Chandeleur ... dans la tiédeur de la cuisine
campagnarde l’odeur de crêpes monte, se mêlant au parfum de la cire, chaude
encore, du cierge que l’on vient de rapporter de la messe et qui ne sera plus
allumé qu’en cas d’orage ou de mort dans la maison.
Nous ne retracerons pas ici l’histoire de cette fête, restée
si populaire dans nos provinces ; mais nous voudrions, à bâtons rompus,
évoquer ses coutumes à travers nos régions.
Au moyen âge, à Amiens, une jeune fille magnifiquement
habillée, la tête surmontée d’une couronne, les épaules couvertes d’un riche
manteau d’hermine, était assise sur un trône placé dans la nef de la
cathédrale. Autour d’elle, un grand nombre d’enfants représentaient les anges.
Elle se rendait à l’offrande avec son cortège et, devant le prêtre, récitait
des vers relatifs à la présentation de la Vierge au temple, tandis que l’un des
anges offrait deux tourterelles au Seigneur. Cette charmante cérémonie a, hélas !
disparu du calendrier amiénois depuis longtemps.
À la Chandeleur, on fait une grande consommation de
« douceurs ». Autrefois, à Paris, les pâtissiers devaient fermer
boutique ce jour-là, mais ils obtinrent par surprise, au mois d’octobre 1611,
des lettres patentes leur permettant de travailler ; en compensation, ils
s’engagèrent à tenir leurs éventaires fermés le jour de la Nativité de la
Vierge. Mais, en 1653, ils durent obéir de nouveau à la loi antique, et les
Parisiens durent faire eux-mêmes leurs gâteaux.
La crêpe est le plat classique de ce jour, car :
Faire des crêpes à la Chandeleur,
C’est du bonheur.
D’ailleurs, ces crêpes ont toutes sortes de
propriétés :
Si point ne veux de blé charbonneux,
Mange des crêpes à la Chandeleur,
dit-on en Poitou.
En Berry, la ménagère roule dans du papier de soie la
première crêpe qu’elle confectionne et la dépose au faîte de l’armoire. Dans
l’Yonne, on distribuait des crêpes aux poules, afin de garantir, toute l’année,
une bonne récolte d’œufs. Dans les terroirs mauges (Anjou), il fallait manger
des crêpes afin d’éviter d’avoir de la fièvre durant l’année
Dans certains endroits, on fait des gâteaux spéciaux,
rituels ; c’est ainsi que, vers 1840, à la Chaise Beignet, en
Maine-et-Loire, les bergères du pays s’assemblaient, le 2 février, autour
d’un chêne. Elles apportaient chacune de l’huile, des œufs et de la farine pour
la confection des beignets et des crêpes, puis dansaient jusqu’à la nuit. Cette
petite fête portait le nom de la Ribergère.
Autrefois, à Martigny, dans les Vosges, tous les mariés de
l’année devaient, le jour de la Purification, appelé le jour des Roulans,
jeter un gâteau dans une fontaine située au bas du village. Les jeunes
célibataires devaient, eux, le saisir afin d’être mariés dans l’année. Le
nouveau marié qui refusait de donner ce gâteau devait s’attendre à voir la
jeunesse du pays dresser des échelles le long de sa maison et démolir ses
cheminées s’il ne leur payait pas à boire !
En Touraine, il fallait, en ce jour de fête, manger de la soupe
dorée pour avoir de l’argent durant les mois à venir.
À Marseille, on bénit de petits gâteaux en forme de bateaux,
dits navettes ; les notaires de cette ville font aussi un banquet
où l’on sert des fraises.
Ailleurs, on mange des beignets, des marrons « frigolés »,
des gaufres, des roussettes. Dans plusieurs régions, il faut faire sauter
soi-même une crêpe en tenant une pièce d’or dans la main pour être certain
d’être « argenté » !
Le cierge, qui joue un grand rôle dans les superstitions
populaires, donne lieu, lui aussi, à des coutumes particulières. Dans les
Ardennes, encore vers 1830, dans certains villages, les femmes faisaient don au
curé d’une pièce d’argent et d’un beau cierge.
Ce 2 février, le paysan regarde avec soin le temps, car
il a une réelle importance aux yeux des populations rurales.
Au début du siècle dernier, en Cambrésis, on disait que,
« si le soleil luit le jour des femmes (Chandeleur), le loup rentre dans
sa tanière pour six semaines », c’est-à-dire que les rigueurs de l’hiver
dureront encore six semaines ; en d’autres endroits, l’ours, cet animal
sympathique, remplace le loup.
À Paris, au XVIIe siècle, le Dictionnaire des
Halles note ce dicton :
À la Chandeleur, La grande douleur,
c’est-à-dire la froidure.
En Morbihan, deux sentences ont cours :
À la Chandeleur Le jour prend de l'ampleur,
et :
À la Chandeleur, Jetez le chandelier à la mer,
allusions aux jours qui commencent à croître sérieusement.
Quand il pleut sur la chandelle il pleut sur la javelle,
dit-on en Anjou, voulant dire par là que, s’il pleut le
2 février, il pleuvra aussi au moment de faire la moisson.
Voici encore d’autres dictons :
Quand à la Chandeleur le soleil luiserne,
L’ours rentre dans sa caverne.
À la Chandeleur, verdure,
À Pâques, neige forte et dure.
Rosée à la Chandeleur,
Hiver à sa dernière heure.
Et enfin :
Si le deuxième de février,
Le soleil paraît en entier,
L’ours, étonné de sa lumière,
Se va remettre en sa tanière :
Et l’homme ménager prend soin
De faire resserrer son foin,
Car l’hiver, tout ainsi que l’ours,
Séjourne aussi quarante jours.
Si la fête de la Purification est surtout la fête des femmes
et des enfants, elle est aussi parfois celle des animaux. Autrefois, dans le
Briançonnais, les femmes faisaient bénir des cierges dans les églises, puis les
promenaient processionnellement dans les étables, afin de préserver les bêtes
des maladies.
Ainsi, à travers la France, tandis que les cheminées fument,
que l’huile bout pour préparer les bonnes roussettes, les coutumes de la
Chandeleur se perpétuent, jetant sur notre vie un rayon de lumière et un peu de
gaieté ...
Roger VAULTIER.
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