C’est une vieille connaissance.
À la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, elle a
été étudiée successivement par des savants éminents tels que MM. FŒX et P. VIALA,
PRILLEUX et DELACROIX, puis par MM. P. VIALA et MARSAIS.
Dans un ouvrage fort complet de Viticulture, de M. P. PACOTTET,
paru en 1905, et auquel on peut encore se référer avec profit, on en trouve une
description qui semble résumer les travaux à cette époque.
Nous ne saurions mieux faire que de citer quelques lignes de
cet auteur.
« La gélivure, la gommose bacillaire, le mal Néro,
etc., sont les synonymes d’une même affection, due au développement de
bactéries à l’intérieur des sarments. La souche ainsi atteinte se rabougrit, et
les jeunes rameaux insuffisamment développés lui donnent un aspect spécial connu
sous le nom de roncet, court-noué, aubernage, pousse en ortie.) »
Selon l’auteur, l’invasion se fait par les plaies de
taille : « ... Les sarments verts atteints voient leur écorce se
crevasser, puis des fissures profondes longitudinales apparaissent. Les
sarments les plus envahis sont entièrement dilacérés, déchiquetés, noircis par
places avec leur extrémité desséchée. »
Et plus loin : « ... Les bactéries se rencontrent
dans tous les tissus du sarment, sauf dans la moelle ... »
L’étude de la maladie a été reprise par M. RAVAZ, qui
estimait que celle-ci se développait principalement dans les terrains bas et
humides ; mais, de plus, il a procédé à une expérience des plus
intéressante en réussissant à produire artificiellement, chez la vigne saine,
le court-noué, et ceci en la soumettant à un froid modéré dans des conditions bien
déterminées.
Jusqu’ici, on pensait donc que la maladie était due soit à
une bactérie, soit à un refroidissement assez intense ; ce dernier
phénomène (expérience Ravaz) justifiant, jusqu’à un certain point, le
qualificatif de gélivure donné à la maladie.
Ce même M. RAVAZ devait établir, par la suite, que le
court-noué était une maladie contagieuse.
Plusieurs savants, tant en France qu’à l’étranger, l’ont
étudiée.
En France, nous devons à M. le professeur BRANAS, de
notre École d’agriculture et de viticulture de Montpellier, d’avoir trouvé la
cause de la maladie et d’avoir éclairé la question.
D’après lui, le court-noué serait dû à l’action d’un ou
plusieurs virus filtrants.
D’abord, qu’est-ce qu’un virus ?
Le dictionnaire est discret ; il note :
« Principe des maladies contagieuses. »
Nous dirons qu’un virus est différent d’un microbe (les
bactéries sont des microbes). En effet, ce dernier a une forme bien
définie : en bâtonnet, en point, rond ou ovoïde, etc. Il possède une sorte
d’enveloppe contenant une matière vivante appelée le protoplasma,
elle-même composée de plusieurs éléments.
Il est, en principe, peu déformable ; c’est cette
dernière propriété, en même temps que sa grosseur très relative, qui a permis à
un bactériologiste, CHAMBERLAND, d’utiliser la porcelaine poreuse pour filtrer
des liquides contenant des microbes ; ces derniers sont arrêtés dans les
sinuosités microscopiques de la porcelaine, et le liquide filtré est stérile.
Les virus, plus petits, s’étirent, traversent les mêmes
parois et se retrouvent dans le liquide filtré, d’où leur nom de filtrants.
Ce ou ces virus de la vigne seraient transportés
d’une racine à l’autre par le phylloxéra, comme d’autres maladies le sont par
les insectes ou les rongeurs.
Voilà où en est actuellement la question.
Des esprits chagrins pourront peut-être critiquer ce qui a
été écrit au début de ce siècle. Ce en quoi ils auront tort.
À cette époque, les connaissances physiques, agronomiques et
biologiques étaient arrivées à un tel point de perfection que les chercheurs
n’ont pas pu se tromper. Ils étaient de bonne foi et ont été des précurseurs.
En viticulture comme en agriculture, il n’y a rien de
définitif : à mesure que les recherches avancent, la technique se modifie.
Si, depuis, on a mieux étudié les virus, c’est, sans doute,
grâce à l’ultramicroscope électronique, lequel, ne possédant pas de
lentilles, a permis de porter les grossissements des objets de 2.500 diamètres
à 20.000 diamètres et plus.
Au reste, les bacilles dont fait mention P. PACOTTET
pourraient être de la famille du Pumillus Medullæ découvert et étudié
par MM. P. VIALA et MARSAIS, bien que l’auteur spécifie, comme nous
l’avons vu plus haut, que les bacilles en question ne se trouvent pas dans la
moelle.
Maintenant, s’il y a virus, il y a aussi le froid
(expérience Ravaz) qui peut engendrer la maladie du court-noué.
Il faut donc admettre, dans l’état actuel des connaissances,
que le même symptôme peut être produit soit par un agent physique, soit par une
maladie contagieuse.
Mais comment et par quels moyens discréminer la cause ?
En pratique, cela paraît chose impossible.
Si la maladie due à un agent physique est guérissable, il
n’en résulte pas moins que la plante s’affaiblit et que son développement
ultérieur s’en ressentira.
Au début du siècle, le court-noué n’était pas répandu comme
il l’est de nos jours ; les cas étaient l’exception, et l’opinion n’était
pas alertée.
Mais, depuis quelque temps, il se montre un peu partout et
prend une extension telle qu’il y a lieu de s’inquiéter sérieusement.
La maladie se présente sous des aspects un peu différents.
Dans le type le plus courant, les entre-nœuds ou mérithalles
se raccourcissent, les sarments restent petits et s’aoûtent mal.
Ensuite, on trouve un accident assez courant ; les
entrenœuds disparaissent, il se forme un double nœud qui produira deux feuilles
opposées, les prompts bourgeons se développent nombreux et donnent au cep un
aspect buissonnant.
Enfin, dans d’autres cas, on constate l’aplatissement des
rameaux, vrilles ou pétioles qui se soudent (facies) et se déchirent.
Quelle est la cause de cette extension ? Est-ce l’abus
des producteurs directs, l’absence d’engrais ou les façons culturales ?
Toutes les suppositions sont permises.
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un phénomène de
dégénérescence de la vigne ; il ne faut pas, en conséquence, que les
viticulteurs restent inactifs.
Dans l’état actuel, il faut pratiquer l’arrachage, en
extirpant le plus possible de racines et en les brûlant sur place ;
isoler les pieds malades des parties saines par des tranchées très
profondes ; désinfecter le foyer ainsi délimité par des doses massives de
sulfure de carbone et protéger les lisières des parties saines par le même
procédé.
Ainsi que nous l’avons écrit dans le dernier numéro de cette
revue sur les Insecticides et fongicides, nous avons de bonnes raisons
de croire que des maisons sérieuses étudient actuellement des produits de
désinfection des sols qui nous débarrasseront du phylloxéra et autres virus et
éviteront, il faut du moins l’espérer, l’arrachage, ce qui nous épargnerait une
seconde crise viticole.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
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