Pour les trois quarts de nos concitoyens, la météo n’est que
le moyen de les renseigner sur le temps exact qu’on aura demain ou
après-demain, ou même plus tard, sur un point bien précis du territoire, qui
est soit la localité qu’ils habitent, soit le coin où ils comptent aller passer
le week-end.
Combien de fois m’a-t-on posé de ces questions saugrenues !
Combien de fois ai-je dû répondre qu’un observateur isolé, sans renseignements
généraux, ne pouvait et ne devait pas se risquer à une prévision locale
à allure scientifique.
Combien de fois, enfin, ai-je été obligé d’expliquer que la
météorologie est, avant tout, la science qui s’occupe de l’atmosphère, que,
faire de la météo, c’est étudier et tâcher de comprendre les phénomènes
complexes qui ont leur siège dans l’air qui nous environne. La prévision du
temps ne vient qu’après. Elle est l’aboutissement de cette étude et la mise en
application des règles qui en découlent.
Presque toujours, on m’a répondu sur le mode narquois que
tel pêcheur ou tel paysan — suivant la localité — sans étude, sans
brevet, était à même de prédire le temps après un coup d’œil vers le ciel ou
d’après le comportement des volailles ou des animaux domestiques ... cela,
évidemment, sans se tromper jamais ! ... Tandis que l’O. N. M.,
n’est-ce pas, on sait ce que valent ses prévisions.
Je ne me pose pas en défenseur de l’O. N. M., qui
n’a pas besoin de moi pour cela ; je n’ai pas non plus l’honneur
d’appartenir à cette institution : je ne suis donc pas partie dans le
procès.
Il est vrai qu’au cours de vingt-huit ans de navigation au
large j’ai relevé quelques belles erreurs à l’actif des prévisions officielles,
mais il faut convenir que, depuis une dizaine d’années, lesdites prévisions
sont justes neuf fois sur dix et que, depuis la guerre, cette proportion a été
encore améliorée.
Je reconnais aussi que le pratique local se trompe assez peu
souvent s’il ne cherche pas à « forcer son talent », c’est-à-dire
s’il se borne à dire que, demain, « il pourrait bien pleuvoir », ou
que « le vent tournera probablement au nord », Mais, s’il sort de ces
généralités, ou s’il veut utiliser à 50 kilomètres de chez lui les
méthodes qui réussissent dans son terroir, il se trompera 95 fois sur 100.
Même dans les grandes villes, où on a pourtant d’autres
recours, on va chez le rebouteux pour une cheville démise ou un bras
cassé ; mais, dès qu’il s’agit d’un abcès au foie ou d’un ulcère à
l’estomac, on court chez le chirurgien.
On n’a pas — en général — à se repentir d’avoir
demandé l’assistance du rebouteux, tant qu’il travaille dans sa
« sphère ». D’ailleurs, comme tous les maux qu’il soigne sont
rarement graves, les erreurs n’entraînent pas de complications sérieuses. De
bonne foi, on dit qu’il guérit ses patients à tous les coups.
Mais l’infortuné chirurgien, qui traite des maladies graves,
aura, en cas d’erreur — ou de malchance, — des complications
tragiques chez ses opérés ... et c’est uniquement de ces accidents qu’on
fera état pour lui créer une réputation.
Ainsi en va-t-il de la prévision empirique et de la
prévision rationnelle du temps. Quand notre pratique local aura annoncé :
« Il pourrait se faire que demain il y ait de l’eau », personne n’y
pensera plus si, le lendemain, le temps est sec ; mais, en cas de pluie,
chacun s’exclamera : « Il l’avait bien dit ! »
Quand l’O. N. M. annonce : temps pluvieux
dans le secteur Sud-Est, et qu’il y a du soleil à Nice ou du mistral à Avignon,
on dit que l’O. N. M. s’est trompé.
Mais, si votre médecin vous dit qu’il y a une épidémie de
grippe dans votre localité, direz-vous plus tard qu’il s’est trompé si ni vous
ni les vôtres n’avez été malades ?
La prévision du temps est basée sur l’observation simultanée
de l’état de l’atmosphère en de multiples points du globe — océans
compris. À chaque instant, par télégraphe, ces renseignements sont centralisés
dans certains bureaux et groupés de trois heures en trois heures.
Par comparaison d’abord, puis par extrapolations, on déduit
des indications reçues la marche passée et présente des perturbations et leur
évolution probable.
Ces calculs intéressent d’immenses régions, rarement plus
petites que la moitié de la France.
Il n’est donc pas impossible qu’un mauvais temps prévu comme
devant éprouver tout un groupe de départements, toute une région même, voit sa
trajectoire déformée par des collines, une montagne, un fleuve, le voisinage de
la mer, même une forêt ... tous éléments susceptibles de faire varier de
quelques dixièmes les indications du baromètre, du thermomètre ou de
l’hygromètre.
Alors, des localités qui auraient dû souffrir du mauvais
temps se trouvent épargnées et sont dans la situation d’un monsieur qui, bien à
l’abri dans sa maison, regarderait les passants peiner dans la rue sous une
pluie torrentielle. Ce monsieur songerait-il à nier la pluie parce qu’un toit
le protège ? C’est pourtant ce que font bon nombre de gens quand l’état du
ciel, chez eux, ne correspond pas à ce que la radio a annoncé la veille, pour
leur région.
Je me propose d’étudier ici, avec les lecteurs de bonne
volonté, d’abord l’atmosphère, puis les phénomènes qui s’y produisent, pour
arriver à une compréhension assez nette de la météorologie, ce qui nous
permettra d’aborder, pour finir, les méthodes de prévision du temps.
PYX.
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