Quand il s’agit de choisir un cheval, en vue de son achat,
surtout au prix qu’il faut le payer actuellement, on ne saurait prendre trop de
soins pour éviter de se tromper, et surtout de se laisser tromper par un
marchand plus habile que consciencieux, ce dont on se console moins facilement
encore.
S’il est vrai qu’un bon cheval n’est pas toujours un joli
cheval, ce qui confirme l’enseignement de la vieille sagesse des nations quand
elle dit qu’« il ne faut pas juger les gens sur la mine », il n’est pas
moins certain que, pour qui sait regarder et regarder pour voir, ainsi
que disent les Anglais, il est plutôt rare qu’un bon cheval ne soit pas un beau
cheval.
D’autre part, le vieux cavalier avait raison qui donnait ce
conseil : « Si vous voulez choisir un bon cheval, fermez les yeux et
montez dessus ! » ; mais cet essai, très significatif, nous n’en
doutons pas, n’est pas permis à tout le monde, et il est beaucoup de chevaux,
ne pouvant être utilisés qu’au trait, qui feraient piètre figure et contenance
sous la selle.
Fort heureusement, il n’y a qu’une sorte de bon cheval, et
la bonne conformation du cheval de selle est aussi la bonne conformation du
cheval de trait.
Donc, jusqu’à plus ample informé, il est permis et tout à
fait rationnel de se faire une opinion sur un cheval d’après son aspect
extérieur, ses formes, ses proportions, ce qui constitue en définitive son modèle,
compte tenu du service auquel on le destine.
Chez un cheval bien conformé, quels que soient sa taille,
son volume et son poids, la longueur du corps, mesurée de l’épaule à la pointe
de la fesse, doit dépasser d’un dixième environ la hauteur prise du garrot à
terre. La hauteur de l’avant-main, prise au niveau du garrot, doit dépasser
légèrement celle de l’arrière-main, mesurée du sommet de la croupe au sol.
La poitrine doit être large en arrière des coudes et
descendre très bas au-dessous de ces régions, surtout chez les chevaux de gros
trait ou de culture, qui travaillent presque toujours au pas et à qui on
demande souvent de violents efforts. On qualifie cette conformation en disant
de ces chevaux qu’ils sont « près de terre » (ou trapus), ce qui leur
permet plus facilement de tirer à plein collier.
Les chevaux plus légers, employés aux allures vives ou qui
sont « à deux fins », ainsi qu’on dit couramment, peuvent avoir une
plus grande longueur de membres, être plus « enlevés », mais il ne
faut pas qu’ils le soient trop, sans quoi ils apparaissent dégingandés, ils
sont disgracieux et maladroits, et on leur reproche d’avoir trop d’air sous
le ventre !
Les Arabes, qui ont toujours été de grands amateurs et aussi
de grands connaisseurs de chevaux, ont l’habitude d’apprécier les qualités d’un
sujet au simple examen de son aspect extérieur, de ses « lignes » par
rapport aux diverses régions de son corps : « Si tu veux bien
connaître un cheval, disent-il, mesure-le depuis l’extrémité du tronçon de la
queue jusqu’au milieu du garrot, et du milieu du garrot jusqu’à l’extrémité de
la lèvre supérieure, en passant entre les oreilles. Si, dans les deux cas, la
mesure est égale, l’animal est bon, mais d’une vitesse ordinaire. Si la mesure
est plus longue en arrière qu’en avant, le cheval est sans moyens ; mais
si, au contraire, la mesure est plus considérable en avant qu’en arrière,
l’animal, sois-en certain, a de grandes qualités. Plus l’avantage appartient à
la partie antérieure et plus le cheval a de prix. On peut, avec un tel cheval,
frapper au loin. »
Il est bon de faire remarquer que ces constatations ont été
faites surtout d’après l’examen de chevaux de selle ou tout au moins de chevaux
légers ; car il n’y a pas de chevaux de gros trait parmi les chevaux
arabes, leurs limoniers étant surtout des mulets.
Compte tenu de cette réserve, on peut accepter pour tous les
chevaux, de toutes les races et de tous les services, les exigences qu’ils
réclament encore en disant qu’un cheval de race et de qualité doit avoir :
Quatre choses larges : le front, le poitrail, la
croupe et les membres ;
Quatre choses longues : l’encolure, les rayons
supérieurs, le ventre et les hanches.
« Choisis large et achète », dit encore le
cavalier arabe, dans la même intention, conforme du reste à celle exprimée, il
y a plus de deux mille ans, par Xénophon, dans son traité De l’Équitation,
où il écrivait : « la largeur et le charnu des fesses la longueur et
l’épaisseur des muscles et des cuisses, ce carré devant être assorti à
l’ampleur des côtes et à la largeur de la poitrine ... » On dit qu’un
bon cheval doit être « bien ouvert dans les deux bouts », ce qui
entend une grande largeur de poitrail et du bassin, cette dernière étant
qualifiée encore de « beau carré de derrière ». La taille d’un cheval
a une grande importance pour le service auquel on le destine et pour
l’impression qu’elle produit sur un examinateur à première vue ; elle
varie suivant la race, l’individu, la nourriture, le sol, le climat, dans des
proportions infiniment variées, au point d’osciller entre 0m,80 chez
les poneys du Shetland et 2 mètres et plus comme cela se rencontre chez
certains chevaux belges ou de Clydesdale (race de trait anglaise).
Mesurée du garrot au sol, la taille doit être appréciée avec
beaucoup de soins, car, avec l’âge et la couleur des poils (de la robe), elle
fait partie des signalements les plus sommaires et peut fournir un indice
capital pour différencier deux sujets ayant par ailleurs de très nombreux
points de ressemblance.
Quand on a affaire à des poulains ou à de jeunes chevaux
n’ayant pas encore atteint leur complet développement corporel, qui n’arrive en
général qu’à cinq ou six ans environ, car la taille est dans le coffre à
avoine, il est possible de se rendre compte de celle à laquelle ils
pourront atteindre. Pour cela on mesure la longueur de la pointe du coude au
milieu de la face externe du boulet, sur l’horizontale passant par le fanon,
puis on reporte cette longueur de la pointe du coude sur la ligne du garrot. La
différence indiquera de combien le cheval pourra encore grandir, car, chez les
chevaux faits, ces deux mensurations sont toujours égales.
Ceci dit, nous devons à la vérité de reconnaître qu’il ne
suffit pas d’avoir un mètre dans sa poche pour bien choisir un cheval ;
l’hippométrie, malgré son intérêt certain, ne saurait mieux faire que le
« coup d’œil » de l’amateur expérimenté. Mais, dans tous les cas, à
l’intention de tous les acheteurs, ceux qui savent ce qu’ils veulent et ceux
qui croient le savoir, nous jugeons à propos de rappeler le conseil désabusé
que donnait, dit-on, François Sforza, dernier duc de Milan, en disant :
« Il y a trois cas où la sagesse humaine ne sert à rien : s’il s’agit
de prendre femme, d’acquérir un cheval, de choisir un melon ... Il faut se
recommander à Dieu ! ... »
Se non è vero, è bene trovato ...
J. H. B.
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