ÉMISSION DE 1869.
— Nous abordons maintenant la dernière série des
« classiques » américains proprement dits. Cette émission est l’une
des plus populaires de toute la philatélie américaine, probablement même la
plus populaire. C’est dire que, compte tenu de la rareté, les timbres ne sont
pas bon marché. Ce qui n’enlève d’ailleurs rien, ni à leur beauté, ni à
l’intérêt qu’ils présentent. Toutefois, le collectionneur qui accumule avec
l’arrière-idée de placement ne devra pas perdre de vue cette cherté relative,
qui diminue d’autant l’élasticité des hausses futures. Et il ne devra pas
oublier non plus que, dans cette émission aussi, des différences de qualité
minimes amènent facilement des différences de prix qui ne le sont pas. Moins de
truquages que pour les précédentes émissions, sauf sur lettres, où ils sont
nombreux, en particulier sur les « gemmes » transpacific ;
quelques timbres lavés, davantage de recentrés par nouvelle perforation
verticale, c’est à peu près tout ce qu’on rencontre de douteux en pièces
simples. Quelques truquages excessivement dangereux en blocs neufs et usés.
Le 1 cent est difficile à trouver vraiment bien
centré ; il l’est beaucoup moins en recentré, presque toujours par la
reperforation du côté droit vertical. Rarement bien oblitéré et surtout trop
lourdement pour sa teinte délicate. Le 2 cents existe en nombreuses
nuances, les plus foncées étant les plus recherchées. Exemplaires lavés assez
fréquents. Ce timbre est connu coupé en deux pour 1 cent : pièces
très rares, qu’on ne doit acheter qu’en connaissance de cause. Le 3 cents
est très populaire en Amérique, son faible prix permettant des spécialisations
très poussées et peu onéreuses. Existe en tiers et deux tiers sur lettres,
comme port de 1 et 2 cents : comme précédemment, ces raretés doivent
être expertisées avant l’achat.
Le 6 cents qui fait suite est un timbre sans histoire,
rarement bien centré, mais par contre souvent très frais. Est bien plus rare
sur lettres que le catalogue américain ne l’indique, car son unique usage, le
double port intérieur, a été plutôt limité. Le 10 cents est un timbre
difficile : toujours mal centré, et presque toujours trop lourdement
oblitéré pour sa teinte délicate. N’existe originellement qu’en deux teintes,
jaune et orangé ; les soi-disant variétés de nuances en plus foncé ne sont
que des oxydations. En passant, signalons l’extrême rareté des blocs, dont la
cotation, pourtant copieuse, de 80 fois l’unité est encore au-dessous de
la vérité.
Le 12 cents est le mieux venu de la série. De nombreuses
teintes non indiquées au catalogue, mais aucune vraiment rare. Le 15 cents
est assez facile à trouver en premier choix, et cela dans ses deux types. La
variété classique est le centre inversé, qui se retrouve dans les valeurs
suivantes. Le prix particulièrement élevé de ces erreurs en interdisant l’achat
aux collectionneurs même moyens, nous n’en parlerons que pour mémoire en
signalant en passant que les truquages n’y sont point inconnus. Ces timbres en
deux tons — et en deux impressions — présentent quelquefois une
variété du même ordre, provenant aussi de l’impression : le centre très
fortement déplacé, les plus beaux exemples se rencontrent dans le 15 cents
type I et le 90 cents, jusqu’ici les catalogues spécialisés
n’attachent aucune importance à ces variétés, mais d’assez nombreux
spécialistes les recherchent.
Le 24 cents est le chef-d’œuvre de la série, le motif
central étant d’une finesse d’exécution absolument remarquable. Facile à
trouver en premier choix, bien centré et légèrement oblitéré. Les blocs et les
timbres sur lettres sont de toute rareté : expertise obligatoire. Le 30 cents
est quasi introuvable tiré de façon parfaite ; les différentes couleurs
chevauchent toujours les lignes de séparation. Les points de repère permettant
de juger l’impression d’un timbre sont le bec de l’aigle et la pointe de
l’écusson ; il est bien rare que le bec ne se perde pas dans le rouge, et
que la pointe de l’écu ne soit pas déplacée. Les timbres sur lettres ne sont
pas communs, mais les blocs ne sont que de peu de rareté, même de très grande
dimension et oblitérés.
Le 90 cents est un fort joli timbre en premier choix,
malheureusement on le rencontre trop souvent mal centré ou lourdement
oblitéré : l’un des timbres favoris de la philatélie américaine, qui l’estime
bien au-dessus de sa rareté réelle.
Les timbres de la série 1869 furent régulièrement émis ornés
d’une petite grille de 9,5 x 9,5, dont il existe de nombreuses
variétés : doublée, dédoublée, etc. Ces variantes furent moins imitées que
pour celles de l’émission précédente, mais les faux ne sont pas inconnus non
plus. Il y eut aussi un tirage régulier sans aucune grille, le 15 cents
étant du type I. Autrefois les catalogues indiquaient un prix pour les
neufs et les oblitérés. Aujourd’hui, plus prudemment, seuls les neufs avec
gomme d’origine brunâtre sont indiqués : ce qui confirme ce que nous
disions dans notre dernier article de la quasi-impossibilité d’avoir une
opinion sur des grilles de timbres oblitérés.
Comme toutes les émissions précédentes, cette série fut réimprimée
en 1875, sur papier plus blanc, gomme blanchâtre et nuances très légèrement
différentes des originaux, toutes les valeurs sans grilles. Ces réimpressions
furent valables pour l’affranchissement, ce qui fait que bien souvent les
exemplaires oblitérés sont considérés par erreur comme des originaux de 1869.
Blocs rares.
Les essais originaux sur coins de graveurs sont très rares,
particulièrement les dessins incomplets. Les essais sur planches ne sont pas
communs en noir sur chine, et relativement communs en différentes couleurs sur
cartons plus ou moins épais. Il existe une série complète d’essais non adoptés,
dont les dessins diffèrent plus ou moins fortement de l’émission définitive, et
que l’on rencontre en essais de différentes couleurs sur différents papiers et
même en timbres définitifs dentelés et gommés. Ces essais sont intéressants au
point de vue philatélique, mais plus encore au point de vue politique. En
effet, il était prévu un 30 cents de modèle identique au 24 cents adopté,
mais dont le motif central représentait la reddition de la dernière armée
anglaise à Burgoyne, ce qui mit fin à la guerre de l’Indépendance américaine.
Devant l’illustration d’un souvenir aussi désagréable, les
Anglais se cabrèrent et les Américains retirèrent ce motif trop
brûlant ... pour le resservir inchangé, cinquante-huit ans plus tard, en
1927, dans le timbre commémoratif que l’on peut voir au catalogue, en compagnie
de nombreux autres émis à la même époque et aussi désagréables aux cœurs britanniques.
C’est qu’entre 1868 et 1927 il s’était passé déjà beaucoup de choses quant au
rapport des forces entre les deux puissances anglo-saxonnes !
M.-L. WATERMARK.
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