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Les bécassines, cette année …

Voici une chasse sur laquelle on ne se blase jamais : les bécassines.

D’abord, à moins d’aller les tirer dans certains endroits que je connais bien, et qui semblent pour elles comme pour nous des paradis (Youn Ellez, Brière, marais du sud du Cotentin, etc.), on n’en a pas tous les ans à chasser. Il faut un mois de septembre très pluvieux (quand nous chassons les perdreaux avec des bottes, consolons-nous donc) ; alors les bécassines, qui descendent à cette époque isolément, trouvent dans les mauvais prés des vallées de rivières une abondante nourriture à leur convenance. Elles s’y groupent, s’y fixent, engraissent à des endroits toujours les mêmes, que les chasseurs du pays appellent « des placiaux », par bandes d’une, deux ou trois douzaines.

En outre, les années à bécassines ne se ressemblent jamais tout à fait. Chaque fois que l’on aura cette bonne aubaine d’un hiver à bécassines, il y aura quelques particularités à noter. C’est ce qu’il m’a été donné d’observer et dont je voudrais dire un mot ici.

Les années ordinaires, quand les mauvais prés n’ont pas tenté les faucheurs, on peut passer les quatre ou cinq heures du milieu de la journée, de 10 heures à 3 heures, à chasser les bécassines dans un rayon d’un kilomètre autour du point où on a levé une bande dont les oiseaux se sont égaillés dans toutes les directions pour se poser à quelques centaines de mètres de leur départ. C’est un peu alors la technique de la chasse du perdreau au chien d’arrêt (?) qu’il faut adopter.

En 1946, il en a été tout autrement. D’abord nous n’avions vu les premières bécassines que vers le 10 décembre, et même nous n’en espérions pas après un été aussi sec. La pénurie de fourrages et de paille avait obligé les fermiers à couper même les plus mauvais prés de marais n’aurait-ce été que pour faire de la litière dans les étables ; et, faute de remises à leur convenance à proximité ; une bande de bécassines levée sur un placiau partait d’un trait, et sans se disperser, jusqu’à un autre placiau parfois distant de plusieurs kilomètres. Une auto devenait alors indispensable, ou au moins une moto ou une bicyclette, pour se rendre de placiaux en placiaux par la route, si on ne voulait pas s’imposer une rude fatigue pour un résultat médiocre.

Je chasse habituellement les bécassines dans une vallée de rivière aux confins du Loiret et de l’Yonne. Sur un parcours d’une vingtaine de kilomètres, je connais en tout cinq ou six endroits bien fréquentés. On voit d’ici l’utilité d’un moyen de locomotion.

On a beaucoup écrit et discuté sur la meilleure façon de tirer ce charmant petit gibier.

Comment faut-il l’aborder ? Vent dans le dos ou vent dans le nez ?

Combien en ai-je entendu de discussions sur cet éternel problème à l’heure du retour, quand nos chiens « fumaient » devant la cheminée et que nos punchs flambaient dans les grands bols à cidre !

Je pense que ce qu’il faut avoir constamment présent à l’esprit, c’est que la bécassine part toujours le bec dans le vent. Jusqu’ici tout le monde est d’accord.

Vent dans le dos ? L’oiseau va donc d’abord venir sur vous pendant quelques mètres, puis exécuter un looping ou une chandelle, et s’enfuir. C’est le tir le plus difficile. Mon ami L ..., qui, hélas ! n’est jamais revenu d’une tout autre chasse en mai 1940, excellait dans ce tir, essayait de m’y convertir : « En cas d’oiseaux très fuyards, me disait-il, la bécassine hésite jusqu’à la dernière seconde à foncer sur vous, et part de moins loin. Et elle fait toujours une chandelle verticale de plusieurs mètres pendant laquelle vous pouvez la tirer en plein ventre, et ce ventre est blanc ! »

Oui, oui, mais je savais surtout qu’il était d’une tout autre classe que moi comme tireur et qu’il pouvait, en toute tranquillité, me rendre un oiseau sur deux, quand nous faisions match dans les marais de la Superbe, environ les années 1930-1935.

Vent dans le nez ? Ici l’oiseau bénéficiera au maximum de ses déconcertants crochets, et presque toujours vous tirerez pour tirer, sans conviction.

Une impression personnelle est qu’il faut toujours aborder un placiau de telle façon que les oiseaux vous partent en plein travers et de droite à gauche. Elles font bien quelques crochets dès le départ, mais dans un plan horizontal, si bien que ces crochets sont moins visibles et même pratiquement négligeables pour le tireur, et ne le gênent guère pour jeter son coup de fusil au bon endroit.

J’ai eu la plupart des bécassines que j’ai tuées cette année, faciles, grâce à cette règle : marcher avec le vent sur le bras gauche.

Doit-on les chasser avec un chien ? En principe, non.

Certains baigneurs, qui, de la Baule, vont tirer les jeunes bécassines en Brière au mois d’août (passage de la Madeleine fin juillet, passage de la Bonne-Dame, 15 août), vous affirmeront, dur comme fer, qu’il faut toujours chasser la bécassine avec un chien ; et qu’un chien de grand nez, un Laverack ou un Irlandais sont même les chiens rêvés pour cette chasse. Je ne les contredis pas, en ce qui concerne la chasse en Brière en août, où un bon tireur de perdreaux d’ouverture peut se muer facilement en bon tireur de bécassines. Il m’est arrivé de photographier mon chien à l’arrêt (un Irlandais) puis de tirer la bécassine.

Il en est tout autrement, passé la Toussaint, quand les oiseaux sont devenus adultes et très méfiants, même en Brière, et à plus forte raison dans une vallée de rivière. Je déconseille formellement le chien, à moins que ...

En effet, si vous avez un vieux cocker, assagi par les rhumatismes, et pas trop frileux, le pauvre, ou bien encore un épagneul français bien sage, ou un Boulet, à plus forte raison un golden, emmenez votre chien, mais tenez-le toujours sur vos talons.

Alors pourquoi s’embarrasser d’un chien ? me direz-vous. Pour un seul bénéfice, mais bien tentant : si vous savez sur vos talons un chien absolument sûr pour le rapport, vous n’hésiterez plus à essayer le doublé, chaque fois que l’occasion s’en présentera, et le travail du chien au rapport sera un attrait de plus.

Rappelez-vous qu’on ne double pas sur des bécassines comme sur des perdreaux, qui, eux, vont tomber à 15 ou 20 mètres l’un de l’autre et dans une même direction ; au lieu que vos deux bécassines vont tomber souvent à 40 ou 50 mètres l’une de l’autre, une à droite, l’autre à gauche, quand ce n’est pas derrière ! et dans des herbes parfois hautes et touffues. En doublant, si vous n’avez pas de chien, vous risquez de tout perdre. Quelle mauvaise surprise !

Le meilleur plomb ? Sans contestations, le 8 ou même le 9 ; mais si vous risquez de tomber, de fois à autre, sur un canard, un lièvre ou un faisan, glissez une cartouche de 7 à gauche.

Du meilleur calibre on ne saurait discuter. C’est à la convenance de chacun. Le 20 a toujours eu toutes nos préférences. Au reste, le Boche étant passé chez moi, je n’ai plus, pour l’instant, l’embarras du choix.

Dr J. S.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 516