Le 800 mètres constitue une très belle course,
accessible aux seuls athlètes de classe, parce que très dure, puisqu’elle est
le type de l’épreuve de « vitesse prolongée ». Elle nécessite donc à
la fois la vitesse, qui est une qualité innée, et la résistance, qui s’acquiert
par le courage et par l’entraînement.
Pendant de longues années, les Français ne furent guère
brillants dans cette spécialité. Mais depuis l’exemple donné de 1925 à 1938 par
Sera Martin et Ladoumègue, nous avons eu toute une série de coureurs atteignant
la classe internationale, et actuellement Hansenne peut prétendre à figurer en
finale des prochains Jeux Olympiques. En vingt ans le record de France s’est
amélioré de plus de dix secondes.
Non pas seulement parce que nous possédons de meilleures
pistes et de meilleures méthodes d’entraînement général. Mais surtout parce que
la technique de la course a changé.
Jadis le 800 mètres était une course de demi-fond plus
proche du 1.500 que du 400. L’athlète n’y donnait pas à fond toute sa mesure. On
ne l’invitait d’ailleurs pas à donner le maximum de ses possibilités réelles,
puisque la tactique consistait à considérer le 800 comme deux 400 successifs,
et que nous nous inspirions de cette notion pour régler notre allure. Le plus
souvent, la première tranche était parcourue « au train », et ce
subterfuge nous permettait parfois de finir en beauté.
Sous l’influence des Américains, qui depuis 1930 environ ont
travaillé le demi-fond jusqu’alors surtout illustré par les Anglais et les
Nordiques, le 800 mètres est devenu un tout. On ne le court plus par
tranches, mais, comme pour un 400 mètres, et selon l’expression de Bellin
du Coteau : on part à toute allure et on finit sur le ventre, en poussant
du départ à l’arrivée. C’est la véritable « course à la mort », si
bien que, plus encore peut-être que le 400 mètres, en tout cas au même
titre que lui, cette distance est devenue la plus dure des épreuves du
programme Olympique. Elle constitue désormais le « clou » de ce
programme, parce qu’elle représente dans toute sa splendeur le drame de
l’effort intense et suffisamment prolongé pour que le spectateur averti ait le
temps de s’émouvoir et de suivre la beauté de cet effort pendant toute la
course.
Parce que ce spectateur sait d’une part qu’un tel effort
n’est accessible qu’à des hommes de classe, parce que, d’autre part, il réalise
la souffrance endurée et la valeur exceptionnelle de la performance.
Le record actuel du 800 mètres est de 1 minute 46 secondes.
Contrairement à ce que nous avons montré pour d’autres
genres de spécialités, il n’y a pas de type particulier d’athlète pour le
demi-fond. C’est à l’épreuve seulement qu’on découvre le champion, et sa
morphologie n’indique guère à l’avance ses aptitudes. C’est ainsi que, pour ne
parler que des champions français, nous trouvons parmi les as du demi-fond des
types d’athlètes très différents. Entre les Fernand Meïers, Boulenard, Burtin,
Keyser, types de « trotteurs » à foulées relativement courtes, et les
« hirondelles » effleurant le sol à foulées admirablement longues et
légères tels que Michel Soulhat et Ladoumègue, nous trouvons toute une
série de types intermédiaires, qui, bien que plus lourds, plus secs et plus
musclés, véritables « hommes de train » de styles très différents,
tels Jean Bouin, trapu et puissant, Ragueneau, aux genoux disloqués (les
fameuses jambes « qui se croisaient les bras »), de Fleurac, arbitre
des élégances même dans la douleur de l’effort, Henri Arnaud, aux cuisses
puissantes, etc., qui n’en furent pas moins de grands champions.
Cependant, il est bien évident que le type idéal du coureur
de demi-fond est celui qui permettra, à rythme égal, la foulée la plus longue
et la plus légère, c’est-à-dire le type de la machine à grand développement, à
carrosserie légère et à grande cylindrée. Ce qui, chez l’homme, se traduit par
le type longiligne (muscles longs et souples), à longues jambes, exempt de
toute surcharge graisseuse, et muni d’une grande capacité respiratoire.
Ladoumègue réalisait ce modèle, sa foulée, la légèreté et l’aisance de son
style sont remarquables. On peut donc conseiller ce genre d’épreuves aux jeunes
sportifs réalisant ces conditions, réservant les courses de fond à ceux qui,
plus trapus et à moins grand développement, sont contraints d’adopter une
foulée plus courte, s’apparentant plutôt au type « trotteur ».
Rappelons, d’une façon plus générale, que la vitesse pure
est une qualité innée, que l’on n’améliore par la suite que dans une faible
mesure. Tandis que les épreuves de « fond », faites de résistance et
de techniques, sont, non pas accessibles au premier venu, certes, mais
grandement perfectibles par le travail et par l’entraînement. C’est ainsi que
le profane est parfois surpris de voir un homme d’apparence peu athlétique
devenir un grand champion sur 5.000 mètres ou davantage, parce qu’il
possède un appareil circulatoire et respiratoire bien au point, alors qu’un
lauréat du concours du « plus bel athlète » sera parfois incapable de
courir un 800 mètres en deux minutes.
En matière de demi-fond, ce ne sont ni la force musculaire
proprement dite, ni un type morphologique nettement défini qui importent. C’est
un ensemble de qualités physiologiques capables de mettre au service d’une
volonté indomptable une machine à la fois rapide et résistante, réalisant le
maximum de développement avec le minimum de charge inutile, munie par surcroît
d’une grande cylindrée, c’est-à-dire d’un excédent de puissance respiratoire et
d’un cœur solide. C’est pourquoi ces épreuves nécessitent une sélection à la
base, et, sous peine d’insuccès ou de déboires, ne doivent pas être abordés par
le premier venu, ni sans la surveillance attentive d’un entraîneur compétent.
Dr Robert JEUDON.
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