C’est au pluriel que je devrais intituler cette chronique,
car nous avons, en France, et de plus en plus, des dates échelonnées pour la
fermeture des diverses espèces de gibier et des divers modes de chasse.
Sous ce dernier rapport, rien à reprendre aux anciens
règlements, qui ont toujours, et à juste titre, prévu pour la chasse à courre
des dates de fermeture bien plus tardives — d’un trimestre au moins
— que pour la chasse à tir : c’est ainsi que la chasse à courre du
chevreuil et du lièvre est fermée le 31 mars au soir ; celle des
autres espèces de gibier, notamment du cerf, au 30 avril. À cette date, il
n’y a plus guère de cerfs à bois, et l’on attaque surtout des daguets. Le
daguet donne souvent du fil à retordre aux maîtres d’équipage :
C’est une petite bête
Qui se fait chasser prestement
si l’on en croit la fanfare de vénerie.
Rien à redire au sujet de ces dernières dates. Je note
simplement que le courre du lièvre, jadis discuté, à tort selon moi, conquiert
le droit de cité.
Il avait été question, et ce serait un bien, de définir ce
que doit être un équipage de lièvre pour bénéficier du droit de chasse à courre
après la fermeture générale ; la question mériterait d’être reprise pour
éviter des abus. Rien n’est passionnant, au surplus, comme la menée d’un lièvre
par une demi-douzaine de beagles-harriers, pour ne citer que cette race, sous
la conduite, à pied ou à cheval, d’un veneur rompu aux ruses du
« capucin » et connaissant à fond chaque sujet de sa meute. J’ai
souvenir de bien jolies chasses ainsi suivies en Bresse, en Franche-Comté, en
Deux-Sèvres. Acceptons de bon cœur le plaisir que nous valent ces fermetures
retardées.
De même, j’applaudis à la fermeture de la chasse au gibier
d’eau le 31 mars : ainsi pouvons-nous profiter du passage printanier
des bécassines, des sarcelles, des vanneaux, pour ne mentionner que les espèces
les plus répandues au printemps sur nos étangs et nos marais.
Si je ne dis mot du canard sauvage, c’est qu’aux termes
mêmes de l’arrêté ministériel le canard colvert ne peut plus être chassé après
le 15 février. Les mâles, à cette date, sont cependant en pleines
couleurs ; le moins clairvoyant des chasseurs ne peut s’y tromper, et
sachons bien que toute cane, respectée comme il se doit, mais rendue veuve,
convole aussitôt avec un nouveau maître. J’ai vérifié le fait trois fois de
suite en Saintonge, dans le même coin de marais où, devant moi, se levait
indiscutablement la même cane, dont les deux premiers prétendants avaient
culbuté sous mon plomb quelques jours plus tôt.
Il était admis, dans certains pays d’Europe orientale,
notamment en Pologne, que le tir des canards mâles pouvait se pratiquer bien
après celui des canes, celles-ci étant toujours en nombre inférieur par rapport
au contingent des mâles. La protection des espèces se trouvait renforcée grâce
à cet écoquetage. Tous ceux qui ont pratiqué, jadis, la passée du soir aux
canards au début de mars conviendront que la plupart de leurs victimes étaient
des mâles : j’ai, à l’appui de cette assertion, des tableaux probants.
Et la bécasse ? Elle fait l’objet de fermetures très
variables, laissées à l’appréciation des préfets, sur avis du conservateur des
Eaux et Forêts et du président de la société départementale des chasseurs. En
deux mots, je dirai mon faible pour la croule, qui, elle aussi, est un
écoquetage : les autopsies le prouvent de façon péremptoire et, rassurons
les gourmets, peuvent se pratiquer sans nuire à la rôtie. Par contre, le tir à
la relevée, « à la branche », au chien d’arrêt, me semble dangereux
pour l’espèce au printemps, du fait qu’une fois les couples formés c’est
généralement la femelle qui fait les frais du coup de fusil, en admettant que
le doublé n’ait pas lieu. Encore une fois, autopsiez vos victimes et vous serez
convaincu.
Autres fermetures : celle de la perdrix, souvent fixée
par les préfets au 30 novembre : c’est une date raisonnable (sauf
pour les fervents de la battue) et qui évite bien des abus ; à condition
toutefois que la surveillance du braconnage, du colportage et de la vente
clandestine soit très sévère.
Fermeture anticipée, celle de la caille et du râle de
genêts, fixée par le ministre, pour 1946, au 13 octobre. Bravo pour la
caille. Mais pourquoi, diable ! lui accoler le râle de genêts, à moins que
l’on ne prête foi aux récits fabuleux de Pline, donnant comme guide aux cailles
migratrices l’« ortygomètre » ou mère caille, notre roi de cailles,
notre râle ? Rien de commun, selon moi, dans la protection nécessaire de
l’une et de l’autre espèce, non plus que dans leur migration. Et j’en parle
d’expérience, ayant à proximité de ma villa sinistrée de la Coubre un marais à
râles réputé.
Je passe sur les fermetures diverses et opportunes des
espèces du gibier de montagne, qui mérite ample et stricte protection.
Et je termine par la fermeture, la vraie, avec un grand
F ; celle que je vous souhaite de célébrer en compagnie d’excellents amis,
avec de bons chiens, et, pour conclure, autour d’une table aussi bien garnie et
arrosée que le permettent les dures circonstances du moment.
Pierre SALVAT.
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