observation : d’une part, que le fermier, qui est sur les lieux et qui peut chasser à sa convenance, tous les jours s’il le veut, n’est pas si mal partagé qu’on le dit ; et, d’autre part, que le législateur n’a certainement pas eu la pensée, en accordant au fermier le droit de chasser, de lui permettre d’évincer tous autres chasseurs ; il a voulu seulement lui permettre de chasser concurremment avec tous autres bénéficiant aussi du droit de chasser, sans lui garantir qu’il y trouvera des avantages matériels importants.

Mais la réponse la plus efficace à faire à l’observation ci-dessus, nous la trouvons dans le grief qui nous est fait par deux correspondants de faire, la part trop belle au fermier.

Suivant l’un, le droit accordé au fermier ne saurait être étendu aux personnes vivant avec lui, mais devrait lui être strictement personnel ; il ne pourrait non plus se substituer un tiers, à défaut par lui de chasser en personne. Nous ferons observer à notre correspondant que c’est bien là l’opinion que nous avons émise dans notre précédente causerie, en ajoutant seulement qu’il se pourrait qu’elle ne soit pas suivie pour des raisons que nous indiquions.

L’autre correspondant estime que le droit de chasser du fermier devrait comporter certaines limitations, que, tout au moins, le propriétaire devrait pouvoir imposer certaines restrictions à l’exercice de ce droit.

Cette dernière question se rattache à une autre question plus générale qui consiste à rechercher si, depuis la loi du 13 avril 1946, le propriétaire peut encore, comme antérieurement, priver le fermier du droit de chasser par une clause expresse du bail.

Nous avions d’abord pensé qu’il le pouvait, et, sans l’avoir exprimé nettement, nous l’avions admis implicitement dans notre premier article. Un nouvel examen de la question nous amène à conclure en sens contraire.

En effet, l’article 46 de l’ordonnance du 17 octobre 1945, modifié par l’article 20 de la loi du 13  avril 1946, répute non écrite toute disposition des baux restrictive des droits stipulés par l’ordonnance de 1945 et la loi du 13 avril 1946 ; le droit de chasser accordé au fermier est un des droits stipulés par la loi du 13 avril 1946 ; la clause du bail qui restreindrait ou supprimerait ce droit devrait donc être réputée non écrite. Nous pensons même que le fermier ne pourrait renoncer à l’exercice du droit de chasser par une clause du bail ; cette clause aussi serait réputée non écrite ; si le fermier accepte de renoncer à user du droit de chasser, il ne peut le faire qu’après coup ; de là la disposition du deuxième alinéa de l’article 42 bis, portant que, si le fermier n’entend pas user du droit de chasser, il doit en aviser le bailleur au moyen d’une lettre recommandée avec avis de réception. Le législateur a dû penser que si le fermier, pouvait renoncer au droit de chasser par une clause du bail, le bailleur pourrait toujours l’obliger à consentir à cette renonciation en en faisant une condition sine qua non de la passation du bail.

Ceci nous amène donc à cette conclusion qu’il n’est pas permis au propriétaire d’apporter, ni par le bail, ni par une décision ultérieurs, des restrictions au droit de chasser du fermier. C’est seulement par un accord postérieur au bail que ces restrictions pourraient être apportées.

Il y a lieu de noter, en terminant, que le fermier, autorisé par la loi à chasser, ne peut le faire qu’en respectant les conditions générales réglementant la chasse ; notamment, il doit avoir obtenu un permis de chasse, et, pour cela, il doit nécessairement avoir adhéré à une société de chasseurs, dont il est tenu de respecter les statuts, même s’il en résulte certaines restrictions au libre exercice du droit de chasser. Il y aurait peut-être là un moyen de remédier aux inconvénients précédemment signalés.

Paul COLIN,

Docteur en droit, Avocat à la Cour d’Appel de Paris.

Le Chasseur Français N°612 Février 1947 Page 370