L’abeille, de sa nature, n’est ni méchante, ni agressive,
mais, lorsqu’elle se croit menacée ou en péril, elle défend énergiquement ses
biens et sa vie. En dehors des cas de légitime défense, nos « mouches à
miel » ne sont pas plus terribles que des mouches ordinaires : que
l’on circule dans une prairie où elles sont par centaines occupées à butiner
sur les fleurs ou qu’une ouvrière fatiguée revenant à la ruche se pose sur
vous, rien à craindre, et son léger bourdonnement n’a pas le ton aigu qu’il prend
aux heures de colère et de combat.
Il faut donc éviter tout ce qui pourrait agacer les abeilles
et les mettre en mauvaise humeur : ne pas se tenir devant le trou de vol
de la ruche, ni gesticuler, mais demeurer toujours calme et impassible.
Toutefois, il est incontestable qu’il y a des circonstances
où nos mouches sont moins endurantes, par exemple lorsqu’un temps pluvieux les
retient à la ruche, alors que la campagne leur offre d’abondantes floraisons
dont elles ne peuvent profiter. Elles sont également plus nerveuses aux jours
d’orage, car il y a de l’électricité dans l’air.
D’autre part, les manipulations trop longues, principalement
aux époques où toute miellée fait défaut, peuvent attirer des abeilles voisines
qui cherchent à piller, ce qui jette l’animation chez les pillées et finit par
les exacerber.
Enfin, nos abeilles ont de la répugnance pour certaines
odeurs, comme celle de la sueur, des boissons alcooliques, et pour certaines
couleurs, telles que le noir mêlé de blanc.
On doit, naturellement, tenir compte de leurs instincts,
éviter tout ce qui pourrait provoquer leur mécontentement et se souvenir que
l’odeur du venin provenant des piqûres les surexcite. Il faut, par conséquent,
faire son possible pour n’être pas piqué et pour ne pas écraser d’abeilles au
cours des manœuvres de la ruche.
L’apiculteur a divers moyens de se prémunir contre les
piqûres, et il ne doit jamais manquer d’y recourir. Sauf dans les jours de
grande miellée, où les travailleuses de la ruche, tout absorbées par la
récolte, semblent montrer des dispositions plus accueillantes — encore ne
faut-il pas toujours s’y fier, — il est imprudent d’entreprendre la visite
d’une ruche sans s’être muni d’un voile et d’un enfumoir.
Sans doute, il se rencontre quelques apiculteurs se disant
insensibles aux piqûres et qui procèdent aux manipulations de la ruche le
visage découvert, à la grande stupéfaction des témoins. Ceux-là peuvent être,
jusqu’à un certain point, immunisés. Ils sont surtout plus endurants, et leur
sang-froid, l’habitude qu’ils ont de traiter les abeilles font qu’ils ne
reçoivent guère de coups d’aiguillon. Gardez-vous de vouloir les imiter, et, au
risque de passer pour moins brave, prenez toujours les précautions
réglementaires, lors des visites aux ruches et des travaux à faire au rucher. À
la longue, vous vous familiariserez avec les abeilles, et l’expérience vous
apprendra vite la manière de les traiter sans avoir à redouter leur courroux.
Elles-mêmes se plient, jusqu’à un certain point, aux habitudes des apiculteurs,
et, si elles ne vont pas, comme certains le prétendent, jusqu’à reconnaître
leur maître, il est certain qu’elles sont plus accommodantes lorsqu’on passe et
repasse fréquemment devant elles, tandis que, dans la solitude et loin du
contact des humains, elles se montrent moins civilisées et plus sauvages.
Ajoutons qu’en principe on ne doit pas sans raison déranger
les abeilles dans leurs travaux et que, si c’est une bonne chose de faire
souvent visite au rucher, où l’œil du maître est rarement inutile, on doit s’abstenir
d’ouvrir une ruche sans nécessité. C’est le défaut des jeunes de vouloir
inspecter à tout propos les rayons. Qu’ils se persuadent bien que tout
dérangement cause un trouble plus ou moins nuisible à l’activité de leurs
ouvrières ; qu’ils se contentent de suivre au trou du vol leurs allées et
venues ; l’observation extérieure leur apprendra vite à diagnostiquer ce
qui se passe à l’intérieur, et ce n’est que dans les cas où ils jugeront
urgente leur intervention qu’il y aura lieu de faire l’inspection interne, la
seule, évidemment, qui permette de se rendre compte de l’état d’une colonie.
P. PRIEUR.
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