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Chronique ménagère

Conserves d’œufs

Pour la première fois depuis six ou sept ans, les œufs ont subi cette année leur baisse saisonnière. Pendant la longue période de déséquilibre que nous venons de vivre, nous n’avions jamais vu, au printemps, les œufs moins chers qu’à l’automne précédent ; les prix augmentaient régulièrement, sans souci de la production saisonnière. Il n’était dès lors pas utile de faire les conserves d’œufs à un moment plutôt qu’à un autre. La situation semble différente cette année : les œufs ont vu leur prix baisser de moitié, parfois plus, ces derniers mois ; il est normal que leur prix remonte dès la fin de l’été. N’attendons pas une hausse importante : faisons nos conserves d’œufs dès que possible.

Quels produits de conserve choisir ? Il en est de nombreux. Malheureusement, pendant la guerre, des spécialités sans valeur ont été lancées sur le marché, qui ont nui aux produits ayant fait leurs preuves. Mais il existe dans le commerce des spécialités sérieuses — ; il ne nous appartient pas de les citer. Nous nous borderons à indiquer deux produits chimiques, que l’on trouve à nouveau partout : le silicate de soude et le silicate de potasse, que l’on peut indifféremment employer en remplacement l’un de l’autre.

C’est un liquide que l’on appelle couramment verre liquide ; à un litre de silicate on ajoute huit litres d’eau et on obtient un liquide transparent d’abord, mais qui, au cours de l’hiver, s’épaissit en même temps qu’il devient opaque, blanchâtre. Un litre de silicate suffit habituellement pour mettre une centaine d’œufs en conserve.

Dans quels récipients faire la conserve ? Des pots de grès, de grandes jarres, des auges en pierre, des baquets en ciment, des seaux émaillés conviennent parfaitement ; mais on peut également employer des récipients en bois, à condition qu’ils soient bien étanches : des baquets obtenus en sciant des tonneaux en deux peuvent fort bien être utilisés. Pas de récipients en fer, qui risqueraient de rouiller et de se percer ; non plus que du fer galvanisé genre lessiveuse (les sels de zinc sont vénéneux).

Surtout apportons tout notre soin au choix des œufs. Il ne faut mettre en conserve que des œufs très frais. La coquille calcaire de l’œuf est poreuse. Très vite après la ponte, et d’autant plus vite qu’il fait plus chaud, l’eau contenue dans le blanc de l’œuf s’évapore et est remplacée par de l’air qui va se loger dans la chambre à air ; peu à peu, tandis que le volume de l’intérieur de l’œuf diminue, le volume de la chambre à air augmente et le poids, total de l’œuf diminue. Cet air, venu de l’extérieur à travers la coquille, est évidemment chargé de microbes, qui provoqueront peu à peu la décomposition intérieure. Aussitôt que possible après la ponte, mettre l’œuf dans le produit de conserve, qui empêchera cette évaporation de l’intérieur de l’œuf et cette entrée de l’air chargé de microbes. Si l’on met en conserve des œufs dont la chambre à air est déjà chargée de microbes, ces microbes accompliront peu à peu leur œuvre, et l’œuf se gâtera, quel que soit le produit extérieur employé.

Avec le silicate de soude ou de potasse, aucune précaution spéciale à prendre avant de plonger l’œuf dans le liquide de conserve. Le laver seulement à l’eau claire pour enlever toute trace de fumier. Si l’œuf n’est pas suffisamment frais, sa chambre à air, trop grande, diminue sa densité, et cet œuf flotte, remonte à la surface du liquide. Un tel œuf est bon à consommer immédiatement, mais non à mettre en conserve : l’enlever et ne laisser dans la conserve que ceux qui descendent dans le liquide ; en général, ce sont des œufs qui sont pondus depuis moins de huit jours, ou qui, du moins, en ont les qualités : chambre à air très petite, peu de microbes capables de provoquer la décomposition de l’œuf. Un excellent procédé, lorsqu’on possède des poules, consiste à plonger tous les jours, immédiatement après la ponte, les œufs du jour dans le liquide préparé au début de la mise en conserve. Ne pas trop remplir le récipient : il faut plusieurs centimètres de liquide au-dessus de la dernière couche d’œufs. Remplacer l’eau d’évaporation tous les mois, tous les quinze jours par été sec, par de l’eau ordinaire de façon que les œufs soient toujours recouverts. Un récipient à petite ouverture laisse moins perdre d’eau par évaporation : voilà pourquoi une jarre ventrue à petite ouverture est excellente pour conserves d’œufs. On peut éviter la rapide évaporation en recouvrant le récipient d’un couvercle en carton, en bois, etc.

Le silicate de soude ou de potasse additionné d’eau dans les proportions voulues (1 litre de silicate pour 8 litres d’eau) a une densité telle que tout œuf mi-propre à la conserve flotte à sa surface ; il suffit d’éliminer tous les œufs ne s’enfonçant pas dans le liquide.

Il n’en est pas de même de beaucoup d’autres produits de conserve, dont la densité n’est guère supérieure à celle de l’eau ordinaire. Il est bon alors de faire subir aux œufs à mettre en conserve l’épreuve de l’eau salée : dans un récipient assez profond, un grand pot de confiture par exemple, mettre 100 grammes de sel pour 1 litre d’eau ; quand tout le sel est bien dissous, y plonger un à un les œufs à mettre en conserve ; tout œuf qui flotte est impropre à la conserve ; ceux qui vont au fond sont les plus frais ; ceux qui restent entre le fond et la surface peuvent être mis en conserve, mais seront les premiers à utiliser.

Il peut arriver, au moment de l’emploi, que le jaune commence à adhérer à la coquille, sans que l’œuf soit gâté pour cela : cela provient de la différence de densité entre le blanc et le jaune et de l’immobilité de l’œuf en conserve pendant des mois ; on diminue les risques d’adhérence du jaune en changeant les œufs de place au début de l’hiver ; on les sort tous, on les remet dans le liquide. Cela a un autre avantage d’ailleurs : un œuf fêlé pourrait donner mauvais goût à toute la conserve ; on le décèle aisément et on l’élimine.

La température extérieure n’a pas grande importance, pourvu qu’elle ne soit pas supérieure à 25° ; cependant, plus la température est élevée, plus elle est favorable au développement des microbes et plus elle active l’évaporation ; aussi vaut-il mieux placer la conserve dans une cave fraîche.

Mme PEYREFITTE.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 503