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Grande culture

Nouveaux efforts au printemps

Les prévisions les plus optimistes sur la récolte de blé en 1947 sont bien obligées de tenir compte du déficit certain qui apparaîtra à la moisson ; en avril, on va poursuivre des réensemencements en utilisant les variétés de printemps proprement dites, mais il est vraisemblable que l’on n’aura pas toutes les semences qui auraient été nécessaires en Fylgia ou en Florence-Aurore, et que le Manitoba, ou sortes analogues en provenance de l’Amérique du Nord, ne fournira qu’un appoint, les possibilités de tous ces blés restant inférieures à celles des blés alternatifs dont on aurait pu faire un plus large usage si l’hiver n’avait pas duré aussi longtemps.

En outre, ce qui est possible en terres de plateaux, en terres saines, ne l’est pas dès que l’on prend pied dans les milieux argileux, et cette impossibilité de pénétrer en temps opportun dans les champs augmentera d’autant le déficit en surfaces emblavées. Il faut en prendre son parti et adopter toutes dispositions utiles pour parer à ce coup extrêmement dur.

Quelles sont les cultures de remplacement possibles ? Tout d’abord, les céréales, avoine et orge. L’avoine reste une production précieuse ; malgré la motorisation en développement, le plein n’est pas encore atteint avec les tracteurs, et il reste de beaux jours pour les chevaux de trait. Évidemment, il faut s’attendre à de larges ensemencements en avoines, à une dévalorisation relativement au blé, et ne pas songer ainsi à réaliser les recettes des dernières années ; mais, si l’on n’ensemence pas trop tard, sur des terres qui avaient été préparées pour le blé, les rendements devront être satisfaisants. En outre, quel inconvénient grave y aurait-il à reporter un peu sur la campagne suivante, quitte à reprendre sur les surfaces consacrées à l’avoine, au printemps 1948 ?

L’orge est en meilleure posture, ses débouchés sont plus importants que ceux de l’avoine ; sans compter l’utilisation par la brasserie, les consommateurs ne manquent pas : bovins, ovins, porcs. D’autre part, dès cet été, nous verrons l’orge suppléer à l’insuffisance certaine du blé ; il faudra sans doute continuer pour la campagne prochaine ; dans ces conditions, la place réservée à l’orge sera utilement employée.

Puis viennent les légumes secs, pois et haricots ; la difficulté sera de trouver des semences convenables et à des prix abordables. Les débouchés ne devraient pas manquer, et ces légumineuses au détail prendront la place des pâtes, épargnant les disponibilités en blé.

Avec les pommes de terre, nouvelle ressource alimentaire, un effort est également à déployer ; difficulté : le plant. La récolte de 1946, bonne dans l’ensemble, a subi l’action des gelées, et il y a eu des pertes au cours de l’hiver. Il ne faut guère espérer trouver des quantités importantes de plants pour des cultures de quelque étendue ; mais la pomme de terre, comme le haricot, le pois sont des cultures de dissémination ; que les particuliers sèment et plantent tout ce qu’ils peuvent ; ils suppléeront ainsi à l’insuffisance possible de la ration de pain ; la petite culture, répétant le même effort, libérera ainsi du blé pour les populations dépourvues de tout.

Voilà pour les principales cultures à la portée de tous. Dans les régions assez chaudes, il faut penser au maïs. Une autre source d’aliments est constituée par le sucre. Dans la mesure où la main-d’œuvre encore disponible, la motorisation déjà avancée diminuent les soucis d’exécution, les exploitations des régions betteravières feront ainsi œuvre utile pour la communauté ; vers la fin de l’occupation, les habitants de la région du Nord, recevant une ration réduite de pain, ne touchaient-ils pas une ration de sucre supplémentaire, mesure intéressante pour les enfants, les vieillards, les travailleurs ?

Sur le même plan se présente la question des oléagineux, avec une complication cependant. Les gelées ont atteint beaucoup de champs de colzas, les navettes ne sont pas indemnes ; les cultivateurs sont hésitants, mais une culture trop éclaircie causera des déboires, l’entretien fera passer beaucoup de temps ; ne pas trop tergiverser. Par quoi remplacer, avec quoi étendre ? Il existe du colza de printemps, culture qui redoutait les altises, mais que l’on peut défendre avec les insecticides nouveaux ; les meilleures terres en climat favorable conviendraient à cette production ; seulement se méfier, car il faut redouter d’être servi en semences de colza d’hiver, ainsi que cela a eu lieu, il y a deux ou trois ans : pas de montée. La navette de printemps, ou mieux d’été, se sème plus tard ; si l’on tombe sur une bonne période, sans sécheresse, une douzaine de quintaux sont réalisables.

L’œillette, si belle au moment de la floraison, a tenté les producteurs pendant la guerre, surtout en petite culture ; on a appris à semer clair et à ne pas avoir besoin de démarier ; la coupe se fait mécaniquement, le battage n’offre aucune difficulté ; le point délicat est le semis : terre admirablement préparée, enfouissement des petites semences exactement au millimètre près ; cette difficulté et aussi les déboires en belle culture, si la sécheresse sévit, font reléguer l’œillette au second plan.

Il reste les moutardes : la noire, aux propriétés aromatiques et médicinales qui assurent un prix meilleur : la blanche, extrêmement rustique, est de croissance rapide ; la noire a des siliques fragiles, qui s’ouvrent aux approches de la complète maturité ; la blanche est plus résistante, s’accommode de terres moins riches. Telle est la gamme. Chacun peut choisir suivant son terrain, son climat, ses moyens de culture.

Succédanés farineux, matières azotées, substances grasses, telles sont les directives dont il faut s’inspirer ; l’essentiel est de faire quelque chose pour que la misère n’envahisse pas notre pays.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 493