Pour les pêcheurs vraiment passionnés de leur art, bien
longue paraît la période de deux mois entiers pendant laquelle ils demeurent
condamnés à un repos complet.
C’est pourquoi ceux d’entre eux qui ne peuvent pas pêcher la
truite, faute de trouver dans leur région des rivières habitées par ce
salmonidé, recherchent les étangs, propriétés privées, fussent-ils petits, pour
ne pas rester pendant un aussi long temps inactifs.
Une simple pièce d’eau d’un ou deux ares de superficie peut
suffire à les contenter, si elle est bien peuplée de tanches.
Chacun, même le plus étranger à la pêche, connaît ce
poisson, pour l’avoir vu à la devanture de certains magasins, vivant ses
dernières heures dans un de ces petits baquets de bois, à demi remplis d’eau
fraîche, où il attend les acheteurs.
Sa couleur, d’un vert bronzé brillant, ses yeux petits, à
l’iris rougeâtre, son corps ramassé, trapu, bâti en force, le font reconnaître
à première vue et distinguer de tous autres poissons ; il n’est donc point
nécessaire de le décrire.
La tanche est, avec le brochet, un des meilleurs poissons
d’étang. Quant à moi, j’estime beaucoup sa chair blanche, un peu grasse bien
qu’assez légère, qui est vraiment excellente quand on a fait passer son
habituel goût de vase, ce qui est aisé. Il suffit, en effet, de le conserver
pendant une huitaine dans un récipient rempli d’eau pure, que l’on change deux
fois par jour.
La pêche à la ligne de la tanche, en étang, est très
amusante et parfois fort productive, quand ces poissons y sont nombreux et qu’on
sait bien la pratiquer ; c’est une pêche facile.
Ce poisson affectionne les fonds vaseux situés à proximité
des massifs de roseaux, scirpes, iris d’eau, etc. ..., dans lesquels il
trouve une retraite inviolable. Mais il en sort, à ses heures, pour rechercher
sa nourriture, et c’est alors qu’il se fait prendre.
Pour bien réussir, il faut être très matinal. Le pêcheur
nonchalant, qui n’arrive qu’après 8 heures, ne fera qu’assez rarement
bonne pêche. Les meilleures heures se situent entre le lever du soleil et 9 heures
environ ; le soir, la pêche reprendra avec succès un peu avant 18 heures.
La tanche ne commence à bien mordre qu’au moment de la
floraison des seigles, aux alentours du 10 mai.
Pendant les grosses chaleurs, son appétit diminue et devient
presque nul du 15 juillet au 20 août. Il reprend souvent dès les
premiers jours de septembre et dure jusqu’aux premières gelées, époque où la
tanche commence à s’envaser.
Pour réussir de bonnes pêches, il faut attirer les tanches
sur une place choisie d’avance pour la commodité du maniement des lignes. Je
dis des lignes, car on la pêche, d’habitude, avec plusieurs de ces
engins à la fois, ce qui est licite en étang particulier, où les lois et
règlements sur la pêche ne sont pas applicables. Bien entendu, il faut être
propriétaire ou jouir de la permission expresse de celui-ci, car, s’il n’en
était pas ainsi, ce n’est pas un simple délit de pêche que l’on commettrait,
mais bel et bien celui de vol.
Le meilleur endroit à choisir est une petite anse arrondie
où le fond ne soit pas trop creux, la pente du sol trop rapide, la couche de
vase trop épaisse, et où l’on soit encadré des deux côtés par des bancs de
végétation aquatique.
Cette place sera amorcée, de préférence la veille de la
pêche, à l’aide de vers de terre coupés en tronçons, mêlés de petits vers
entiers, qui seront jetés à la volée assez près de la rive. Les vers ne seront
jamais, comme en rivière, enrobés de terre grasse.
Les lignes peuvent être assez rudimentaires.
De simples gaules d’une seule pièce, en bambou léger ou en
roseau de Fréjus, voire des brins de coudrier un peu longs, feront fort bien
l’affaire.
Elles seront disposées en éventail devant le pêcheur et tout
autour de lui. Il occupera le centre du secteur et pourra, si cela lui plaît,
conserver une des cannes à la main. Les autres seront immobilisées sur de
petites fourches de bois piquées dans le sol de la rive.
Pour la raison exposée plus haut, le nombre n’en est pas
limité, mais, surtout si le poisson abonde, il sied de ne pas les multiplier par
trop ; à mon avis, six gaules constituent un maximum à ne pas dépasser.
Le corps de ligne pourra être en lin tressé assez fin ;
le bas de ligne, assez court, en cat-gut moyen ou en florence fina. Le
flotteur, de forme ordinaire, de la grosseur d’une forte noisette ; la
plombée sera suffisante pour bien l’équilibrer.
Je ne suis pas partisan de pêcher la tanche avec de petits
hameçons et des vers minuscules ; en opérant ainsi, on prendrait surtout
de très petites tanches, ce qui est à éviter. À mon humble avis, il est
préférable d’employer des hameçons no 7 ou 6, mi-fins d’acier,
et de les garnir d’assez gros vers à tête noire de 6 à 8 centimètres de
long.
De cette façon, nous serons surtout touchés par des poissons
de taille moyenne, ceux de 150 à 300 grammes, qui sont les meilleurs. La
tanche d’étang a une façon toute spéciale de mordre. Elle ne se presse jamais.
Elle saisit le ver par son extrémité libre et se promène longtemps avec lui
avant de l’avaler. Le flotteur décrit donc, en surface, une série d’arabesques
fantaisistes et met assez longtemps avant de s’enfoncer. Souvent, même, la
course s’interrompt pendant quelque temps, pour reprendre ensuite ; c’est
pendant ce temps de repos que la tanche l’avale plus en avant, puis tout à coup
se décide enfin à foncer, entraînant, cette fois, le flotteur sous l’eau.
C’est alors seulement que le pêcheur, qui a suivi tout ce
manège et mis la main sur la canne correspondante, ferre doucement et enlève
tout de suite sa prise d’autorité, de peur que, dans sa fuite, la captive
n’aille emmêler le lien qui la retient aux fils immobiles des autres lignes.
Il retire aussitôt l’hameçon avec toutes précautions voulues
et place sa prise dans un petit filet à coulisse immergé à peu de distance de
son lieu de station. Les prises seront ainsi conservées vivantes et on aura
tout loisir, à la maison, de les mettre dégorger en eau pure.
Quand le temps est doux, sombre, pluvieux même, les touches
se succèdent sans interruption et c’est un vrai travail que d’aller d’une ligne
à l’autre, ferrer, retirer les prises, les décrocher, réamorcer et relancer en
bonne place. Cela occupe son homme, je vous prie de le croire. Il est bon
d’avoir toujours l’épuisette à portée de la main, en cas de surprise de la part
d’un beau poisson.
Bien que la tanche d’étang soit peu sauvage, elle perçoit
parfaitement les piétinements trop lourds ; aussi est-il bon d’être
chaussé d’espadrilles et de prendre des précautions pour assourdir sa marche,
la rendre la plus légère possible. C’est en agissant comme je viens de
l’exposer brièvement, qu’il est arrivé à votre serviteur de prendre jusqu’à
quarante tanches de taille moyenne dans sa matinée.
R. PORTIER.
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