Dans toute la France, il y a eu extrêmement peu de perdreaux
à l’ouverture. Ainsi connaissons-nous toute une région où ceux-ci étaient
autrefois abondants, mais où il en a été tué, cette année, moins que de
lièvres. Nombreux sont les terroirs de chasse où il en a été trouvé moins qu’il
n’en avait été laissé à la fermeture.
La cause ? ...
Deux ont été mises en avant : le mauvais temps qui
aurait fait rater les couvées, et les produits toxiques employés contre les
doryphores, les jeunes oiseaux succombant de l’ingestion des doryphores
empoisonnés.
Ces hypothèses, qui pouvaient paraître plausibles,
apparaissent peu probantes après étude plus approfondie.
Le mauvais temps ? ... Si les couvées avaient
raté, on aurait trouvé, à l’ouverture, un grand nombre de couples de vieux. Or
il n’en a presque pas été rencontré.
Les produits antidoryphoriques ? ... On pourrait
faire remarquer que la quantité de produit toxique qu’un doryphore absorbe, sur
la feuille de pomme de terre qu’il mange, est extrêmemenf faible ;
suffisante pour tuer un insecte, mais insuffisante pour tuer un oiseau
dépassant le poids de 30 à 40 grammes, poids du poussin perdreau à l’âge
où son gosier est devenu assez large pour avaler un doryphore mort, lequel
n’est pas un petit insecte.
Mais il y a des arguments encore plus négatifs :
1° Par le jeu des assolements, les cultivateurs sont
ordinairement amenés à grouper leurs plantations de pommes de terre dans un
même secteur. Si l’argument doryphore était fondé, il ne serait pas trouvé de
compagnies de perdreaux dans ces coins-là. Or il en était trouvé, à
l’ouverture, aussi bien dans les zones de pommes de terre qu’ailleurs.
2° Nous connaissons, à notre voisinage, au moins cinq
communes où, par économie, défaut de produits, ou autres raisons, les cultivateurs
n’ont pratiqué aucun traitement antidoryphorique en 1946. Or il n’y avait pas
plus de perdreaux sur ces territoires qu’ailleurs (une seule compagnie, au lieu
de la vingtaine d’antan, sur l’un d’eux).
L’explication à trouver doit donc être cherchée ailleurs.
Une constatation unanimement faite par tous les cultivateurs et gardes-chasse
montre dans quelle direction.
Il n’y a pas eu disparition des couvées et vieilles perdrix,
pendant le second printemps et l’été, mais disparition, pendant l’hiver
et le premier printemps, des perdrix laissées à la fermeture. Très peu de
couples ont été vus dans les champs à l’époque des travaux de printemps
(mars-avril).
On se trouve ainsi limité à une hypothèse possible et à une
cause certaine.
Une hypothèse possible : une épidémie à forme pulmonaire,
analogue à celle qui décima les perdrix et grouses en Angleterre de 1936 à
1938, et dont l’humidité du dernier hiver aurait favorisé le développement.
La cause certaine ; la non-destruction des nuisibles,
surtout sauvagine, et principalement belettes, que l’on rencontre actuellement
partout, au hasard de la moindre promenade.
La dîme que renards, putois, fouines, belettes, chats
demi-sauvages et chiens errants prélèvent sur le gibier a quadruplé avec leur
nombre, par suite du non-piégeage pendant six années.
Ces conséquences sont aggravées par la réduction
considérable que le stock français de perdrix a subi pendant l’hiver 1944-1945
du fait des destructions et du braconnage dans la neige.
La perte de 300 perdrix pendant un hiver n’est pas
catastrophique, là où il en restait 1.500 à la fermeture ; elle le devient
s’il n’en restait que 350.
Actuellement, en ce début de 1947, la reconstitution ou la
disparition complète de l’espèce perdrix de nombreux territoires de chasse,
d’ici deux ou trois ans, se jouent sur une marge extrêmement étroite, et il n’y
a pas de temps à perdre pour y aviser.
Piégeurs, à vos trappes !
Maurice LECLERC.
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