ES érudits et autres rats de bibliothèques discutent
toujours au sujet de l’origine des allumettes chimiques. Ed. Fournier a
prétendu que les Romains les connaissaient et qu’une épigramme de Martial y
fait allusion. Martial dit que les juifs de Rome échangent des allumettes
soufrées contre du verre cassé, et surtout contre le verre décoré d’or.
En France, de bonne heure, on eut l’idée d’enduire de
résines ou de corps inflammables des tiges de bois, afin de mettre le feu aux
bûches de la cheminée. Ce moyen était encore rudimentaire, puisqu’il fallait un
corps en ignition pour permettre d’allumer la petite tige de bois soufrée.
Cependant, pendant plusieurs siècles, ces allumettes primitives furent
employées dans les campagnes ; en plein XIXe siècle, à
Besançon, un marchand passait dans les rues avec sa femme et psalmodiait ce
cri :
Elles sont soufré’s des deux bouts,
Les quat’ paquets d’altumett’s pour deux sous,
sur un air qui évoquait celui de la ronde de nuit des Huguenots.
Ces allumettes soufrées, mais non amorcées, avaient donc
comme complément obligatoire le briquet. Les gens de la campagne fabriquaient
eux-mêmes ces allumettes ; il y avait aussi des allumettiers de
profession, Geoffroy à la grand’dent, un personnage de Rabelais, était allumettier.
Au XVe siècle, à défaut d’allumettes soufrées, on se servait de
petits bouts de papier en tortillons. Villon en parle :
Je luy envoye ces sornettes
Pour soy désennuyer ; combien
Si veult face en des allumettes.
Le premier qui eut l’idée d’enduire un bout de bois d’une
matière inflammable permettant ainsi de communiquer le feu à d’autres matières
est peut-être le grand chimiste Robert Boyle, qui, en 1680, inventa un composé
de poudre, de soufre et de phosphore, composé très inflammable, dont le plus
léger choc déterminait l’explosion. Mais cette invention ne fut pas divulguée,
et, un siècle après, nous pouvons lire dans la Grande Encyclopédie les
lignes suivantes : « Allumette, petit fétu de bois sec et blanc, de
roseau, de chènevotte, de sapin, soufré par les deux bouts, servant à allumer
la chandelle et vendu par les grènetiers et les fruitiers. Elles paient
d’entrée deux sous le cent et un sou de sortie. » Ce fut le XIXe siècle
qui vit la mise au point des allumettes à frottement. On a beaucoup discuté sur
le lieu d’origine de cette invention. Il semble bien prouvé que le premier qui
eut l’idée de faire une pâte phosphorée adhérente à la tige de bois fut un
Français, Charles Saurai. Il était fils d’un général de l’armée du Rhin et
était né à Poligny, en 1812. Vers 1830, — en 1831, assure un historien, — le
jeune Saurai, étant au collège, assista à une expérience de chimie au cours de
laquelle il vit un amalgame de soufre et de chlorate de potasse faire
explosion. Pour lui, bricoleur né, qui se passionnait pour la chimie et les
découvertes, ce fut un éclair ! Il travailla et chercha à incorporer du
phosphore dans ce mélange de chlorate et de soufre. Il se brûla plusieurs fois
au cours de ces essais, mais il était tenace, le jeune étudiant en philosophie !
Enfin il réussit. Mais, en France, on se désintéressa de l’invention de ce
jeune homme de dix-neuf ans.
L’invention passa en Allemagne, où elle fut, au contraire,
fort bien accueillie. En 1832, Kammerer fabriqua des allumettes à friction qui
étaient d’un maniement assez compliqué. Après les avoir séchées, on les
frottait. On s’en servait en les passant entre les deux plis d’une feuille de
papier enduite de verre pilé ou de sable, que l’on pressait entre les doigts.
Mais elles explosaient parfois. Les premières fabriques d’allumettes furent
créées à Vienne, en Autriche, en 1833. Mais ces allumettes étant dangereuses,
plusieurs États allemands en interdirent l’emploi. En 1837, Presbel découvrit
le moyen de se passer de chlorate ; dès lors, on put fabriquer des
allumettes de sûreté, et la France, grâce au chimiste Peligot, put, en 1847,
rattraper son retard.
À Paris, autrefois, des artisans fabriquaient et vendaient
les allumettes ; on les criait dans les rues au XVIe siècle,
comme nous avons dit ; il s’agissait déjà d’allumettes soufrées. Ce
commerce faisait vivre beaucoup de pauvres gens au XVIIe siècle.
Roger VAULTIER.
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