Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°613 Avril 1947  > Page 464 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Variété historique

Histoire de Guignol

E 3 mars 1769, naissait à Lyon un enfant qui allait, par la suite, devenir célèbre dans sa ville natale et créer un type populaire connu dans le monde entier ; il se nommait Laurent Mourguet et devait être, quelques années plus tard, le père de l’illustre Guignol.

Mourguet était originaire des quartiers populeux de la capitale de la soierie ; tout jeune, il flâna dans ce quartier du Gourguillon, qui évoque bien le folklore de Lyon. Enfant, à l’aide d’une pratique, il s’amusa à imiter Polichinelle ; puis il s’établit, en 1798, dentiste libre. Mais il abandonna bientôt cette profession pour fonder une sorte de petit théâtre, son castelet, comme il appelait cette scène où il faisait jouer des marionnettes à poignet. Ce théâtre était fort simple : quatre perches entourées de toiles peintes, reliées et soutenues par une traverse ; dans l’un des panneaux s’ouvrait une étroite scène qui portait à son fronton une lyre peinte, elle aussi, sur laquelle brochaient deux flageolets en sautoir.

Le personnage principal est toujours le bon Polichinelle du vieux répertoire ; le compère de Mourguet, et partant de Polichinelle, est un certain Ladré, ancien chanteur du Pont-Neuf de Paris. Parfois ce Ladré manque, alors Mourguet le remplace par un personnage de sa composition, un personnage truculent, très ami du bon pot de beaujolais, c’est Gnafron, déjà savetier, et que nous voyons apparaître pour la première fois. Gnafron a donc précédé Guignol qui, à son tour, viendra, un jour, remplacer Polichinelle. Les scènes où paraît Gnafron et ses grolles sont déjà nettement lyonnaises, nettement du cru ; elles sont folkloriques au premier chef.

Vers 1820, Polichinelle est en pleine décadence à Lyon, il est éclipsé par Guignol. Il semble bien que celui-ci ait paru pour la première fois sur la scène le 22 octobre 1808, dans un café de la rue Noire ; ce n’est là peut-être qu’une date officielle ; il paraît que le type de Guignol était fixé dès la fin du XVIIIe siècle. Que veut dire Guignol ? Les érudits lyonnais, les membres des savantes académies du Gourguillon et les autres rédacteurs des Littré de la Grand’Côte se perdent en conjectures ; à ce sujet, on admet que ce mot vient de l’adjectif « guignolant », employé par un vieux canut, et qui signifiait drôle, amusant, impayable. On a cité un Lyonnais du XIIIe siècle, nommé Guignol. Un érudit récent a démontré que le Lyonnais en question était surnommé Guignot et non Guignol et que l’adjectif guignolant est une modification de guignonnant, qui n’a pas le même sens ! Mais laissons ces hypothèses.

En même temps qu’il crée son personnage célèbre, Mourguet lui adjoint Gnafron, déjà nommé, puis Madelon, Canezou, le Bailli et autres types croqués sur le vif dans les quartiers populaires, et qui parlent la langue des canuts et des gnafs ; il compose des pièces dont il tire le canevas de pièces célèbres, ou dont il emprunte le fond dans l’observation directe des mœurs et des ridicules. Toutes ces pièces sont gaies, vivantes, grouillantes de notes pittoresques. Après la mort de Mourguet, sa famille continua le petit théâtre de Guignol (Mourguet mourut à Vienne, Isère, où il avait fondé une succursale, en 1844).

Les types du Guignol lyonnais sont bien fixés. Voici Guignol ; il arbore un chapeau à la Cadet Roussel, qui évoque un peu celui de Napoléon premier, il a une natte, parodie du catogan, qu’il nomme son « sarsifi ». Il a le nez très court, la figure un peu empâtée, les sourcils arqués et relevés, sa face exprime la jovialité et l’insouciance. Madelon, elle, porte le pet en l’air, une sorte de camisole et un bonnet aux larges canons ; elle a le caractère aigre et rechigne tout le temps. Gnafron, lui, est le mauvais génie de Guignol ; il est toujours ivre et connaît tous les endroits où l’on boit un bon pot de beaujolais. De son métier, il est gnafre et arrange les grolles ; c’est un parfait Lyonnais. Il porte un immense chapeau tromblon en poil de lapin, brossé à l’envers, et un tablier de cuir.

M. le Bailli, lui, porte des lunettes, Canezou est le propriétaire terrible qui vient réclamer les nombreux termes en retard ; il a un bonnet grec et une robe de chambre, c’est un vieux bourgeois ridicule. Dodon représente la jeune fille, c’est la canuse.

Guignol, dans le courant du XIXe siècle, vint s’établir à Paris, ou plus exactement eut des succursales parisiennes, surtout aux Champs-Élysées, où dès l’époque révolutionnaire on donnait des représentations de marionnettes ; dans la capitale, Guignol est devenu surtout un théâtre d’enfant.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°613 Avril 1947 Page 464