Comme partout, il existe chez les veneurs des êtres
plus ou moins doués ou savants. L’exercice de la chasse augmentant, petit à
petit, la dose de leurs connaissances, certains arrivent parfois à une maîtrise
presque parfaite.
Si quelque bonne fée a fait naître notre néophyte dans une
famille de chasseurs ; si son enfance et sa jeunesse se sont écoulées
entre le chenil et la forêt, à l’époque de trop courtes vacances ; ou que,
plus tard, il ait eu assez de loisirs et les moyens d’aller voir chasser d’autres
équipages, de parcourir à leur suite des contrées différentes de la sienne,
cela lui aura fait un bagage des plus favorable et il pourra débuter dans ce
joli déduit avec le maximum d’atouts.
Mais ce n’est qu’en dirigeant lui-même sa meute qu’il deviendra
un véritable maître d’équipage.
Pour chasser à courre, il ne suffit pas seulement de
poursuivre des animaux. Avant, il faut créer, ce qui, sur le papier, semblerait
une chose presque impossible, c’est-à-dire former une meute, avoir un ou
plusieurs hommes pour la soigner et la conduire, et se procurer un terrain
assez vif pour pouvoir découpler.
Il y a donc là toute une partie d’organisation qui échappe
le plus souvent au profane, mais ce n’est pas, à mon avis, le plus grand mérite
d’un maître d’équipage.
Si nous faisions un classement de ses qualités, étant admis
que sa science de la chasse est reconnue suffisante, c’est à ses connaissances
des chiens que j’attribuerais la meilleure note.
Il n’est pas question de chasser — et à plus forte
raison de prendre — si on ne possède pas un lot de chiens sérieux, fins de
nez, criants, chasseurs et solidement construits pour pouvoir supporter
gaiement les dures fatigues d’une journée de chasse.
Voici donc le maître à l’œuvre ; il commence à choisir
une race de chiens qu’il sait devoir convenir et à son pays et à l’animal qu’il
veut courre. Il fait une première sélection sur le type et la construction, car
il est rare que des sujets qui sont d’un modèle par trop différent les uns des
autres puissent posséder cette cohésion parfaite qui est le fait d’une bonne
meute.
Plus tard, sur le terrain, il fera encore un tri plus sévère
en considérant alors les qualités de chasse. Il sera parfois impitoyable
(surtout s’il est jeune ...), aussi très indulgent, car l’expérience lui aura
appris qu’il existe chez les chiens des défauts dont on peut se servir.
Voici une vérité qui peut paraître bien
extraordinaire ; pour beaucoup, un mauvais chien demeure un mauvais chien,
et pourtant il y a fagot et fagot ...
Je vais citer quelques exemples, pris un peu au hasard de
mes souvenirs.
Il est admis — et je suis le premier à l’affirmer
— qu’un chien qui vole et qui cèle la voie est un mauvais chien. J’ai
pourtant connu, dans un équipage de cerf opérant sous les ordres d’un veneur
qui était un maître, un fort joli chien arrivé comme remonte en fin de saison.
Il s’y montra, dès ses premières sorties, comme un animal très indépendant,
bien que très hardi et très débrouillard. Certainement doué d’un nez parfait et
d’un goût prononcé pour la grande entreprise, il allait chercher la voie
parfois très en avant et, l’ayant trouvée, la suivait grand train, sans
beaucoup crier. Était-ce par timidité ? Par manque d’expérience ? Je
ne sais, mais il fit ainsi manquer plusieurs chasses, les chiens de meute ne
chassant qu’avec répugnance la voie couverte par ce camarade qu’ils ne pouvaient
entendre ni rallier. Heureusement pour lui, le maître d’équipage était un homme
aussi observateur que connaisseur et qui, devant l’excès de qualités et les
défauts de ce très joli chien, ne le condamna pas à la réforme, où normalement
il aurait dû aller. Aussi, la saison suivante le trouva-t-elle muni d’une
cloche. Ah ! je sais bien ce que l’on peut dire ! Moyen inélégant,
peu digne d’un vrai veneur, mœurs de chasseurs de sanglier ! etc. ...
Cependant, à sa deuxième saison, et dans le massif très dur où opérait
l’équipage dont il est question, grâce à ce mauvais chien et à la discipline
instituée par le maître, le nombre des prises — déjà fort réjouissant
— augmenta d’une manière sensible.
Faut-il rappeler ici ce fameux limier de loup, célèbre dans
le pays poitevin ? On sait combien était rare le chien qui, seul au trait,
voulait travailler une voie de loup. La plupart, dès qu’ils éventaient une
voie, se rabattaient sur les plus hautes comme sur celles de bon temps, prenant
même le contre de préférence et faisant faire inutilement au valet de limier
des parcours insensés, car la nuit d’un loup est encore plus longue qu’une nuit
de sanglier. Or cet excellent limier (et son maître ne dévoila la chose que
bien longtemps après qu’il eut gagné le paradis des chiens) avait très peu de
nez, mais surtout une peur affreuse des loups. Si bien qu’au moment du
rembucher si son maître voyait le chien, le poil hérissé, venir se mettre dans
ses bottes et refuser de faire suite, il était presque sûr qu’il venait de
croiser une voie de loup chaude et qu’il pouvait la travailler de confiance.
Comme je chassais des lièvres, j’ai possédé un griffon
vendéen muet. Il chassait sans crier jamais, sauf au chenil, où il avait une
magnifique voix de grand hurleur, ou sur un à-vue, où il « couinait »
alors comme un roquet. Je l’ai pourtant gardé cinq ans, car il me rendait des
services dans les relancers et ne me gênait pas.
Ce qui fait que nous aimons tant la chasse au chien courant
avec un certain nombre de sujets, c’est justement parce que les qualités et les
défauts — justement dosés — des uns et des autres nous amènent à
posséder cet instrument admirable qu’est une meute bien ensemble et bien créancée.
Et ce ne sont point mes amis chasseurs qui me
contrediront ...
Guy HUBLOT.
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