Ma causerie d’aujourd’hui sera la réponse à une lettre que
m’ont adressée « deux pêcheurs qui débutent » et que je crois
susceptible d’intéresser également nombre de jeunes confrères.
Avril est un excellent mois de pêche, mais il n’a
malheureusement que trois semaines ... pour les pêcheurs, puisque la
fermeture va mettre un terme à leurs exploits en deuxième catégorie.
Tous les poissons, à quelque espèce qu’ils appartiennent,
ont besoin de « se refaire » après le jeûne prolongé de l’hiver.
Aussi est-ce avec entrain qu’ils recherchent leur nourriture et acceptent celle
que nous leur offrons avec beaucoup de bienveillance.
Voyons ce qu’il nous est possible de faire pendant ces trois
semaines :
Si les eaux proviennent de la fonte des neiges, il est
inutile d’essayer de capturer un poisson : cette désoxygénation de l’eau
est absolument néfaste à toute pêche, ayant sur l’organisme des hôtes
aquatiques une fâcheuse répercussion.
Mais ne confondons pas « eau de neige » et
« temps de neige ». On peut prendre du poisson alors que les bords de
la rivière sont recouverts d’une épaisse couche blanche qui ne fond pas.
Essayez la mouche artificielle pendant que les flocons
blancs se posent doucement sur la surface, et vous verrez comment les truites
se comporteront : je parle toujours d’après des expériences personnelles.
Espérons donc qu’avril sera doux, les eaux claires et
normales, et nous irons à la pêche avec la presque certitude de garnir notre
panier, plus ou moins suivant nos connaissances halieutiques.
Envisageons chaque espèce à part :
À tout seigneur, tout honneur ; bien que peu de
pêcheurs aient la possibilité de le rencontrer dans leurs eaux, disons que le saumon,
le roi de nos rivières, se capturera à tous les leurres de lancer, métalliques
ou en caoutchouc, ainsi qu’au poisson mort ; il faudra chercher le fond,
c’est indispensable pour réussir. Vous devez sentir votre appât racler les
cailloux de temps en temps ; tant pis pour les accrochages : le
succès est à ce prix. Le paquet de vers peut le tenter. Pas grand’chose à faire
à la mouche artificielle pour le saumon, mais la truite gobera avec
entrain toutes les artificielles noyées que vous lui présenterez
correctement ; sa préférence ira nettement aux imitations de larves
aquatiques faites convenablement. Si vous voulez en avoir un modèle approchant,
coupez à 2 millimètres du corselet toutes les barbes d’une mouche
artificielle bien fournie en hackles : la truite s’y trompe assez souvent.
La mouche sèche ne sera pas encore acceptée régulièrement, à
moins d’une saison exceptionnellement avancée.
Tous les leurres de lancer léger sont à utiliser pour la
truite ; ils sont tous susceptibles de la tenter.
Le ver de terre est, sans contredit, le meilleur appât et le
plus facile à employer dans les petites rivières. Même les pêcheurs novices
auront du succès, et non seulement pour la truite, mais pour tous les poissons
d’eau douce : c’est l’appât type en avril ; sa grosseur variera,
évidemment, selon les espèces de poissons recherchées, mais les petits vers rouges,
bien remuants, constitueront, en tous lieux et en tous temps, des esches de
premier ordre.
Laissez-les séjourner quelques jours dans la mousse
humide ; ils acquerront la fermeté du caoutchouc et une belle vigueur.
La perche est également friande de vers rouges ;
elle acceptera avec empressement la « petite bête » (larve aquatique
du grand éphémère), un petit vif, même une pelote d’immondes asticots.
Évidemment, tous les petits leurres du lancer léger sont
excellents, surtout la petite cuiller à pompon rouge, qui paraît exercer sur la
perche une attirance particulière.
Prospectez les abords de tous les obstacles immergés, même
ceux des bords, les buissons, les piles de pont, les portes d’écluse, de bief,
les vannes, les blocs de pierre, etc. ; la perche se trouve rarement en
eau libre, les grosses pièces surtout.
Une fois accrochée, ne la brusquez pas : sa bouche
tendre se déchirerait, désagrément que connaissent bien des débutants.
Venons-en au requin des eaux douces : messire
Grand-Gosier. C’est un poisson stupide, facile, très facile à prendre, car
il n’est pas méfiant. Il attaque tout ce qui vit, tout ce qui bouge, comme la
perche, mais ne s’éloigne pas de son poste d’affût ; il ne poursuit pas sa
proie, il la guette, et, s’il la manque, il attend une autre occasion
favorable.
On le capturera aux leurres métalliques, au poisson mort ou
vif, au gros ver de terre précédé d’une hélice, etc. Le rechercher dans les
trouées de végétation, dans les bras morts des rivières rapides, car il craint
le courant, dans les remous ; il affectionne les abords des obstacles, les
joncs, les roseaux.
Le vif est le meilleur appât à utiliser par les pêcheurs
patients ; choisissez un poisson de fond, tel que goujon, carpillon,
petite tanche ; ils bougeront sans cesse pour regagner le fond, tandis que
d’autres : ablette, chevesne, resteront parfois immobiles, ne battant pas
le rappel autour d’eux par leur nage apeurée et précipitée. Je ne dis pas
qu’ils doivent absolument être proscrits pour pêcher le brochet
Le chevesne prendra le ver de terre, les larves
aquatiques, qu’elles qu’elles soient, les mouches naturelles et artificielles,
l’asticot, mais il marquera une préférence pour la petite cuiller sans pompon
plombée en tête.
Cherchez-le partout, entre deux eaux ; dans les
profonds remous se tiendront les gros représentants de l’espèce, seuls dignes
de recevoir l’hospitalité de notre panier.
La carpe, puissant adversaire, vit exclusivement au
fond et se nourrit de tout ce qu’elle trouve dans ses explorations : gros
vers de terre (même les autres), pelotes d’asticots, larves aquatiques. Il est
encore trop tôt, dans les eaux froides, pour employer la pâte ou la petite
pomme de terre. On peut les essayer, cependant, en étang, par temps chaud, mais
c’est surtout en été et à l’automne que ces deux appâts feront merveille.
La carpe habite les cavernes profondes des berges, les
masses de végétation, les excavations des ponts, des constructions immergées,
dans l’eau calme ; elle préfère les étangs, les lacs, voire les mares, aux
rivières et fleuves rapides.
Poisson très méfiant, la carpe doit être amorcée plusieurs
jours de suite, le soir principalement, afin de l’habituer à venir chercher sa
nourriture dans un lieu bien précis, où vous lui tendrez un piège : en
l’occurrence votre ligne, eschée avec un des ingrédients composant l’amorce.
Cet amorçage se fera avec des pelotes de terre friable,
terre de taupinière, par exemple, dans laquelle on aura incorporé des asticots,
des débris de vers, des pommes de terre cuites et écrasées, des miettes de
tourteaux de chènevis, du blé cuit, etc. ; ces pelotes se désagrégeront
lentement, sous les coups de nez du poisson, et laisseront échapper les
succulents morceaux, aussitôt happés.
Abordez le « coup » sans bruit, lancez vos lignes
à l’eau en douceur, et péchez sur le fond, la carpe ne mordant jamais entre
deux eaux.
Se renseigner si on a le droit de pêcher ainsi, car les
sociétés sont seules habilitées à autoriser un tel procédé.
La tanche est également un poisson de fond qu’on
prend en pêchant la carpe ; elle a une prédilection pour le petit ver
rouge et n’aime pas beaucoup les pâtes.
L’amorçage est également nécessaire, avec les mêmes
ingrédients que pour la carpe.
Le barbeau recherchera à fond les gros vers de terre,
les cubes de gruyère, les têtards, l’asticot, la pâte.
Le gardon prendra, entre deux eaux, l’asticot, la graine de
chènevis ; l’ablette se laissera tenter par les mouches de maison,
les petites mouches artificielles et les asticots ; le goujon acceptera le
ver rouge et l’asticot.
Avril est un des meilleurs mois pour la pêche à la mouche
artificielle.
Ces quelques lignes ne peuvent donner qu’un aperçu de la
pêche particulière à chaque poisson ; nous y reviendrons un jour.
Marcel LAPOURRÉ.
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