Un jour de décembre, le temps est gris, la tempête fait
encore rage, mais il n’a pas beaucoup plu et les charrues sont dehors. C’est le
moment de réfléchir sur l’une des opérations importantes exécutées par les
cultivateurs, appelés d’ailleurs autrefois les laboureurs et en passe de
devenir des agriculteurs ...
On dit volontiers que le labour ameublit la terre ;
d’autres préfèrent dire du labour qu’il prépare l’ameublissement. Je préfère la
seconde acception, qui paraît mieux en rapport avec les réalités dans un grand
nombre de cas. C’est pourtant exact, le labour suffit pour ameublir quand il
s’attaque aux terres très légères : derrière la charrue, le sol retombe
émietté, et le lit de semences est constitué sans que l’on ait quelque chose à
faire ; le hersage qui suit le labour a simplement pour objet de niveler
la partie superficielle et de faire disparaître les sillons ; encore
est-il que, dans certains cas, on jette la semence à la volée, et
l’enfouissement s’effectue avec un alignement relatif que l’on ne redoute pas.
En général, le labour, qu’a précédé souvent le quasi ou
pseudo-labour, façon de déchaumage qui a ouvert la terre plus ou moins tassée
après la moisson, donne des mottes ou des bandes dans un état de dislocation
fort inégal, et ce sont ces mottes ou ces bandes qu’il faut réduire. Comment y
parvient-on ? comment donne-t-on à la couche arable cette structure plus
ou moins fine, aux éléments plus ou moins rapprochés, très caractéristique pour
chaque milieu et même pour chaque plante ? Ici intervient l’art du
praticien qui a appris à tirer parti des circonstances atmosphériques en vue de
poursuivre l’effet ameublissant de la grande façon.
Une motte de terre exposée à la sécheresse, à la pluie, à la
gelée, se disloque peu à peu, les débris qui résultent de la division se
glissent entre les parties non atteintes, et l’ensemble forme progressivement
ce milieu homogène qu’il faut toujours tendre à réaliser, en vue d’une
circulation régulière et active de l’eau de particule à particule. Alors,
puisque les influences naturelles et gratuites contribuent à préparer
l’ameublissement, pourquoi ne pas en profiter au maximum et, dans cette
intention, pourquoi ne pas réaliser le maximum d’écart dans le temps entre le
jour du labour et le jour de la semaille ? L’intérêt des labours de fin
d’automne, d’hiver, de ces labours d’ouverture, apparaît encore mieux à la
lumière de ces simples observations.
Toutefois, les choses ne sont pas toujours aussi nettes que
cet exposé sommaire laisserait à le croire. Parmi nos terres cultivées, il en
est qui, pendant des mois, conservent l’apparence de terres motteuses, même
lorsque les intempéries ont passé ; ce sont les terres riches en argile,
en mélange d’argile et de calcaire ; mais, dès qu’à l’élément argileux se
mêle une proportion suffisante de sable, l’allure des phénomènes se modifie. Si
le grain de sable est grossier, l’apparence de la motte se modifie peu ;
mais, dès que le grain devient plus fin, dès que l’on arrive aux terres
blanches, aux terres battantes, suivant l’expression si pittoresque et si vraie
du praticien, l’éboulement des mottes est rapide. Progressivement, le relief du
terrain aux sillons saillants se modifie et, si l’on est vraiment en terre
battante, la surface du terrain se nivelle ; elle se ferme, elle n’offre plus
de prise aux actions desséchantes des premiers soleils du printemps, et la
couche superficielle reste froide, retarde l’entrée en action des instruments
qui vont permettre une mise au point. Phénomène important qu’il faut savoir
enregistrer jusqu’au niveau de cette sorte de plancher que la charrue dessine
au-dessous de la couche remuée. Une terre fermée en surface ne permet plus
l’action profonde des intempéries, de la gelée notamment qui a une influence
considérable ; ainsi on a l’apparence de l’ameublissement en surface, mais
la profondeur est inégale, conséquence extrêmement grave qui est méconnue par
les observateurs non avertis. Conclusion sur ce point spécial : il faut
commencer les labours d’hiver par les terres les plus réfractaire a à la
démolition, par celles qui restent accessibles aux actions variées du temps, et
terminer par les milieux à l’obturation trop rapide qu’il ne faut pas
précipiter vers l’asphyxie.
Autre conclusion qui se rapporte aux soucis du moment. Le
mot motorisation est à l’ordre du jour : on conçoit immédiatement que la
motorisation permet d’ouvrir rapidement les terres que l’on a hâte de voir
remuer parce que l’on gagnera sur le jeu du lendemain. Ainsi s’oppose le
travail relativement coûteux du tracteur tirant une charrue et le travail qui
paraît moins coûteux parce qu’il occupe les attelages consommant les produits
fourragers de la ferme, et l’on est content parce qu’inlassablement, même avant
le lever du jour, les laboureurs partent aux champs ; on fait des journées,
mais ces journées qui s’allongent, qui s’étirent, deviennent progressivement de
mauvaises journées. Si l’on ne prend pas soin de réduire parallèlement la
profondeur des labours qui durent, on risque de se trouver en février-mars
devant des mottes qui réclameront un grand déploiement de herses, de canadiens,
de rouleaux, instruments de dimensions variées, suivant la nature de la culture
envisagée. Voilà à quoi pense le cultivateur qui voit les charrues tracer les
sillons dans la plaine par un temps de grisaille.
Et l’on discute des prix de revient des opérations, on
discute depuis un siècle sur l’opportunité des labours plus ou moins
profonds ; celui qui enchaîne les faits et les gestes de chaque jour, qui
voit parallèlement le but à atteindre et les moyens qui mènent vers l’objectif,
comprend ce qu’il fait et il est dans la bonne voie. Vérités anciennes ;
il faut les redire, et, pour cela, tout simplement réfléchir en suivant les
sillons, aussi bien le sillon tracé silencieusement par les bœufs que celui plus
bruyant du tracteur.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
|