Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°615 Août 1947  > Page 519 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Vénerie

La meute

Comme partout, il existe chez les veneurs des êtres plus ou moins doués ou savants. L’exercice de la chasse augmentant, petit à petit, la dose de leurs connaissances, certains arrivent parfois à une maîtrise presque parfaite.

Si quelque bonne fée a fait naître notre néophyte dans une famille de chasseurs ; si son enfance et sa jeunesse se sont écoulées entre le chenil et la forêt, à l’époque de trop courtes vacances ; ou que, plus tard, il ait eu assez de loisirs et les moyens d’aller voir chasser d’autres équipages, de parcourir à leur suite des contrées différentes de la sienne, cela lui aura fait un bagage des plus favorable et il pourra débuter dans ce joli déduit avec le maximum d’atouts.

Mais ce n’est qu’en dirigeant lui-même sa meute qu’il deviendra un véritable maître d’équipage.

Pour chasser à courre, il ne suffit pas seulement de poursuivre des animaux. Avant, il faut créer, ce qui, sur le papier, semblerait une chose presque impossible, c’est-à-dire former une meute, avoir un ou plusieurs hommes pour la soigner et la conduire, et se procurer un terrain assez vif pour pouvoir découpler.

Il y a donc là toute une partie d’organisation qui échappe le plus souvent au profane, mais ce n’est pas, à mon avis, le plus grand mérite d’un maître d’équipage.

Si nous faisions un classement de ses qualités, étant admis que sa science de la chasse est reconnue suffisante, c’est à ses connaissances des chiens que j’attribuerais la meilleure note.

Il n’est pas question de chasser — et à plus forte raison de prendre — si on ne possède pas un lot de chiens sérieux, fins de nez, criants, chasseurs et solidement construits pour pouvoir supporter gaiement les dures fatigues d’une journée de chasse.

Voici donc le maître à l’œuvre ; il commence à choisir une race de chiens qu’il sait devoir convenir et à son pays et à l’animal qu’il veut courre. Il fait une première sélection sur le type et la construction, car il est rare que des sujets qui sont d’un modèle par trop différent les uns des autres puissent posséder cette cohésion parfaite qui est le fait d’une bonne meute.

Plus tard, sur le terrain, il fera encore un tri plus sévère en considérant alors les qualités de chasse. Il sera parfois impitoyable (surtout s’il est jeune ...), aussi très indulgent, car l’expérience lui aura appris qu’il existe chez les chiens des défauts dont on peut se servir.

Voici une vérité qui peut paraître bien extraordinaire ; pour beaucoup, un mauvais chien demeure un mauvais chien, et pourtant il y a fagot et fagot ...

Je vais citer quelques exemples, pris un peu au hasard de mes souvenirs.

Il est admis — et je suis le premier à l’affirmer — qu’un chien qui vole et qui cèle la voie est un mauvais chien. J’ai pourtant connu, dans un équipage de cerf opérant sous les ordres d’un veneur qui était un maître, un fort joli chien arrivé comme remonte en fin de saison. Il s’y montra, dès ses premières sorties, comme un animal très indépendant, bien que très hardi et très débrouillard. Certainement doué d’un nez parfait et d’un goût prononcé pour la grande entreprise, il allait chercher la voie parfois très en avant et, l’ayant trouvée, la suivait grand train, sans beaucoup crier. Était-ce par timidité ? Par manque d’expérience ? Je ne sais, mais il fit ainsi manquer plusieurs chasses, les chiens de meute ne chassant qu’avec répugnance la voie couverte par ce camarade qu’ils ne pouvaient entendre ni rallier. Heureusement pour lui, le maître d’équipage était un homme aussi observateur que connaisseur et qui, devant l’excès de qualités et les défauts de ce très joli chien, ne le condamna pas à la réforme, où normalement il aurait dû aller. Aussi, la saison suivante le trouva-t-elle muni d’une cloche. Ah ! je sais bien ce que l’on peut dire ! Moyen inélégant, peu digne d’un vrai veneur, mœurs de chasseurs de sanglier ! etc. ... Cependant, à sa deuxième saison, et dans le massif très dur où opérait l’équipage dont il est question, grâce à ce mauvais chien et à la discipline instituée par le maître, le nombre des prises — déjà fort réjouissant — augmenta d’une manière sensible.

Faut-il rappeler ici ce fameux limier de loup, célèbre dans le pays poitevin ? On sait combien était rare le chien qui, seul au trait, voulait travailler une voie de loup. La plupart, dès qu’ils éventaient une voie, se rabattaient sur les plus hautes comme sur celles de bon temps, prenant même le contre de préférence et faisant faire inutilement au valet de limier des parcours insensés, car la nuit d’un loup est encore plus longue qu’une nuit de sanglier. Or cet excellent limier (et son maître ne dévoila la chose que bien longtemps après qu’il eut gagné le paradis des chiens) avait très peu de nez, mais surtout une peur affreuse des loups. Si bien qu’au moment du rembucher si son maître voyait le chien, le poil hérissé, venir se mettre dans ses bottes et refuser de faire suite, il était presque sûr qu’il venait de croiser une voie de loup chaude et qu’il pouvait la travailler de confiance.

Comme je chassais des lièvres, j’ai possédé un griffon vendéen muet. Il chassait sans crier jamais, sauf au chenil, où il avait une magnifique voix de grand hurleur, ou sur un à-vue, où il « couinait » alors comme un roquet. Je l’ai pourtant gardé cinq ans, car il me rendait des services dans les relancers et ne me gênait pas.

Ce qui fait que nous aimons tant la chasse au chien courant avec un certain nombre de sujets, c’est justement parce que les qualités et les défauts — justement dosés — des uns et des autres nous amènent à posséder cet instrument admirable qu’est une meute bien ensemble et bien créancée.

Et ce ne sont point mes amis chasseurs qui me contrediront ...

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 519