À l’occasion de l’assemblée générale de la société
départementale des chasseurs du Tarn, toutes les sociétés locales étaient
représentées ; aussi l’assemblée était-elle particulièrement nombreuse.
Beaucoup de questions y furent traitées, parmi lesquelles la
limitation des jours da chasse. Adversaires et partisans s’affrontèrent en une
discussion particulièrement animée ; finalement, la limitation fut
repoussée.
L’argument décisif qui détermina cette majorité fut
celui-ci : réduit à trois jours par semaine, l’exercice de la chasse
amènerait, durant ces trois jours, la totalité des chasseurs sur le terrain, et
plus particulièrement le dimanche ; il en résulterait un affolement
indescriptible du gibier, principalement des perdreaux, qui, renvoyée de l’un à
l’autre, se laisseraient prendre à la main. Quant aux lièvres, 95 p. 100
des levés pourraient être considérés comme morts.
Cette question de limitation des jours de chasse a déjà fait
couler pas mal d’encre et de salive ; je crois bon cependant de l’examiner
à nouveau d’un peu près et de voir ce que vaut l’argument invoqué.
La disparition progressive et continue du gibier, c’est un
fait, vient de la multiplication excessive des chasseurs : je ne parle pas
seulement du gros gibier, mais aussi du menu fretin : grives, merles,
alouettes, etc., qui ne seront bientôt plus qu’un souvenir. La plupart des
jeunes chasseurs ou débutants, qui manquent de métier pour la recherche des
lièvres, lapins ou perdreaux, s’acharnent sur les oiseaux, tous les oiseaux,
gros ou petits.
Pour bien se faire une idée de cette augmentation du nombre
de chasseurs, il faut se souvenir que, d’environ 200.000 en 1910, leur nombre
atteint, à ce jour, plus de 2 millions. Et, dans ce total, un grand nombre
sont plus braconniers que chasseurs, chassant non pour le plaisir ou pour le
sport, mais pour tuer, pour le profit ; ceux-là, évidemment, ne demandent
qu’à chasser tous les jours.
À cette progression inouïe du nombre de chasseurs qu’on ne
peut empêcher, il n’y a qu’un palliatif, un correctif si l’on peut dire :
c’est de limiter les jours de chasse à deux ou trois jours par semaine ;
trois, à mon avis, seraient suffisants : les dimanche, le lundi et le
jeudi. Les autres jours, le gibier reprendrait sa tranquillité ; les
perdreaux pourraient se regrouper. Mais voilà ! les privilégiés, les
désœuvrés, ceux qui ne sont ni à la glèbe, ni à l’usine, seraient comme tout le
monde : ils ne pourraient chasser que les trois jours permis et,
évidemment, cela ne leur va pas.
L’ouvrier, dit-on, ne peut choisir son jour ... Je
crois bien. Pour lui, le jour de liberté est vite choisi ; il n’en a
qu’un : le dimanche. Le cultivateur est logé à la même enseigne, et alors,
que les jours de chasse soient limités ou non, c’est toujours le dimanche que
tous les chasseurs seront sur le terrain.
Ce n’est donc pas la limitation des jours de chasse qui fera
sortir les chasseurs le dimanche ; c’est tout simplement parce que le
dimanche on ne travaille pas et que les chasseurs, comme les pêcheurs, comme
tous les autres sportifs, profitent de ce jour de repos et de liberté pour se
livrer à leur sport favori. Quelle déception pour eux quand, revenant après une
semaine dans le coin où ils pensaient retrouver une compagnie de perdreaux, ils
battent en vain la plaine ! Les désœuvrés de la semaine sont passés par
là !
Est-ce cela qu’on appelle la démocratisation de la
chasse ? Pour chasser les braconniers, empêcher la divagation des chiens,
guerroyer contre les furets, exterminer les nuisibles, très bien ! et tous
les chasseurs individuellement, toutes les sociétés de chasse doivent s’y
employer sans relâche, en même temps qu’au repeuplement des réserves. Mais,
qu’on sache bien, tout cela sera sans effet si, à la multiplication
astronomique du nombre de chasseurs, on n’oppose pas sans retard la limitation
des jours de chasse.
E. FRAYSSINET,
Président de la société départementale de chasse de Pampelonne (Tarn).
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