Ce n’est pas là du Jules Verne. L’avion sera de plus en plus
largement utilisé, non seulement pour le transport de maints produits de
consommation, mais aussi pour celui des animaux vivants, surtout pour ceux de
petite taille. C’est ainsi que des œufs à couver de poules Rhode Island rouges
ont été expédiés par avion de Suisse aux États-Unis, au début de ce printemps,
provenant des stations officielles d’élevage de volailles de ce pays. De même,
des envois d’œufs à couver, l’un totalisant 14.000 œufs, sont arrivés,
toujours par avion, du Canada en Angleterre, pour être réexpédiés de là dans
les pays de l’Europe centrale.
Des transactions de cet ordre vont se multiplier. En effet,
dans ceux des pays complètement ravagés par la guerre et qui ont subi
l’occupation et les pillages allemands, les cheptels sont inexistants. Ces pays
s’adressent donc à ceux dont les cheptels ont été partiellement préservés.
C’est ainsi que la Hollande peut fournir des bovins de la race Hollandaise Pie
noire de ses célèbres lignées sélectionnées, des moutons Texel, etc., que
l’Angleterre dispose de reproducteurs et de sujets d’élevage de moutons de ses
remarquables races, si parfaitement adaptées au plein air, de porcs, etc.
Mais ce sont principalement les races de petits animaux,
volailles et lapins, qui font l’objet de demandes massives, car poulaillers et
clapiers sont entièrement à reconstituer et à repeupler.
L’Angleterre, la Suisse, avec ses stations officielles
d’élevage de volailles et ses exploitations avicoles contrôlées, partiellement
le Danemark sont parmi les pays d’Europe qui sont le mieux en mesure d’accepter
les commandes importantes. Des aviculteurs français ont également pu fournir
plusieurs troupeaux de reproducteurs, principalement de la race Sussex
herminée, pour les pays de l’Europe centrale. Il faut prévoir que des demandes
massives seront encore faites en 1947.
La commande la plus importante qui ait été faite en Europe a
été effectuée cette année à l’association britannique des éleveurs pour les
pays de l’Europe centrale, principalement pour la Pologne et la
Tchécoslovaquie. Elle portait sur deux millions de poussins (pour une valeur de
deux cent mille livres sterling), qui devaient être transportés en avions
spécialement équipés, en mai, juin et juillet.
Cette formidable commande n’a pas été exécutée, bien que
partiellement préparée. En dernier lieu, le ministre du Ravitaillement anglais
s’y est opposé, en donnant comme raison qu’il lui était impossible de
ravitailler les pays acheteurs en grains et nourritures pour ces 2.000.000 de
becs, qui consommeraient de jour en jour des quantités plus importantes de
nourritures dont il ne disposait pas. Cette décision détermina de fâcheuses
répercussions chez les aviculteurs, dont beaucoup avaient pris leurs
dispositions pour assurer ces fournitures. Il en serait résulté un avantage
pour les consommateurs anglais, pour lesquels œufs et poulets auraient abondé,
si, parallèlement, les attributions de nourritures pour les volailles ne
venaient d’être plus étroitement contingentées et diminuées outre-Manche.
La Suisse, ayant pu maintenir qualitativement, améliorer et
accroître son cheptel avicole et cuniculicole, pendant la grande tourmente, est
largement en mesure d’aider au repeuplement des poulaillers et des clapiers des
pays gravement décimés par la guerre. C’est ainsi qu’un très important
contingent de lapins d’élevage a été fourni par les éleveurs suisses au
département agricole polonais et que d’autres envois sont et seront encore
effectués au fur et à mesure des disponibilités des élevages, qui procèdent à
des reproductions massives et intensives dans ce but.
Le département de l’Agriculture autrichien a également
commandé à la Fédération suisse d’aviculture 20.000 poussins, dont 15.117
ont fait l’objet d’un premier transport par avion, le 18 juin 1946, le
lendemain de leur éclosion. Comme tout fait supposer que des transactions de
cet ordre vont se poursuivre pendant les prochaines années, auxquelles les
éleveurs français ont déjà participé limitativement et qu’ils seront en mesure
d’effectuer largement à partir de 1947, il est intéressant que vous connaissiez
comment leurs confrères suisses ont procédé.
La commande des 20.000 poussins Leghorns et Rhode
Island (pour la réalisation de laquelle des dispositions avaient été prises dès
décembre 1945) fut répartie, en nombres déterminés par les possibilités de
chacun, entre une cinquantaine d’établissements d’aviculture officiels et
contrôlés. Pour que la réalisation fût synchronisée, il fut prescrit que la
mise des œufs en incubation devait être effectuée le 27 mai, pour que la
totalité des éclosions eût lieu le 17 juin et que tous les envois soient
acheminés pour qu’ils parviennent à temps à Zurich, lieu de départ de
l’expédition par air, au fur et à mesure de leur sortie de l’incubateur
parfaitement sèchés. Chaque éleveur tria et bagua les poussins à sa marque.
Ceux-ci furent logés dans des caissettes spéciales en carton, d’un modèle et de
dimensions uniformes, comportant deux compartiments circulaires juxtaposés pour
chacun 20 poussins. Ainsi, chaque caisse, ficelée et dont une paroi était
dotée de larges trous d’aération et dont le couvercle portait étiquettes et
indications requises, y compris le nom de la race, contenait 40 poussins.
Ces caisses furent acheminées par camions, autocars, chemins de fer, et
centralisés à Zurich, d’où elles furent, après vérifications, transportées par
camions et autocars sur le terrain d’aviation.
Pour loger toutes ces caisses, l’intérieur de l’avion avait
été équipé d’une charpente légère, supportant deux tablettes le long de chaque
paroi, permettant de superposer quatre caissettes sur chaque tablette, soit
huit en hauteur, le tout arrimé de telle façon que l’aération des poussins fût
convenablement assurée dans les conditions requises.
L’avion, dont la climatisation (aérateur et température) fut
probablement réglée, mit deux heures pour gagner Vienne, via Munich, de telle
sorte que les poussins furent rendus à pied d’œuvre, dans les meilleures
conditions et avec tout le confort requis, et répartis à leurs destinataires
largement dans les quarante-huit premières heures de leur existence, aussi
remuants et pleins de vie qu’à leur sortie de l’incubation. Cette réalisation
collective mérite d’être retenue ; elle témoigne de toutes les
possibilités de telles expéditions qui vont s’intensifier de plus en plus.
Claude AXEL.
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