Philatélie ne veut pas dire seulement collection des
timbres-poste eux-mêmes, et rien d’autre. Pour peu que vous étudiiez les
détails de la fabrication de tel ou tel timbre, ou de telle émission, vous
serez obligatoirement amené à rechercher et les antécédents, et les
prolongements des vignettes faisant l’objet de vos études. C’est-à-dire, d’une
part, tout ce qui a précédé ou préparé l’émission proprement dite— projets
de dessins non acceptés, épreuves d’artistes, essais, etc. — et, de
l’autre, toutes les productions où se trouvent reproduits les dessins, non
seulement les réimpressions, mais très souvent d’autres pièces postales :
enveloppes, cartes, etc. Et quelquefois, pour certains pays, le Canada et les
États-Unis par exemple, des billets de banque, des timbres fiscaux privés, des
vignettes de marques déposées, etc., les compagnies de gravure, qui autrefois
émettaient les timbres-poste, s’étant très souvent servies des coins de
gravures pour de multiples usages. Si votre curiosité vous pousse davantage
vers l’autre grande ligne de la spécialisation, l’usage postal, les variétés
hors catalogue que vous rechercherez n’en seront pas moins nombreuses. Non
seulement les oblitérations sur timbres ou, mieux encore, timbres sur lettres,
mais encore toutes les lettres qui ont précédé l’invention du timbre-poste
mobile en 1840. Car le monde postal existait bien avant la sortie du fameux
« penny noir » anglais. Toutes ces lettres sans timbres (marques
postales) sont d’une étude passionnante, particulièrement celles de l’ancien
régime et celles de l’époque de la Révolution, et cette nouvelle science mérite
bien le qualificatif de postal history par lequel la désignent les
Anglais. Et l’intérêt postal peut aussi se retrouver dans ce compartiment,
parent pauvre du timbre et injustement délaissé, qu’est l’« entier
postal » : enveloppes timbrées, cartes, etc. Actuellement personne,
ou presque, n’y fait attention. Il en était de même il y a une quinzaine
d’années pour les « marques postales », lesquelles, depuis, ont
fourni la magnifique carrière qu’on sait, avec des plus-values impressionnantes
(et justifiées, ce qui n’est pas toujours le cas pour les timbres modernes).
Nous ne serions pas étonné que les » entiers postaux » ne fassent de
même un jour ou l’autre. Ne pas oublier que les fameuses « pony
express » américaines aux prix astronomiques ne sont pas autre chose, dans
la presque totalité des cas, que des « entiers postaux », agrémentés
de timbres privés.
* * *
Quelles qu’en soient les raisons, toutes ces vérités sont
encore lettre morte pour la grosse majorité de nos philatélistes. Pour beaucoup
trop de « spécialistes » — qu’ils disent !— de France
ou d’ailleurs, la philatélie consiste tout bonnement à acheter un album plus ou
moins luxueux ; à remplir le plus rapidement possible les petites cases
numérotées — ce qui est uniquement en fonction directe de l’épaisseur du
portefeuille — et à attendre fiévreusement l’apparition du prochain
catalogue X ou Z, afin de chiffrer les hausses substantielles. Heureux
encore lorsque quelques coins datés ou des recherches de nuances viennent
témoigner en faveur d’un embryon de recherches personnelles. La France est,
paraît-il, la patrie de l’individualisme et de la fantaisie : on ne s’en
douterait guère en feuilletant la majorité des collections françaises.
En face de nos conceptions sclérosées et étriquées, opposons
la façon dont un philatéliste anglais, E. F. Hurt, pour ne pas le nommer,
concevait une collection de France aux alentours de 1936. Nous copions :
1° « Vieilles lettres d’autrefois (marques postales), indiquant l’origine,
le paiement, etc., y compris les lettres des campagnes de l’Empire et de la
Révolution » ; et il ajoutait : « Ne pas oublier de montrer
le développement des services maritimes français, probablement les plus
importants et les mieux organisés au monde de 1830 à 1890. » Combien de
Français, même non philatélistes, connaissent ce détail ? — 2°
« Premiers essais de production des timbres : projets, épreuves
d’artistes, etc. » — 3° « Les timbres des différentes émissions
avec leurs principales variétés de planches, nuances, papiers. » — 4°
« Timbres sur lettres montrant les différents tarifs postaux de chaque
époque, tant intérieurs qu’étrangers. » — 5° « Lettres de guerre
1870-1871 avec emploi simultané de timbres spéciaux d’Alsace et ceux de
France. » — 6° « Timbres de France utilisés : dans les
bureaux étrangers (Levant, Chine, Japon, etc.) ; sur les bateaux ;
pendant les diverses campagnes (Chine, Indochine, Mexique, Crimée, etc.) »
— 7° « Lettres du siège de Paris par ballons et par boîtes
flottantes. » — 8° « Usage des timbres coupés en deux et en
quatre. » Certes, tout ceci est un peu touffu et mal classé comme tout ce
qui est anglais. Bien des choses manquent, et les changements de noms de villes
pendant la Révolution, et les affranchissements « combinés » France
et autres pays que l’Alsace, et les premières émissions de France utilisées aux
colonies, etc. Mais enfin il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un Anglais
parlant d’un pays étranger à ses compatriotes. Sans demander aux nôtres d’avoir
des vues aussi peu étriquées concernant la recherche des timbres étrangers,
anglais par exemple, peut-être tout de même pourrait-on espérer qu’ils
concevront un jour leur collection nationale de façon aussi large qu’un Anglais
le fait lui-même ?
* * *
Ce que notre ami anglais nous démontre si bien pour une
collection France, l’on pourrait l’établir pour n’importe quel pays. Combien de
philatélistes se doutent des possibilités offertes par les colonies générales,
en particulier sur lettres et oblitérations ; sans oublier, bien entendu,
les émissions métropolitaines d’avant les Aigles et utilisées aux
colonies ?
Combien en est-il parmi l’armée de nos collectionneurs des
colonies qui ont la bonne idée de « truffer » Madagascar, par
exemple, avec les timbres du vice-consulat britannique de Tananarive, ceux du
British Inland Mail, et les plus rares encore de la N. M. S’s Post
(Postes missionnaires de Norvège) ? Ou d’en faire autant avec les timbres
de nos vieux Établissements de l’Inde, que l’on peut accompagner de toutes la
kyrielle des timbres des Indes anglaises contemporains, utilisés dans les
bureaux britanniques fonctionnant dans nos « Settlements », certaines
de ces oblitérations distinctives étant absolument rarissimes et, plus encore,
méconnues lorsque rencontrées par hasard ?
Les possibilités « hors catalogue » sont aussi
nombreuses qu’intéressantes. Elles seules peuvent donner une marque
d’originalité et de personnalité à une collection, laquelle, sans quoi, n’est
alors qu’un décalque sans intérêt d’un quelconque prix courant. Et elles seules
aussi peuvent donner des possibilités de gains substantiels et durables ;
l’aventure récente, dans cet ordre d’idées, des « marques postales »
recommencera au bénéfice d’un autre compartiment aujourd’hui dédaigné. C’est
une conséquence certaine de l’abandon progressif et obligatoire des vastes
collections générales d’autrefois. Aux prévoyants de le comprendre.
M. L. WATERMARK.
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