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Pêche à la mouche

Un éphémère : l’ « ecdyonurus venosus »

Ecdyonurus est le nom d’un genre d’éphémères de la famille des Ecdyonuridés qui comprend plusieurs espèces. Encore un nom bien savant ! ... Rassurez-vous, « nous ne sommes que des pêcheurs, de modestes petits pêcheurs », et il faut bien appeler les choses par leur nom.

Cet éphémère est le plus beau après la mouche de mai. Il est presque aussi gros qu’elle. Sa couleur, moins riche, moins variée, est cependant très belle dans sa sobriété brune. On le voit sur nos rivières dès les premiers jours de mars, même s’ils sont froids et gris, jusqu’en novembre. Cependant, les plus belles éclosions se produisent, comme la plupart des éphémères à deux générations, en mars et en octobre. Elles peuvent être considérables, et il est émouvant, certaines après-midi, de voir la rivière par une belle éclosion d’Ecdyonurus : en l’air, sur l’eau, il n’est pas une place sans lui. C’est un véritable nuage qui passe et qui dure ; les poissons gobent à l’envi. Il en était du moins ainsi il y a quelques années ; mais, depuis cette anémiante période de sécheresse prolongée, ces éclosions, ont, hélas ! bien diminué. On en constate encore, sans doute, quelques belles, mais elles sont rares, moins denses et de plus courte durée. C’est généralement vers midi qu’elles ont lieu. Petites ou grandes, elles activent toujours les poissons de surface : truites, vandoises, chevesnes, qui restent en alerte. Il suffit du passage successif de quelques insectes pour provoquer les gobages. Quand les éclosions ne sont pas massives, elles se produisent quelquefois par petits groupes. Les poissons sont à leur poste, sûrs que l’insecte leur viendra littéralement dans la gueule. Souvent on ne voit pas le poisson gober : pas de bruit, pas de saut ; mais, avec un peu d’attention, on voit tout à coup disparaître, englouti, l’éphémère qui, tranquillement, voguait toutes voiles dehors. Tous ceux qui arrivent à la file indienne sont, au même point, victimes de la voracité du poisson embusqué dont on ne voit rien.

Venant d’éclore ou tombé à l’eau, l’Ecdyonurus se laisse aller au gré du courant, comme un canoéiste lilliputien, il semble admirer le paysage. Pas un effort, pas un battement d’ailes : il va, il va. Si le vent souffle, il le subit, son chemin seul en est modifié ; parfois il peut être arrêté, il fait du sur place, descendant si le vent faiblit, remontant le courant s’il est plus fort. Ainsi, tantôt descendant librement, tantôt immobilisé, tantôt rebroussant chemin, l’Ecdyonurus vogue sur les flots, insouciant, ignorant du danger qui le guette ...

La larve de l’Ecdyonurus, qui met un an environ pour atteindre l’heure de la brève vie aérienne, est une larve rampante, plate, passant sa vie dans les courants peu profonds, agités, à fond de gravier. L’insecte adulte pond par émissions successives en fin de journée. Commun sur nos rivières fraîches et pures, il a été fréquemment imité. Nous ne citerons, parmi les nombreuses imitations, que l’August Dun, la March Brown et les Grey Palmers.

Description de l’insecte.

— L’Ecdyonurus venosus a quatre ailes (deux rudimentaires), de 11 à 12 millimètres, de couleur gris brun roussâtre (vert-olive du Pasteliris Paillard), à nervation très riche. Les ailes rudimentaires sont, comparativement à celles des autres espèces, très grandes et très fortes. Elles sont environ le tiers des grandes ailes, ce qui explique sa résistance au vent quand il flotte. Le corps est gris verdâtre (même ton que les ailes, avec quelques touches de jaune de chrome au thorax). Le dessus de l’abdomen est cerclé de demi-anneaux en forme de V, invisibles de dessous ; les yeux, les cerques (deux très divergents), les pattes de devant sont noirs, les autres pattes gris vert. Le fémur est très gros comparativement au tibia.

Comme de règle, le mâle est plus petit (de deux fois et demi) que la femelle, mais beaucoup plus abondant. Les dimensions de la femelle sont : corps, 13 mm. ; ailes, 15 mm. ; cerques, 16 mm. ; pattes, 9 mm.

À l’état d’imago, les ailes sont plus légères, hyalines, dorées en partie ; les cerques, très longs (26 mm.), sont recourbés en forme de demi-cercles, et coudées à l’origine ; la tête plus grosse, ainsi que les yeux (1 mm.) ; le corps est brun — laque de fer foncée, — avec anneaux blancs très légèrement teintés de laque ; l’ensemble d’un aspect très brillant sur l’eau. On en tire une mouche brune (corps soie marron, hackle brun), très prise certains jours.

Mouche.

— Deux mouches identiques, mais de grandeurs différentes. La femelle sur hameçon 13 ou 14, le mâle sur hameçon 16. Je préfère cette dernière comme étant plus meurtrière.

Matériau. — Corps : fil de soie, de coton ou de fil, peu importe, couleur kaki clair ; brin de coton ou de soie jaune-citron pour les anneaux.

Ailes : hackle de coq gris tigré doré (on le trouve facilement, sinon on peut teinter légèrement au pinceau la mouche terminée avec du brou de noix indélébile) ; longueur des barbules égale à celle des ailes, c’est-à-dire 5 à 6 millimètres pour le mâle, 15 pour la femelle.

Cerques : barbules de coq noir ou gris foncé, ou mieux poils de moustache de lapin (!), 6 à 7 millimètres.

Habillage. — Monter une araignée imitant l’insecte.

Prendre le brin de coton jaune-citron sous le corps avec les cerques et le hackle. Former : 1° l’abdomen ; 2° les anneaux ; 3° la collerette (7 à 8 tours de hackle). Diviser la collerette en deux parties inégales : pattes et ailes. Maintenir relevée la partie ailes, abaissée la partie patte avec les doigts (main gauche), fixer le tout en forçant le corps au thorax, partie très développée chez l’éphémère (fait généralement inobservé dans les mouches du commerce), enfin nœud final.

Terminer en élaguant aux ciseaux les barbules prenant naissance sur les côtés, celles trop divergentes, trop nombreuses ou trop longues qui, aux pattes, gêneraient la navigation. Ce montage, très facile, se fait sans nœud, sans outil. Cirer le fil entre les doigts avec un peu de cire d’abeille pour éviter le vrillage, donner plus de solidité tout en rendant la mouche moins perméable à l’eau.

Pêche. — Par éclosion : surtout avec le soleil, mouche sèche Up Stream. La mouche noyée pourrait ne rien donner et la mouche sèche est plus agréable. Graisser les mouches, deux : la petite en sauteuse, la grosse en pointe — je préfère deux petites (1) — et la ligne.

Sans éclosion : mouche noyée avec les mêmes mouches. Travailler la mouche, relâchers, arrêts, relâchers. Que ce soit pour imiter la larve venant éclore ou l’insecte sur l’eau, la tactique est la même. Quand on ramène à la mouche noyée, notre mouche rappelle peut-être davantage la larve que l’insecte.

En novembre, sur les graviers calmes, la mouche sera mieux prise, certains jours, en naviguant sans à-coups et souvent arrêtée. Laisser plonger et attendre.

Buldo. — Deux mouches après le Buldo ; pour simplifier, j’emploie le même bas de ligne qu’à la mouche classique. S’emploiera surtout dans les mêmes circonstances que la mouche noyée, avec le même travail combiné avec le tambour fixe. Par éclosion, deux mouches graissées au-dessus du Buldo, tourner aussi à l’envers pour donner du fil, relâcher, laisser naviguer et recommencer. Permet de faire passer la mouche, sans dériver, sur un parcours particulièrement peuplé, inaccessible à la mouche classique.

Les meilleures époques sont surtout : début du printemps (10 mars), automne (octobre-novembre), mais aussi, plus ou moins, en toute saison, sauf l’hiver.

P. CARRÈRE.

(1) À la même époque se produisent aussi des éclosions d’éphémères plus petits se distinguant surtout par les ailes, mais qui ne sont pas tellement différents et qui justifient la préférence marquée pour la petite mouche.

Le Chasseur Français N°613 Avril 1947 Page 433