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Le chêne en France

Un peu partout et sous des formes diverses, la même idée a été exprimée : le chêne est le roi des arbres de nos forêts françaises. Depuis plus de quatre siècles, les poètes le chantent, demandent au bûcheron de le respecter, le prennent comme symbole de la force. Le plus forestier d’entre eux, « le bon La Fontaine », a cependant senti que, sous cette apparence de force, se cachait une grande fragilité, de même que les hommes les plus robustes sont souvent moins résistants à la maladie.

L’ouragan n’est pas le seul ennemi du chêne. Sa royauté est menacée de diverses manières : les traitements appliqués risquent de le faire disparaître en favorisant d’autres essences, le hêtre notamment ; les conditions économiques condamnent et feront disparaître peu à peu les peuplements producteurs de bois de feu, où le chêne était à l’aise pour se développer ; les propriétaires particuliers seront conduits à rechercher des essences à croissance rapide assurant un placement plus avantageux.

Nous essaierons aujourd’hui de préciser quelle place sera faite au chêne dans la forêt française de demain.

Le chêne (1) est une essence exigeante : sol riche, frais, mais assez bien drainé, climat à extrêmes peu accentués, forte luminosité. Ces exigences le rendent fragile : au froid et notamment aux gelées de printemps, à la sécheresse prolongée du sol (2), à la concurrence des autres essences dont le couvert empêche l’arrivée directe de la lumière. Il est compréhensible qu’il se soit développé dans les taillis et taillis sous futaie, qui étaient si largement représentés en France au XVIIIe siècle, et qui ont eu leur raison d’être tant que l’industrie du fer demandait du bois de feu en quantités énormes et aussi longtemps que la concurrence du combustible minéral n’a pas fait subir au bois de chauffage une crise qui a atteint son maximum entre 1930 et 1938.

Par contre, les opérations de conversion des taillis sous futaie en futaies ont eu généralement pour conséquence d’augmenter la densité des peuplements, de resserrer les massifs, d’épaissir le couvert, et le chêne a peu à peu été mis en état d’infériorité. Dans un grand nombre de forêts du Nord et de l’Est de la France, il en est voie de disparition.

Il a, par contre, subsisté dans le Centre et l’Ouest, où le climat plus doux et plus lumineux le favorise et où il est moins concurrencé par d’autres essences.

Reconnaissons que les méthodes appliquées par les forestiers ont su s’adapter aux conditions de lieu et de climat et tirer le meilleur parti des éléments naturels dont ils disposaient. Ainsi se sont constitués, dans un grand nombre de forêts, des peuplements de chênes pleins d’avenir. Si ces futaies sont encore en grand nombre composées d’arbres sur souches provenant des taillis sous futaie vieillis, elles préparent aux générations prochaines des ensemencements faciles et des récoltes de tiges de valeur.

On a souvent fait grief aux forestiers d’avoir voulu trop systématiquement transformer en futaie les taillis composés de chênes. Il y a eu, certes, des échecs ; mais le résultat obtenu en un siècle sur plus de 200.000 hectares et la plus-value qui en est résultée représentent un actif qui peut être victorieusement mis en regard des retours en arrière rendus nécessaires. Ces retours au taillis sous futaie ont entraîné bien souvent une disparition grave du chêne, auquel a été substituée une autre essence, le plus souvent résineuse, pin sylvestre par exemple. Ainsi s’est trouvée réalisée par anticipation une transformation qu’il sera indispensable de généraliser dans un délai prochain.

Enfin, les futaies déjà constituées sont restées, sur les terres d’élection du chêne, les beaux massifs créés par les grands maîtres du XVIIe siècle. Leur renommée dépasse nos frontières, et la qualité de leurs bois en fait les rivales des chênaies de Slavonie ou du Spessart, dont les produits étaient universellement appréciés.

Le chêne se maintient dans ces futaies, sinon naturellement, du moins avec l’aide des forestiers qui mettent leur amour-propre à les entretenir et à les enrichir.

Mais il s’agit là d’exceptions, de trésors que, seul, un propriétaire comme l’État peut conserver.

Nous devons envisager le problème sous son angle le plus général. Le chêne peut-il être cultivé par des particuliers avec l’espoir d’un placement assez rémunérateur ? Nous répondons affirmativement, à condition de le traiter non plus en vue de la production de bois de feu, mais pour en tirer des bois d’œuvre et de la plus grande qualité possible.

Nous n’insisterons jamais trop sur ce point : le chêne de qualité médiocre, tout juste propre à fournir des bois de charpente, n’a plus sa raison d’être dans l’économie française ; les résineux sont là pour procurer aux entrepreneurs des bois plus légers et moins coûteux. Un économiste distingué disait déjà, en 1894, que seuls pourraient subsister avec une réelle valeur les bois que ne pourrait concurrencer la métallurgie. Or celle-ci n’a pas remplacé et ne remplacera pas d’ici longtemps les beaux lambris, les frises bien maillées, les panneaux chatoyants, les meubles patinés, et surtout les contreplaqués, d’un emploi facile et avantageux.

Le chêne français a sa place dans l’évolution industrielle de l’après-guerre, dont les deux aspects sont si caractéristiques : économie de matière première et rapidité d’emploi. Les ébénistes qui ont fait la réputation du Grand Siècle avaient à leur disposition de larges approvisionnements et des stocks de bois séchés à l’air depuis de longues années.

Aujourd’hui, tous les utilisateurs manquent de bois, et il n’y a plus de bois secs. Un calcul simple permet d’estimer qu’un mètre cube de chêne d’assez fortes dimensions fournirait 18 mètres carrés de planches de 0m,028, alors qu’il procurerait 1.200 mètres carrés de feuillets tranchés propres au placage.

L’étuvage préalable des billes rend les produits immédiatement utilisables. Tous ces avantages orientent les industriels du bois vers le tranchage et le déroulage. En France, le déroulage du chêne n’en est qu’à ses débuts ; mais les progrès réalisés dans cette technique ouvriront des débouchés nouveaux à des chênes de qualité moyenne rejetés par les trancheurs, et spécialement aux chênes de taillis sous futaie.

C’est pourquoi les propriétaires peuvent et doivent orienter leur sylviculture vers la recherche de chênes à fût long, rectiligne, cylindrique et sans nœuds. Ils les obtiendront sans difficultés dans nombre de taillis sous futaie surchargés en réserves, comme il en existe beaucoup en France ; les opérations tendront à faire disparaître peu à peu les plus vieilles réserves bas branchues et à cime trop développée, pour faire place aux jeunes tiges qui peuvent s’élaguer convenablement si le recrû les enserre suffisamment. Là où le taillis aura à peu près disparu par suite du couvert, il sera nécessaire d’introduire un sous-étage de feuillus ou de résineux pour assurer un bon élagage des grands arbres.

Si les taillis sous futaie possèdent des réserves trop clairsemées, un taillis robuste subsiste, et les propriétaires peuvent craindre que les opérations de vieillissement ne nécessitent trop de temps avec une réduction appréciable de revenus. Ils seraient tentés de procéder à une conversion directe par plantations. Mais cette méthode n’est pas applicable dans tous les cas, en raison de la concurrence des rejets de taillis, et notamment du charme, sur les bonnes terres à chêne. Divers cas seront examinés dans les prochaines causeries.

Un mouvement en faveur du chêne mérite d’être créé. Et plus encore une politique de culture des gros chênes. Tous les efforts doivent se conjuguer pour maintenir cette essence sur tous les sols qui lui conviennent, et tirer de peuplements bien conduits des produits de valeur.

LE FORESTIER.

(1) Dans cet article, trop général, il ne peut être question d’étudier séparément les chênes rouvre et pédonculé, qui doivent cependant être distingués, et dont le traitement est différent. Les aperçus sommaires qui suivent, et qui ont trait surtout à l’avenir économique de cette essence, peuvent s’appliquer à l’un comme à l’autre.

(2) C’est ainsi qu’à la suite de la sécheresse anormale des trois étés 1943, 1944, 1945, de nombreux chênes ont séché en cime, tant dans les taillis sous futaie que dans les futaies, ce phénomène s’observant d’ailleurs aussi bien sur les vieux chênes que chez de jeunes baliveaux. On peut attribuer ce dépérissement à l’abaissement du plan d’eau et à une insuffisance d’alimentation en eau des arbres.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 495