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La peur du coup de fusil

Voilà un des principaux écueils qui empêchent de faire d’un agréable compagnon un chien de chasse utilisable.

On a prétendu que la détonation occasionnait chez certains chiens une douleur du tube auditif. Je n’ai jamais pu vérifier cette assertion, mais c’est possible.

J’ai vu des chiens quêtant et chassant avec entrain si le conducteur n’avait en main qu’une canne ou une cravache et refusant de quitter les talons si celui-ci était porteur d’un fusil.

D’autres, au premier coup de feu de leur maître, ne manifestaient pas une peur excessive et s’enfuyaient à la détonation des fusils de chasseurs voisins. En ce cas, il faut bien le dire, il y a faute de la part de celui qui, sortant son chien pour la première fois, va se mêler aux groupes de chasseurs.

Voyons les précautions à prendre pour éviter, dans toute la mesure du possible, ce grave défaut.

Si l’on élève une portée, aussitôt que les chiots commencent à courir, on devra, en leur donnant un supplément de nourriture : viande hachée, lait ou pâtée, attendre qu’ils soient en train de manger et tirer à quelques mètres d’eux un coup de pistolet à amorce. Si la mère mange avec eux, sa présence suffira à rassurer les timides s’il s’en trouve. On continuera chaque jour en augmentant la force de la détonation pour arriver au coup de fusil avec cartouche à blanc.

Il est rare que dans une portée élevée ainsi il se trouve un sujet ayant peur de la détonation et, s’en trouvât-il un, on sera prévenu et l’on pourra le supprimer où l’affecter à un autre usage que la chasse. On agira de même si l’on n’élève qu’un chiot.

Si l’on a le choix dans une portée, on pourra se rendre compte si l’un des chiots a des dispositions pour ne pas être inquiété par le bruit en laissant tomber une planche, une casserole ou tout objet produisant assez de tintamarre en tombant. On donnera la préférence au chiot qui aura continué à courir sans paraître être ému.

Voyons maintenant le cas d’un sujet adulte atteint de cette infirmité.

On commencera, comme avec les chiots, par tirer un coup de pistolet à amorce au moment où il se met à manger ; s’il rentre dans sa niche, après avoir attendu quelques minutes, on enlèvera la pâtée. On recommencera le lendemain et les jours suivants, jusqu’à ce que, la famine le poussant, il continue à manger malgré la détonation.

Cela peut demander quelques jours, mais un chien ne tombe pas malade pour être cinq à six jours sans manger. La progression sera la même que pour les jeunes, du pistolet à amorce à la cartouche à blanc. Dans les villes de garnison, où il y a presque toujours un champ de tir, on pourra, les jours de tir, amener le chien à quelque distance du stand et là, le tenant en laisse, lui donner quelque friandise et le caresser. Quand on verra qu’il se désintéresse des détonations, on se rapprochera du tir dans toute la mesure du possible.

Quand un chien, malgré cette peur, est très chasseur, on pourra le laisser courir après le gibier poil ou plume, et, si l’on peut abattre la pièce poursuivie, il pourra arriver qu’il se précipite dessus au lieu de s’enfuir.

Ce moyen m’a souvent réussi avec des chiens courants, chez qui l’on rencontre quelquefois des sujets ayant peur du coup de fusil, mais moins souvent que dans les chiens d’arrêt. Cela m’a également réussi avec une jeune pointer issue de producteurs très nerveux.

La chasse avec un camarade habituel peut aussi atténuer et même faire cesser cette crainte.

La peur du coup de feu est, sinon toujours, du moins souvent, héréditaire. Certains étalons, et non des moins utilisés, en ont produit en quantité.

Avant guerre, au cours des épreuves sur le terrain, il était tiré un coup de fusil ou de revolver à l’envol des perdreaux ; le concurrent qui aurait manifesté de la crainte aurait été éliminé ; le cas ne s’est pas souvent présenté.

Ces épreuves devant surtout indiquer les reproducteurs d’élite, il serait souhaitable que l’obligation du coup de feu soit reprise ; en effet, pendant la guerre, on a employé des reproducteurs n’ayant jamais chassé et, par conséquent, chez lesquels on n’a pu constater l’indifférence ou la peur au coup de feu.

Or on risque d’avoir d’étalons peureux des produits inutilisables en chasse et dont il faudra se débarrasser.

A. ROHARD.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 479