Dans une récente causerie, nous avons indiqué aux lecteurs
du Chasseur Français divers procédés de remise en état des crosses
détériorées par les vicissitudes des années d’occupation. Un de nos
correspondants nous demande, avant de mettre ces conseils en pratique, de lui
indiquer comment modifier une crosse dont les dimensions ne conviennent pas à
l’usager. De très nombreux fusils ayant en effet changé de possesseurs par
suite des événements de ces dernières années, nous croyons utile de dire
aujourd’hui quelques mots sur ce qu’il est possible de faire dans cet ordre
d’idées.
Il convient, en premier lieu, dans l’utilisation des armes
de chasse, de distinguer le cas du tireur qui vise avec les deux yeux de celui
qui ferme l’œil gauche. Avec l’emploi de la visée binoculaire, on peut, en
effet, utiliser à peu près toutes les crosses à condition que leur longueur ne
gêne pas l’épaulement rapide ; la convergence des deux rayons visuels et
de la bande sur le gibier est en effet toujours possible, quelle que soit la
hauteur des yeux au-dessus de la bande. De ce fait, le tireur à visée
binoculaire est moins esclave d’une forme précise de crosse que son confrère
qui n’utilise que l’œil droit.
Ce dernier doit amener l’œil à la hauteur et dans l’axe
exact de la bande en prenant un point d’appui sur la crosse au moyen de la
pommette ou du maxillaire ; de la fixité de cet ajustement dépendra la
rapidité et la précision du tir, sans qu’il soit nécessaire de faire un
mouvement supplémentaire pour prendre la ligne de mire.
On reconnaît, en effet (et c’est là la meilleure des
vérifications) que l’arme convient parfaitement au tireur lorsque, après avoir
épaulé les yeux fermés, l’œil droit, ouvert ensuite, se trouve exactement dans
la position voulue, c’est-à-dire, comme nous venons de le dire, à la hauteur et
dans l’axe de la bande.
Au cas où cette coïncidence n’a pas lieu, si la différence
n’est pas trop sensible, il suffira d’épauler un peu plus haut ou un peu plus
bas en modifiant légèrement la position de la main gauche sur le devant.
Quelques exercices amènent généralement le résultat cherché sans plus de
frais : les bons tireurs réussissent, en effet, à tuer du gibier avec des
armes de dimensions parfois assez différentes entre elles, habitués qu’ils sont
après quelques essais à amener d’instinct la ligne de mire à la hauteur de
l’œil.
Ne méconnaissons pas, toutefois, l’intérêt qu’il peut y
avoir pour le tireur moyen ou pour celui qui est anormalement constitué à
rechercher plus de précision dans l’adaptation de la crosse. Tous les chasseurs
savent que cette dernière se caractérise par sa pente et sa longueur et il
suffit d’un peu de réflexion pour constater que, dans une certaine mesure,
pente et longueur peuvent parfois se compenser, tout au moins partiellement. En
raison de l’inclinaison de la crosse par rapport à la ligne de mire et de la
plus ou moins grande obliquité de l’arête supérieure, on voit tout de suite
que, pour un tireur donné, tout allongement de la crosse amènera l’œil droit
plus bas par rapport à la bande, puisque le point de contact de la pommette
sera lui-même plus bas.
Inversement, un raccourcissement relèvera la position de
l’œil.
Le chasseur qui ne voit pas assez de bande ou qui en voit
trop devra donc rechercher par une modification de longueur à amener l’œil
droit en position correcte. La longueur d’une crosse est en effet assez
variable pour un tireur donné et, pour peu qu’elle ne gêne pas lors de
l’épaulement, la main gauche y trouvera toujours la position convenable.
Il est très facile de rogner une crosse ; on l’allonge
très simplement par l’adjonction d’une plaque de liège de 5, 10 ou même 15 millimètres
entre le bois et la plaque de couche ; au cas même où l’allongement ne
serait pas possible sans gêner le tireur, on pourra abaisser la position de l’œil
(crosse trop droite) en enlevant quelques millimètres de bois sur l’arête
supérieure de la crosse. Il est plus difficile d’y rapporter de la matière
(crosse trop pentée) et il y a lieu d’envisager dans ce cas l’emploi d’un
couvre-crosse en cuir avec léger rembourrage.
Toutes ces corrections peuvent être faites sans recourir au
spécialiste. Il n’en est pas de même en ce qui concerne la modification de la
pente d’une arme par courbure de la poignée : ce travail, qui doit être
fait à chaud sous imprégnation de matières grasses, demande un certain tour de
main et des retouches au pontet ainsi qu’à la queue de bascule. Plus ou moins
facile suivant le type de l’arme, l’opération ne peut dépasser une certaine
correction et modifie l’angle de la plaque de couche avec les canons ;
nous ne la conseillons qu’aux chasseurs qui savent exactement ce qu’ils
désirent, car, à faire courber et redresser une crosse, on finit par gâter
l’arme ou la rendre anormale. Nous mettons à part, bien entendu, le cas du
chasseur qu’une infirmité oblige à l’emploi d’une crosse tout à fait spéciale.
Il est d’ailleurs assez délicat de déterminer a priori
les dimensions d’une crosse en tablant sur la taille, la longueur des bras et
la hauteur du cou d’un tireur. On nous a demandé, à différentes reprises, de
publier un barème tenant compte de ces différentes données : rien n’est
plus décevant qu’une telle conception, car, indépendamment des dimensions
corporelles, interviennent un certain nombre d’autres causes, en particulier la
manière d’épauler. La souplesse de l’articulation de l’humérus entre également
en jeu en modifiant le point d’appui de la plaque de couche. Bref, il n’y a pas
d’autres procédés certains que l’essai d’une ou plusieurs armes sur le terrain.
Le fusil conformateur lui-même n’a pas un équilibre normal et ne donne que des
indications générales.
Nous terminerons en faisant remarquer qu’il est plus
rationnel de fixer la position de l’œil par le contact de la pommette que par
celui du maxillaire. Il faut réserver cette dernière solution aux chasseurs qui
font usage d’une crosse très pentée en raison de la longueur de leur cou et qui
ne veulent pas incliner la tête.
Sous bénéfice des quelques considérations ci-dessus, tout
chasseur pourra retoucher parfois utilement son arme avant d’en entreprendre la
restauration.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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